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Iris Van der Veken, la directrice exécutive du Responsible Jewellery Council, évoque la façon dont les 17 objectifs de développement durable des NU peuvent aider les sociétés à renforcer la confiance des consommateurs.

Iris, vous défendez activement le développement durable depuis plus de 20 ans. Pourquoi les 17 objectifs de développement durable (SDG) sont-ils si importants aujourd’hui ?

Les 17 SDGs représentent le programme du développement durable destiné au monde, tel qu’il a été accepté par 193 pays. Ils mettent en avant les personnes, la prospérité, la planète, la paix et les partenariats. Il s’agit de n’oublier personne. Et c’est un excellent cadre pour toute société, lui permettant de développer sa stratégie de développement durable.

Dans les années à venir, chaque organisation du secteur mondial des montres et bijoux devra se demander comment intégrer pleinement les SDG dans son mode de fonctionnement. Il nous faut des modèles d’activité plus durables, axés sur le respect des besoins changeants des populations du monde entier. Autrement dit, les sociétés doivent intégrer les politiques des droits de l’homme, la santé et la sécurité, des pratiques de travail décentes, l’intégrité des produits et l’action climatique au cœur de leurs pratiques de base.

Le Responsible Jewellery Council (RJC) a lui aussi utilisé ce cadre des SDG pour développer une feuille de route pour l’industrie mondiale des bijoux et des montres, au moyen d’une consultation de multiples parties prenantes. Nous travaillons sur divers points, comme le SDG 5 : égalité entre les sexes, le SDG 8 : travail décent et croissance économique, le SDG 12 : consommation et production durables, le SDG 13 : mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques et le SDG 17 : partenariats pour la réalisation des objectifs. Nous venons de lancer un partenariat avec le Pacte mondial des Nations unies à New York, centré sur l’enseignement et la formation pour les petites entreprises.

L’enseignement est un point essentiel pour aider nos membres à comprendre comment ce cadre peut véritablement délivrer une valeur commerciale. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Confédération internationale de la bijouterie (CIBJO) à la promotion de ces travaux au sein de toute l’industrie. Nous avons également mis récemment sur pied une équipe d’experts des SDG, co-présidée par Richemont et De Beers Group pour développer des mesures de rapport, s’appuyant sur des références de rapport internationales, afin d’aider nos sociétés à faire état de leurs progrès. Tous ces efforts aideront les sociétés à bâtir des modèles d’activité solides, axés sur un objectif, qui amélioreront la confiance des consommateurs.

Lorsque vous êtes devenue directrice exécutive du RJC, votre approche dans la direction du programme des SDG vous a clairement distinguée des autres. Avez-vous constaté un changement positif dans vos interactions avec vos membres depuis lors ?

Nous constatons un leadership puissant en matière de développement durable. Il faut agir maintenant, l’inaction n’est plus possible. Au sein de nos membres, les sociétés ont atteint divers stades de maturité. L’intégration du développement durable est un dur labeur et un processus en amélioration constante. Comme le montre notre rapport d’avancement, le RJC a continué de se développer, malgré l’impact de la Covid-19. Cela montre qu’une entreprise responsable est une entreprise qui résiste. Certaines sociétés sont véritablement motivées par un objectif, une moralité et la croyance bien ancrée que l’entreprise peut agir pour le bien. D’autres membres sont principalement motivés par des raisons économiques faisant partie de leur stratégie de gestion du risque. Mais il est évident qu’il existe un consensus : nous vivons la décennie de la confiance et de la transparence, qui n’offre pas beaucoup d’occasions de se cacher. Un comportement irresponsable peut considérablement dégrader une réputation, une valeur de marché et la confiance des clients. Je pense que ce mouvement du développement durable ne va faire que s’accélérer.

Quels sont selon vous les changements qui sont intervenus dans l’industrie de la bijouterie en termes de développement durable ?

Nous sommes fiers des avancées accomplies par l’industrie. Elle a toujours conservé un ensemble de valeurs essentielles, qui motivent le mouvement vers le développement durable. Ces dernières années, l’attention a été portée de plus en plus souvent sur ce sujet, à l’initiative de l’industrie et du consommateur.

D’un côté, on trouve les consommateurs – la génération Y, la génération Z et les autres – qui exigent plus de transparence et d’intégrité dans les produits qu’ils achètent. Cela est particulièrement vrai pour les bijoux, étant donné l’aspect émotionnel qu’ils conservent dans le cœur et l’esprit des gens. D’un autre côté, notre propre industrie (et les gouvernements de nombreuses nations) reprennent de vieilles promesses de développement durable des entreprises et d’investissement responsable. La gouvernance environnementale, sociale et d’entreprise (ESG) prend de l’ampleur. Nous assistons à un véritable tournant dans l’état d’esprit des gens. Les dirigeants bâtissent une vraie culture du développement durable dans leurs organisations – avec un leadership ciblé – qu’ils appliquent au traitement des personnes, à la mise en œuvre de la due diligence des droits de l’homme, à la concrétisation de l’action climatique, à la gestion de l’intégrité des produits et à l’innovation, en intégrant la durabilité dans les conceptions et l’utilisation des matériaux.

Quelles sont les plus grosses difficultés auxquelles l’industrie est toujours confrontée aujourd’hui ?

Étant donné la complexité des chaînes d’approvisionnement internationales de notre industrie et leurs liens étroits avec les communautés dans des pays du monde entier, il existe un vaste éventail de difficultés sociales, économiques et environnementales auxquelles l’industrie doit faire face. Les problèmes relatifs aux droits de l’homme, à l’inégalité des genres et au changement climatique viennent à l’esprit en premier. Les perturbations provoquées par la pandémie ont souligné encore plus le besoin urgent de redoubler d’efforts pour aborder ces difficultés de longue date en intégrant le développement durable. Cela aidera les entreprises à générer de la résilience pour supporter les crises et repartir, comme cela vient d’arriver.

L’industrie de la bijouterie profite d’une bonne réputation partout dans le monde, elle est pourtant souvent critiquée pour la façon dont les opérations sont menées en aval de la chaîne d’approvisionnement. Dépasser les idées reçues sur l’éthique des chaînes d’approvisionnement et alimenter la confiance des consommateurs constituent un autre grand défi. Je salue le travail du Natural Diamond Council (NDC) et la façon dont il présente les effets positifs de l’industrie diamantaire sur les vies de millions de personnes.

Enfin, tout le monde admet que l’industrie subit des pressions, tandis qu’elle perd des parts de marché au profit d’autres produits de luxe comme les smartphones, les sacs à mains de designers, les vêtements et le secteur des voyages.

Au fil du temps, des industries ont évolué et se sont adaptées à des difficultés de ce genre. Je crois en la capacité et en la force de notre industrie et je considère qu’elle pourra y parvenir elle aussi en engageant des efforts soutenus. La feuille de route des SDG est essentielle pour montrer comment l’industrie mondiale des bijoux et des montres contribue au programme 2030 : respecter les 17 objectifs de développement durable et n’oublier personne.

Quelles sont selon vous les plus grandes initiatives lancées par les marques qui ont permis de rendre l’industrie des bijoux plus durable ?

Un grand nombre de marques, membres du RJC, comme Bvlgari, Cartier, Chanel, Chopard, Hermes, IWC Schaffhausen, Piaget, Pomellato, Van Cleef & Arpels et Jaeger-LeCoultre, sont des pionniers du développement durable dans l’industrie des montres et des bijoux. Certaines des marques de bijoux les plus célèbres étaient également des membres fondateurs du RJC.

Les marques admettent de plus en plus que leur réputation s’appuie sur l’intégrité, la qualité de leurs produits et leur impact sur les communautés. Ainsi, leur modèle devient un exemple. Les grandes marques se sont engagées sur la voie du développement durable dans leur chaîne d’approvisionnement. Il en a résulté un effet domino sur l’industrie dans son ensemble. L’industrie se tourne vers les grandes marques pour y trouver inspiration et orientation. Nous pouvons constater qu’elles se placent au premier plan sur des thèmes comme l’autonomisation des femmes, l’économie circulaire et l’ESG. Je vous invite à regarder la récente vidéo que nous avons publiée et à laquelle participaient des PDG, intitulée Create Beautiful, qui traduit cette vision.

Pourquoi défendez-vous aussi ardemment la question de l’égalité des genres ?

C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur, l’objectif de développement durable numéro 5 : égalité entre les sexes. L’égalité des genres est une étape critique pour atteindre les 17 SDG. On considère qu’elle agit comme un multiplicateur. Dans notre industrie, les femmes sont à l’origine de 90 % de la demande de bijoux dans le monde. Malheureusement, en réalité, nous ne faisons pas assez dans ce domaine. D’après le rapport sur l’écart mondial entre les genres de 2020 par le Forum économique mondial, au rythme actuel, il faudra 257 ans pour refermer l’écart économique entre les genres. Jusqu’à présent, les avancées ont été trop lentes.

Au cours de l’histoire, les femmes ont toujours été particulièrement vulnérables pendant les crises. Celle de la Covid-19 n’y fait pas exception. Nous constatons une hausse de la violence domestique, du mariage des enfants, etc. Comme les écoles et les services de garde ont fermé, les femmes et les filles se voient chargées de la majorité des tâches du ménage et de la garde des enfants. Dans notre industrie, l’extraction artisanale et à petite échelle (ASM) a un besoin urgent que nous lui accordions notre attention. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé les tables rondes sur l’égalité entre les générations, en partenariat avec la CIBJO. Nous lancerons notre rapport sur ce thème en août à l’occasion du JCK.

Je crois fermement que le fait de placer les femmes et les filles au cœur des réponses à la crise de la Covid-19 permettra d’accélérer les avancées vers une reprise plus inclusive et aidera à bâtir des économies plus égalitaires et plus durables.

Iris Van der Veken est la directrice exécutive du Responsible Jewellery Council (RJC). responsiblejewellery.com

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