La situation centrale de la ville émiratie et son environnement économique favorable ont contribué à la propulser au premier rang des centres de négoce.
En novembre, alors que la Dubai Diamond Week battait son plein, les dirigeants de KGK Group ont accueilli les visiteurs en toute convivialité dans leur nouveau site dédié aux diamants et aux bijoux.
Installé au 51e étage de l’Almas Tower, siège de la bourse du diamant de Dubai, la Dubai Diamond Exchange (DDE), cet espace de 1 200 mètres carrés offre une vue spectaculaire sur le quartier des Jumeirah Lakes Towers et les gratte-ciels de Dubaï, toujours plus hauts. KGK, tailleur basé à Mumbai, s’est également installé dans l’Almas Tower pour gérer la distribution de diamants taillés provenant de ses usines extérieures à l’Inde. Ses installations en Angola, au Botswana, en Namibie et en Afrique du Sud représentent 50 % à 60 % de la production de l’entreprise, explique son vice-président Sanjay Kothari.
Les liaisons avec l’Afrique, la proximité avec l’Inde et la facilité dans la pratique des affaires ont fait de Dubaï un lieu incontournable pour l’approvisionnement de KGK en diamants taillés, explique-t-il. Les pierres brutes sont taillées dans les centres de valorisation des pays d’origine, puis les pierres arrivent à Dubaï « car il nous faut un lieu centralisé pour la distribution », ajoute Sanjay Kothari. Il serait contreproductif d’expédier les marchandises en Inde, car les diamants taillés sont soumis à des droits d’importation de 5 %.
KGK n’est pas la seule entreprise de taille ou de négoce à se centrer sur Dubaï. Le groupe Stargems, actif sur l’ensemble de la filière, a également inauguré de nouveaux bureaux, plus spacieux, mi-novembre, lors de la Dubai Diamond Week. Ce site de 1 400 mètres carrés, situé au 32e étage de l’Almas Tower, abrite le siège mondial de l’entreprise et accueille ses tenders de diamants bruts, principalement des marchandises originaires d’Afrique australe.
Le coup de pouce de la pandémie
Dubaï s’est imposée comme le principal pôle de négoce de diamants bruts, en organisant des tenders réguliers via la plate-forme de visualisation de la DDE ou dans des locaux privés.
Le commerce de diamants bruts de la ville a connu une croissance significative ces cinq dernières années. La valeur totale des importations et des exportations s’élevait à 21,34 milliards de dollars en 2023, contre 16,77 milliards de dollars en 2018 et 14,28 milliards de dollars en 2019, selon les données du service des douanes de Dubaï. Quant au commerce de diamants taillés, il a représenté 16,91 milliards de dollars l’an dernier, soit environ le double de la valeur constatée au cours des deux années précédant la pandémie.

« Dubaï a obtenu d’excellents résultats pendant la Covid-19 », affirme Adam Schulman, PDG de Koin International, qui organise des tenders de diamants bruts au centre d’exposition de la DDE.
La société Koin exerçait encore ses activités en Belgique au début de la pandémie. Si l’entreprise a pu réaliser certaines ventes de diamants bruts par des moyens virtuels, Dubaï est devenue la seule solution pour faciliter les ventes en personne lors de la réouverture en octobre 2020. Koin n’a pas été la seule société à suivre ce raisonnement. Les grands producteurs De Beers et ALROSA organisaient des ventes à l’Almas Tower alors que d’autres centres étaient fermés.
« Tout n’était pas autorisé à Dubaï, mais les acheteurs pouvaient arriver et repartir en avion pour voir les marchandises, se souvient Adam Schulman. Nous avons décidé de tenter quelques ventes sur place, et nous ne l’avons jamais regretté.»
Les liens avec l’Inde
Depuis, de nombreuses entreprises se sont installées à Dubaï, principalement depuis la Belgique, qui était auparavant la grande plaque tournante du commerce de diamants bruts, note Adam Schulman.
Les accords d’Abraham, signés par Israël avec les Émirats arabes unis (EAU) en 2022, ont ouvert davantage Dubaï à l’industrie du diamant, selon Mike Aggett, PDG de la maison de tenders Trans Atlantic Gem Sales (TAGS). Le catalyseur le plus important a toutefois été la proximité de la ville avec l’Inde, principal centre de taille.

« Le trajet en avion entre les deux sites dure trois heures, les acheteurs indiens peuvent donc faire l’aller-retour dans la journée sans avoir besoin de visa, explique Adam Schulman. Ils n’ont pas à engager de dépenses ni à subir les inconvénients liés aux demandes de visa, au transport vers l’Europe et aux frais d’hôtel. »
L’implantation à Dubaï a également permis aux entreprises d’accéder au vaste vivier de main-d’œuvre indien. Il est très facile de recruter sur place, souligne Sanjay Kothari : l’obtention des visas et des permis de séjour nécessaires est plus simple qu’en Europe, l’accès aux logements est plus facile, et Dubaï est devenue une ville multiculturelle offrant un style de vie attrayant.
Disposer de vols directs vers Mumbai et Surat est un atout majeur, confirme Anshul Gandhi, PDG de l’entreprise de taille et de négoce Choron Group. Cette relative facilité de déplacement concerne également d’autres destinations, notamment l’Afrique et l’Extrême-Orient, ajoute-t-il.
Un « pari calculé »
Si le commerce des diamants a connu un essor significatif à Dubaï ces cinq dernières années, l’ascension de la ville n’a pas été immédiat. En effet, il faut plutôt y voir un projet stratégique du Dubai Multi Commodities Centre (DMCC), organisme créé par la ville en 2002 pour y développer le commerce des produits de base. Très tôt, Dubaï a reconnu les diamants comme un segment de croissance potentiel et a créé la DDE en 2004.
Cependant, ce n’est qu’en 2017 qu’a eu lieu le premier tender de diamants bruts, organisé par TAGS. Déjà à l’époque, convaincre l’industrie de vendre des diamants bruts à Dubaï était une véritable gageure, selon Anthony Peter, fondateur de TAGS.
« Nous avons ouvert des bureaux mais, au cours des deux premières années, aucun fournisseur ne nous a suivis, se souvient Anthony Peter. Nous sommes finalement parvenus à obtenir une petite production de marchandises sous-marines en provenance d’Afrique du Sud, ce qui a été un immense succès. »

La nouvelle s’est répandue parmi les fournisseurs et les tenders suivants ont pris de l’ampleur. Pionnière, TAGS a signé un accord de partenariat exclusif avec le DMCC, qui a toutefois dû être annulé avec l’arrivée de nouvelles maisons de tenders. Pour TAGS, cette décision a finalement été une bonne chose ; plus le trafic était volumineux, plus la situation était profitable pour ses tenders, estime Anthony Peter, qui se console en constatant le rôle « prépondérant » joué par l’entreprise dans la création des circuits de tenders de diamants bruts à Dubaï.
« C’était un pari calculé, explique-t-il. Pendant dix ans, tout le monde affirmait que le commerce allait faire sa transition vers Dubaï, mais nous ne voyions rien venir. »
Les signes étaient pourtant là ; les grandes entreprises indiennes s’étaient implantées dans l’Almas Tower, malgré le peu d’activité, raconte Mike Aggett. « Je me souviens être venu ici et avoir frappé aux portes des entreprises avec lesquelles je travaillais à l’époque. Les locaux étaient vides, mais le fait est qu’elles disposaient de bureaux. »
Les flux et les infrastructures
Le déménagement des sights de De Beers, de Londres à Gaborone en 2013, est souvent évoqué comme un tournant pour la ville émiratie, puisqu’il a modifié l’itinéraire qu’empruntaient les diamants bruts destinés à être taillés en Inde.
Lorsque les sights se déroulaient à Londres, les sightholders apportaient souvent les marchandises de De Beers qu’ils venaient d’acheter à Anvers pour les vendre avant de les expédier aux tailleurs de Surat. Cependant, l’émergence du centre de distribution de De Beers à Gaborone a propulsé Dubaï comme centre de négoce, laisse entendre Mike Aggett. Les dirigeants d’entreprises ont commencé à s’installer aux Émirats arabes unis, et ce phénomène s’est aujourd’hui considérablement intensifié, ajoute-t-il.
Anshul Gandhi explique que l’attrait du lieu tient au fait que le DMCC a mis en place une infrastructure propice aux échanges commerciaux : « Comptes bancaires de base, bureaux de douane, laboratoires de certification, services pour les tenders, certifications du Kimberley Process (KP), moyens d’expédition et surtout financements… tous ces éléments ont créé un écosystème très solide, difficile à ignorer. »
Le groupement de tous les services dans le bâtiment de l’Almas Tower a permis d’aboutir à une plate-forme beaucoup plus centralisée, ajoute Adam Schulman.
Dubai fait-il concurrence avec la Belgique et Hong Kong ?
Le secteur financier et la politique fiscale favorables contrastaient fortement avec ceux de la Belgique, où « le secteur bancaire est devenu un cauchemar », selon Sanjay Kothari.
Les négociants interrogés par Rapaport Magazine laissent entendre que l’essor de Dubaï s’est fait au détriment d’Anvers, même si la plupart des entreprises de la filière intermédiaire restent présentes dans la ville européenne, quoique plus modestement.
« Anvers devient un centre de services pour les maisons de joaillerie européennes, explique Anshul Gandhi. Or, il ne s’agit pas de déterminer qui sera le grand gagnant, les deux centres sont très importants dans l’écosystème global. »
Adam Schulman évoque des divergences à Anvers entre la politique gouvernementale et les besoins du secteur. Le DMCC est plus en phase avec le gouvernement des Émirats arabes unis, dont l’approche plus dynamique vient soutenir l’industrie dans son ensemble, souligne-t-il.
Grâce au DMCC, le secteur bénéficie d’un accès privilégié aux décideurs politiques et aux acteurs clés, affirme Anthony Peter, qui met en exergue l’importance du rôle que joue le président du DMCC, Ahmed Bin Sulayem.

Anvers n’est pas le seul centre à considérer Dubaï comme un concurrent. La capacité de la ville émiratie à proposer une ouverture sur la Chine et l’Extrême-Orient risque de détourner une partie de l’activité de Hong Kong.
Anshul Gandhi fait la liste des raisons pour lesquelles cela pourrait se produire. « Les tensions géopolitiques existaient avant la Covid-19, note-t-il. Avec les manifestations à Hong Kong, la politique gouvernementale pendant la pandémie et, maintenant, la crise économique, beaucoup jugent préférable de se concentrer sur une ville comme Dubaï. »
Sanjay Kothari affirme cependant que l’activité à Hong Kong est pour l’heure plutôt calme, étant donné les difficultés du marché chinois. « Lorsque la Chine se reprendra, Hong Kong deviendra indispensable en raison de sa proximité et de ses liens avec la Chine continentale », affirme-t-il.
Quoi qu’il en soit, la plupart des acteurs s’attendent à ce que Dubaï joue un rôle dans l’approvisionnement de tous les grands marchés, comme en témoignent la croissance de son marché du diamant taillé et l’installation du salon Jewellery, Gem and Technology (JGT) dans la ville.
Une expansion industrielle
La volonté de faciliter les affaires est visible partout aux Émirats arabes unis. Elle émane de la famille royale, dont Anshul Gandhi affirme qu’elle a été très visionnaire dans sa décision d’investir dans les infrastructures.
Cette volonté continue de motiver le DMCC, qui cherche à appliquer son succès dans le secteur du diamant à d’autres domaines tels que le café, l’eau, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle (IA). Le centre maintient ses perspectives de croissance dans les diamants et cherche à améliorer le commerce des diamants taillés, ainsi que les segments périphériques comme les diamants synthétiques, les pierres de couleur et les perles, a déclaré un porte-parole du DMCC. Le DMCC prévoit également de lancer prochainement son Centre d’Innovation du Luxe qui, selon son porte-parole, aidera ses membres à s’améliorer dans des domaines tels que la provenance, la traçabilité et la technologie.

Cette ambition était clairement visible lors de la Dubai Diamond Week, au cours de laquelle s’est tenue la Dubai Diamond Conference, le salon JGT et la réunion plénière annuelle du KP, présidée par les Émirats arabes unis, Bin Sulayem en assurant la représentation pour la deuxième année consécutive.
Ces nombreux facteurs témoignent de la position toujours plus importante de Dubaï, tant au sein de l’industrie du diamant qu’en tant que plaque tournante du commerce en général, ce qui incite davantage les entreprises et leurs employés à s’y implanter.
« La ville dégage une énergie extrêmement dynamique, fait remarquer Adam Schulman. Il s’y passe toujours quelque chose de nouveau, d’inventif et d’intéressant. »
Image principale : Miguel Vemba, directeur d’Endiama, donne une conférence sur le thème : « Tracer la voie de l’Angola dans le nouveau paradigme mondial » lors de la Dubai Diamond Conference 2024 (Dubai Multi Commodities Center (DMCC)).
Source : Rapaport