L’art diamantaire révélé : le diamant marquise

Nathan Bensoussan

Avec leur forme effilée et gracieuse, les diamants taille marquise se distinguent par leur raffinement discret et sont appréciés des connaisseurs pour leur élégance.  En haute joaillerie, la taille marquise, souvent combinée à la taille poire, apporte une touche de légèreté indéniable.

Elle a jalonné les styles dans l’histoire de la joaillerie mais son porté a évolué et s’est modernisé. Au siècle dernier, Van Cleef & Arpels sertissait en pampilles de gros diamants marquise sur les parures des reines. Aujourd’hui, les pierres les plus importantes sont montées en pendentif ou en solitaire mais la plupart des marquises, plus petites, sont serties en composition pour sublimer un bijou, l’alléger et lui donner du mouvement. Ainsi, Van Cleef & Arpels les dispose en serti mystérieux sur une pomme de pin, Harry Winston les agrège en cluster de lumière, Piaget les assemble en forme d’aile pour souligner le côté aérien d’une création…

Pour le diamantaire, la taille marquise est l’une des plus difficiles à réaliser. Nathan Bensoussan, gemmologue chez Rubel & Ménasché, nous parle de cette pierre exceptionnelle et complexe.

IH : D’où vient l’appellation « marquise » ? 

Il semblerait que l’appellation remonte au XVIIIème siècle. Louis XV aurait commandé pour sa maîtresse, la Marquise de Pompadour, un diamant taillé évoquant la forme de sa bouche. Cette histoire en fait une pierre sensuelle et gracieuse. Elle est parfois appelée « navette », allusion à la forme allongée de la navette du tisserand ou de la coque du bateau portant le même nom. Ce terme, un peu moins poétique, est uniquement utilisé en France. A l’étranger, on emploie le terme « marquise » mais vous remarquerez que les deux mots sont issus de la langue française.

IH : Pourquoi le travail sur le diamant marquise demande-t-il une certaine expérience ?

Trier des diamants marquise demande effectivement de l’expérience, ce n’est pas une tâche que l’on vous confiera au début. Personnellement, j’ai attendu un peu plus d’un an avant de commencer à le faire. Dans notre service de tri, les gemmologues commencent à travailler sur les tailles rondes, les marquises ne viendront que bien après. Et encore ! Au début, leur travail se porte sur la couleur et de la fluorescence. Chaque marquise doit être analysée à la loupe parce que le jeu des facettes, qui se reflètent entre elle, rend l’observation très difficile. C’est un travail exigeant. Le moindre « pinpoint », la moindre petite inclusion peut se répercuter 5 à 6 fois et donner l’impression que la pierre est très incluse alors que ce n’est pas le cas. C’est une responsabilité que l’on n’attribue pas à un débutant. Il faut en regarder beaucoup et exercer longuement son œil avant de pouvoir être compétent pour le tri. La taille marquise est généralement la fantaisie que nous apprenons à trier en premier, sans doute parce que c’est la plus complexe à appréhender. Si l’on est capable de bien expertiser une marquise, il y a de fortes chances que l’on soit capable de bien « voir » à l’intérieur d’une poire, d’un ovale, d’une taille à degrés et des différentes tailles fantaisies existantes.

IH : La taille marquise présente-t-elle donc une complexité particulière ?

Selon moi, c’est la taille la plus complexe à expertiser parce qu’il y a énormément de reflets et certains peuvent être trompeurs, s’assimiler à des imperfections.

Le premier cas concerne le « graining ». Il s’agit d’un défaut dans la structure atomique du diamant. Plus précisément ce que l’on appelle une « déformation plastique » qui amène les atomes de carbones à se métamorphoser et à rompre entre eux. L’« internal graining » se retrouve dans la matière et l’« external graining » sur les facettes où il peut être confondu avec une trace de poli.

Le deuxième cas concerne un défaut de « make », c’est-à-dire que la pierre n’est pas très bien taillée. Ces défauts se voient tout de suite.  Nous avons aussi le cas où les traces de poli réalisées par le diamantaire peuvent se confondre avec les facettes. Celles-ci se reflétant énormément entre elles dans ce type de taille, seule l’expérience nous permet d’identifier ces défauts. 

Un autre critère très important pour juger une taille marquise sera la symétrie. Je vais y apporter beaucoup d’attention car les facettes doivent être parfaitement symétriques entre elles. Si ce n’est pas le cas, un effet « bow-tie » (nœud papillon) peut apparaître. La réfraction de la lumière donne l’impression que les zones foncées ressemblent à un nœud papillon. Si la symétrie ou les proportions ne sont pas parfaitement respectées sur une taille marquise, des facettes vont s’assombrir au centre de la pierre, provoquant cet effet « bow-tie » (il correspond à une fuite de lumière sur les deux côtés du diamant). Ce défaut, que l’on retrouve aussi dans les tailles poire, éteint un peu les feux de la pierre. Mais il est presque impossible à supprimer complètement, même sur un diamant très bien taillé – cela fait partie de la forme de la pierre – il faudra le minimiser autant que possible.

Je vais ensuite regarder les pointes, l’endroit le plus fragile du diamant. Lorsque le gemmologue expertise une marquise, il ne le saisira jamais par les pointes mais toujours par les côtés pour ne pas risquer de les endommager.  D’ailleurs, ce type de pierres est presque toujours serti en V sur les pointes, pour les protéger. Cela est vrai aussi pour les tailles poire, qui présentent la même fragilité.

Concernant la couleur d’un diamant marquise, elle peut apparaître légèrement plus teintée sur les pointes si elle n’est pas excellente. En effet, la couleur peut avoir tendance à se concentrer dans les pointes et ainsi en modifier notre perception, la révélant plus colorée qu’elle ne l’est en réalité.

Une autre caractéristique de la taille marquise est la surface importante de la table. Lorsque vous la comparez avec une taille brillant du même poids, la marquise paraitra beaucoup plus grande. Cela s’explique par le fait qu’il y a plus de matière sur la couronne que sur la culasse.

IH : Parlez-nous des proportions idéales de la taille marquise

La marquise peut prendre différentes formes, elle peut être plus ou moins arrondie, plus « dodue » ou au contraire plus allongée, cela dépendra des goûts des clientes. On parle alors de ratio (longueur de la pierre divisée par la largeur). Le ratio idéal se situe entre 1.95 et 2. Pour rester dans des proportions qui soient harmonieuses et agréables à l’œil, ce ratio doit se situer dans une fourchette de 1.75 à 2.25.

Plus le ratio est élevé, plus la pierre sera longue, effilée. Avec un petit ratio, la pierre donnera l’impression d’être un peu plus ramassée, plus arrondie. Cela dépend des goûts de la cliente. Nous avons le même phénomène avec les diamants poire, l’aspect esthétique et les proportions de la pierre vont varier selon le ratio. Pour parler de ces deux tailles, nous avons notre propre jargon : le « belly » (le centre, le cœur), les « wings » qui sont les côtés, que l’on appelle aussi les épaules et enfin les pointes. Voilà pour le vocabulaire !

IH : Quelles qualités doit avoir le brut dans lequel on taille une marquise ?

Aujourd’hui, les pierres brutes sont scannées et c’est le scan qui nous indiquera quelles tailles nous pouvons obtenir de ce brut en optimisant son utilisation par rapport à sa cristallisation, à ses imperfections et en perdant le moins de matière possible. Les diamantaires et même les grandes Maisons de joaillerie utilisent des technologies. Dans le cas d’une taille marquise, nous aurons besoin d’une surface assez allongée mais si nous sommes en présence d’un brut parfaitement octaédrique, c’est-à-dire d’une cristallisation parfaite, le diamantaire préférera tailler deux brillants plutôt qu’une marquise. La perte de matière sera moins élevée.

IH : Le diamant que vous avez choisi de nous montrer (photo), en quoi est-il exceptionnel ?

C’est une très belle pierre, tout d’abord par sa couleur E, ensuite par sa pureté IF, donc c’est un diamant totalement pur. Il est parfait ! Il a aussi des proportions très harmonieuses avec un ratio de 1.95. Quand j’observe sa symétrie, ses jeux de lumière, la présence ou non d’un « bow-tie », la finition des pointes, les traces éventuelles de poli, la fluorescence (elle n’en a aucune), la couleur… elle est tout simplement parfaite ! C’est une pierre incroyable.

IH : Est-ce que la taille marquise revient à la mode ?

Les tailles fantaisies brillantées, comparées aux tailles à degrés, demeurent les plus prisées notamment pour les bagues de fiançailles. La taille marquise n’est pas la fantaisie la plus demandée car elle va donner un bijou assez sophistiqué mais un grand joaillier de la place Vendôme nous en commande beaucoup, ce qui montre qu’il y a une clientèle en haute joaillerie sensible à l’élégance de cette forme de pierre. Les goûts varient aussi en fonction des marchés et je sais que les Américaines l’apprécient beaucoup. La taille marquise a été très utilisée pendant les années Art déco et le style de cette période, coté en joaillerie, a tendance à revenir à la mode. Mais le travail sur les pierres évolue constamment et se modernise avec le temps. On ne taille plus une marquise (qui compte aujourd’hui entre 56 et 58 facettes) comme il y a cent ans. De la même façon, la taille brillante, qui n’avait que quelques facettes au départ, en a 58 aujourd’hui.

IH : Comment parleriez-vous à une cliente du diamant marquise ?

Je lui parlerais d’abord d’histoire en évoquant une pierre de légende, le diamant Cullinan, le plus gros diamant brut jamais découvert. Il a été extrait en 1905 près de Pretoria en Afrique du Sud et pesait 3 106 carats. Cette pierre exceptionnelle a été fractionnée en 9 diamants parmi lesquels deux magnifiques marquises, déjà considérées à l’époque comme des tailles nobles.  Je parlerais ensuite du raffinement de la pierre. Portée en bague, elle allonge le doigt, donne de l’élégance. Enfin, je soulignerais la réfraction de la lumière unique d’une taille marquise, avec ces facettes complexes miroitant les unes contre les autres et faisant ressortir l’une des plus belles lumières que le diamant peut nous offrir.

Aujourd’hui, beaucoup de joailliers utilisent les diamants marquise en pierres de pavages, pour créer des mouvements, des paysages, des compositions. Les marquises ne sont plus seulement des pierres de centre comme avant bien qu’il y en ait de très belles, comme celle de la Maison Graff, le Pink Orchid fancy purplish-pink de 22,84 carats.

Qu’elle soit appréciée ou non, la taille marquise est multiséculaire. Du XVIIIème siècle à nos jours, elle a su séduire les plus grands joailliers à travers différentes époques. Complexe à expertiser, même pour un œil averti, du fait de son jeu de lumière unique, elle est aujourd’hui toujours utilisée en haute joaillerie plutôt sous forme de pavage, permettant ainsi de repousser les limites artistiques de la joaillerie.

Interview réalisé par Isabelle Hossenlopp