La série maudite de la contrebande, du blanchiment d’argent et des vrais-faux certificats du KP

Edahn Golan

Le Bureau international des stupéfiants et de l’application de la loi au Département d’État américain vient de publier un rapport qui indique : « Les garanties actuelles n’abordent pas la question du blanchiment de diamants et du transfert de valeurs à travers le Liban, directement ou par l’intermédiaire de commissionnaires d’achat libanais en Afrique. » Le rapport International Narcotics Control Strategy (Stratégie de contrôle des stupéfiants internationaux) précise dans son Volume II (Money Laundering and Financial Crimes, Blanchiment d’argent et crimes financiers) que « le Liban est confronté à des problèmes importants de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ; ainsi, le pays reçoit un afflux considérable de fonds, envoyés par des travailleurs ou des membres des familles expatriés. La Banque mondiale estime que ces montants ont atteint 8,4 milliards de dollars en 2010. »[:]

Bien que son style soit austère, ou peut-être bien grâce à cela, le rapport se lit comme un polar, les informations sont distillées au fur et à mesure pour finir par former une image complète, à l’instar de pixels à l’écran. Ce que le tableau illustre, ici, c’est la provenance de l’argent. J’espère que vous êtes bien assis.

La source de l’argent illicite
« Plusieurs Libanais à l’étranger sont impliqués dans des activités souterraines de financement et de blanchiment d’argent basé sur le commerce (TBML) (…) principalement issues de l’activité criminelle et du crime organisé à l’étranger, ainsi que du Hizballah [sic], que les États-Unis ont qualifié d’organisation terroriste. »
Ces expatriés en Afrique et en Amérique du Sud ont établi des systèmes financiers en marge du secteur officiel. « Les courtiers et commissionnaires d’achat de diamants libanais feraient partie d’un réseau international de négociants qui participent à des activités souterraines, comme le trafic des diamants du conflit, la fraude dans le commerce des diamants (le contournement du Kimberly [sic] Process) et le TBML. »

D’où proviennent les diamants ?
En 2009, une équipe d’enquêteurs du KP s’est rendue en Guinée après la publication de rapports sur une contrebande de masse dans la région. Elle a constaté que, depuis avril 2007, et au moins jusqu’à la fin de l’année 2008, les exportations ont connu une expansion vertigineuse. Brusquement, d’importantes cargaisons, fortes de dizaines de milliers de carats, ont commencé à être exportées.
Une analyse des marchandises par type a montré que la matière des produits de ces exportations ne correspondait pas aux caractéristiques d’une production guinéenne. La plupart étaient signalées comme diamants noirs, d’une valeur d’environ 2 dollars le carat. En 2007 uniquement, les exportations de bort ont bondi d’environ 633 000 carats. En 2008, les chiffres mentionnaient près de 2 millions de carats supplémentaires.
En comparaison, en 2006, la production en Guinée avait totalisé 473 862 carats, dont le bort ne représentait que 35 000 carats !
Ne vous laissez pas abuser par le faible coût de ces marchandises. La valeur totale déclarée, lors de cette hausse des exportations, a dépassé 3 millions de dollars en 2007 et approché les 13 millions de dollars en 2008.

Le parcours des marchandises
Deux questions viennent à l’esprit : d’où provenaient les marchandises et où sont-elles allées ? Le consensus parmi les personnes impliquées, c’est que la plupart des marchandises provenaient de Marange, au Zimbabwe. Cette information a peut-être constitué un point important pour le KP lors de ses négociations avec le Zimbabwe.
Pour répondre à la seconde question, nous n’avons pas besoin d’aller beaucoup plus loin que les rapports annuels du KP. Suite aux 186 365 carats importés en 2006, les importations de brut du Liban ont grimpé jusqu’à 1,7 million de carats en 2007 (+816,5 %) et à 2,4 millions en 2008 (+39,6 %).
Ces marchandises ne sont pas taillées au Liban, elles sont exportées. Le Liban n’est qu’un poste d’échange. « Les garanties actuelles n’abordent pas non plus la question du blanchiment de diamants », explique le rapport Money Laundering and Financial Crimes.

Des transactions inhabituelles
Cette affirmation pourrait avoir pour origine les valeurs rapportées pour les exportations de brut : elles ne sont pas logiques, économiquement parlant.
En 2006, une année « normale » pour le commerce de brut dans le monde, la valeur moyenne du brut passant par le Liban a augmenté de 156,7 % (!), d’où un fantastique retour sur investissement pour la « marque » Liban, et un rêve un peu orgasmique pour tout négociant de brut basé à Anvers, Mumbai ou Ramat Gan.
En 2007, les exportations étaient évaluées à 18,6 % de plus que les importations. Depuis, une issue étonnante est intervenue : en 2008, la valeur moyenne des exportations équivalait à celle des importations. En 2009 et 2010, la valeur moyenne des marchandises avait dégonflé, en baisse respectivement de 40,8 % et 10,1 %.
Si les transactions ne semblent pas logiques au plan économique, c’est qu’elles doivent afficher une valeur cachée, comme par exemple le blanchiment d’argent.

Le parcours des marchandises, deuxième version

  • Environ 3 millions de carats ont été extraits au Zimbabwe et passés en contrebande en Guinée en 2007-2008
  • En Guinée, les marchandises ont été illégalement certifiées KP pour l’exportation
.
  • Depuis la Guinée, les marchandises ont voyagé jusqu’au Liban en tant que marchandises légales, le but étant de transférer de la valeur
.
  • Du Liban, les marchandises atteignent rapidement d’autres destinations, telles que les Émirats arabes unis, pour finir par entrer dans le flux légitime des marchandises. Le rapport précise : « Les vulnérabilités du blanchiment d’argent aux Émirats arabes unis résident dans l’exploitation des passeurs de fonds, le secteur immobilier et l’utilisation abusive du commerce international de l’or et des diamants. »

L’avenir
Tout cela peut paraître négatif, mais ce n’est pas vieux. L’étude de ces activités s’appuie sur des documents existants, qui rapportent des données obsolètes. Rien n’indique que cela ait évolué. Le Zimbabwe a concentré une grande partie de l’attention jusqu’à aujourd’hui, mais il est temps de passer à autre chose. Une mission planifiée du KP, destinée à contrôler le Liban, a été reportée pour des raisons diverses, la plupart d’ordre politique. La nécessité d’une telle opération est évidente :

  • Le KP doit sévir face à l’utilisation de vrais-faux certificats portant son nom, et concernant des marchandises de contrebande.
  • Le KP doit étudier le cas du Liban et organiser une mission d’examen du pays.
  • Il faut sanctionner les pays qui autorisent des activités illicites comme la contrebande, le blanchiment d’argent et le commerce de certificats du KP.
  • Il faut envisager d’élargir le KP au-delà des transferts de brut, afin d’intégrer les transferts d’argent. Le KP est né suite à des déclarations publiques et des levées de boucliers. Sa raison d’être est l’action, voire la réaction, le but étant de transformer les appels publics en actes. Il en a l’occasion aujourd’hui.

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