Actuellement, l’approvisionnement responsable et le suivi de l’origine des diamants bruts sont des sujets vivants et largement discutés dans l’industrie.[:] Récemment, Human Rights Watch a une fois de plus critiqué les détaillants de bijoux, soulignant que tous n’étaient pas en mesure de fournir des informations sur l’origine des marchandises qu’ils vendent. Parallèlement, plusieurs sociétés tentent de mettre sur pied leur propre système de suivi. Récemment, IBM a annoncé avoir créé une chaîne de confiance (TrustChain) pour l’industrie des bijoux. Plus tôt encore, De Beers avait lancé le développement d’une plate-forme Blockchain dans le même but.
Aujourd’hui, la Russie se met à la page et a peut-être même devancé la tendance à certains égards. En marge de la réunion annuelle organisée par le Responsible Jewellery Council (RJC) à Moscou au cours de la semaine du 14 mai, les représentants du ministère des Finances de la Fédération de Russie, qui régule ce marché dans le pays, ainsi que des responsables d’ALROSA, le plus grand minier de diamants au monde, ont annoncé avoir engagé des opérations à grande échelle dans ce domaine depuis longtemps.
Le régulateur protège le marché
Alexey Moiseev, ministre adjoint des Finances pour la Fédération de Russie, a déclaré que conformément à la décision des autorités, un projet pilote à grande échelle démarrerait dans le pays le 1er juin 2018, afin de marquer les bijoux. « Pour la première étape, les autorités gouvernementales, les fabricants de bijoux et les sociétés d’extraction minière et de fabrication échangeront des informations entre eux. Cela concerne aussi bien les marchandises fabriquées en Russie que celles qui sont importées. Ces informations seront échangées entre les participants du système : le service des douanes, la chambre des essais, le ministère des Finances et les acteurs du marché », a expliqué Alexey Moiseev.
Le système pilote est étayé par les solutions mises au point en Russie et il est déjà en cours de test. Au cours de la prochaine étape qui débutera en 2019, tous les bijoux d’une boutique porteront un code QR spécial. « L’acheteur d’un bijou pourra scanner son code à l’aide de son smartphone et recevoir des informations sur le lieu d’extraction et d’affinage de l’or, le lieu d’extraction et de taille de la pierre, le lieu de fabrication du bijou, etc. », a expliqué le ministre adjoint.
Il a expliqué que le principal objectif de ce travail était de protéger les consommateurs des produits contrefaits et de mauvaise qualité, dont la présence sur le marché pose problème au régulateur. « Malheureusement, il existe à l’heure actuelle des marchandises de qualité insuffisante sur le marché – il arrive que le poinçon sur un bijou ne corresponde pas à ses véritables caractéristiques. Cela explique les plaintes que nous recevons de temps à autre, selon lesquelles « les diamants de la bague se sont rayés, le métal a changé de couleur, il est devenu noir ou vert ». Pour éviter cela, nous développons un système qui permettra de contrôler parfaitement le marché et de protéger totalement le client, pour qu’il ait confiance en ce qu’il achète. Le client pourra voir toutes les informations dans ce système. Si une information ne correspond pas à ce que dit le vendeur, cela signifiera que l’article est faux. De même, le client peut être certain que la pierre qu’il achète est vraiment naturelle, et pas synthétique », a expliqué Alexey Moiseev.
Selon lui, le ministère des Finances étudie simultanément plusieurs technologies, principalement développées en Russie, qui permettront aux fabricants de placer ces informations non pas sur l’étiquette mais sur le bijou lui-même – à la fois sur le métal et sur la pierre. Par la suite, le régulateur adoptera le marquage des bijoux et agira étape par étape, dès que les services compétents et les fabricants seront prêts.
« Notre objectif ultime est de parvenir à un marquage lisible par ordinateur, non seulement sur les bijoux, mais aussi sur leurs éléments, c’est-à-dire le sertissage et les inserts. Actuellement, nous étudions les technologies de marquage, tout d’abord celles développées en Russie, mais nous nous intéressons également aux techniques de marquage appliquées aux diamants. Ceci dit, le système devrait faire en sorte que ces données puissent être sauvegardées et transférées tout au long des étapes, même pendant les opérations de traitement, par exemple sur un diamant brut ou un lingot d’or. Il s’agit d’un système intégré plutôt complexe, bien plus sophistiqué que tout ce qui a été créé. Chaque bijou laissera une « trace » numérique immuable, à chaque étape. C’est pratiquement un « Big Brother » », a-t-il expliqué.
ALROSA répond aux besoins des consommateurs
ALROSA travaille également au développement d’un système de traçage. « Nous ne sommes en aucun cas incités à agir par le gouvernement, même si nos efforts pour résoudre un même problème ont coïncidé, a expliqué Sergey Ivanov, PDG d’ALROSA. ALROSA travaille depuis longtemps à son propre système de traçage car nous constatons l’évolution des besoins des consommateurs comme des détaillants. Les maisons de joaillerie sont très demandeuses, non seulement aux États-Unis, mais également en Chine, en Inde et au Moyen-Orient. Les consommateurs d’aujourd’hui sont bien sûr intéressés par les prix et la qualité des bijoux, mais la composante éthique, l’histoire de la pierre comptent aussi. »
Selon Sergey Ivanov, ALROSA développe actuellement son propre prototype afin de suivre l’origine et le trajet d’une pierre, notamment le développement d’une plate-forme numérique sur laquelle un client aura accès à toutes ces informations. Elle devrait contenir l’ensemble des données – des dates et lieux d’extraction d’une pierre aux dates et lieux de taille. « Technologiquement, on peut même retrouver le nom du tailleur si ces informations peuvent intéresser le client. »
« Réputation, marque de diamants bruts de Russie, respect des normes éthiques et environnementales, qualité de la taille dans le pays, traditions de bijoux russes… il est très important que les clients puissent avoir accès à cette base de données en ligne, pour comprendre exactement que ce bijou est composé de diamants bruts extraits dans tel et tel pays, dont la Russie, et taillé dans telle et telle usine et qu’il n’y a pas d’éléments toxiques dans la chaîne de valeur qui pourraient changer l’avis qu’ils s’en font », a expliqué Sergey Ivanov.
ALROSA devrait lancer le développement de ce système sur des diamants bruts de grosseur importante. « Technologiquement, il n’est pas possible de transposer le système à toute la gamme des diamants bruts, a-t-il expliqué. Nous continuerons à étudier cette question et il est possible que cela ne soit pas du tout nécessaire pour les petites grosseurs. Ce sera au contraire essentiel pour les grosses pierres. Tout d’abord, il s’agit de pierres de qualité supérieure, à forte valeur ajoutée. Ensuite, les clients qui achètent ces pierres exigent plus que les autres ce type d’information. »
Au cours de la première étape, ALROSA inclura des diamants qui sont taillés dans sa propre filiale, baptisée BRILLIANTY ALROSA. Si Kristall, fabricant installé à Smolensk, finit par être intégré dans ALROSA, ce système pourrait aussi être testé chez eux. Ensuite, ALROSA étudiera comment impliquer d’autres acteurs du marché.
« Notre solution n’est pas une tentative pour nous protéger des autres systèmes en cours de développement par d’autres acteurs dans d’autres pays. Nous communiquons avec nos collègues et étudions aussi d’autres technologies. Cela ne pose aucun problème car, au final, nous résolvons un problème commun – renforcer la confiance des clients dans notre industrie. Je pense que la multiplicité des systèmes du marché sera mutuellement bénéfique et que les clients choisiront la plate-forme qu’ils veulent utiliser », a ajouté Sergey Ivanov.
Des pratiques responsables
En faisant des recherches sur ce sujet, nous n’avons pas encore trouvé de systèmes similaires utilisés dans d’autres pays, notamment ceux régulés par un gouvernement (Rough&Polished continuera malgré tout à enquêter). Il existe pourtant de nombreux systèmes du même ordre dans d’autres domaines. La « consommation responsable », sujet actuellement en vogue, oblige depuis longtemps les fabricants à fournir des informations complètes en ligne, en commençant par le lieu de production des matières premières. Il en existe des exemples dans les secteurs de l’alimentaire et des vêtements.
L’industrie des bijoux a toujours été l’une des plus difficiles à réguler. Sur leur parcours jusqu’à la boutique, l’or et les diamants taillés passent par de nombreuses étapes et entre les mains de nombreux intermédiaires. Cela complique le suivi des marchandises et laisse également de la place à la fraude. Nous savons tous que des diamants synthétiques sont vendus comme des diamants naturels, mais aussi que des diamants taillés de qualité assez moyenne sont vendus comme des pierres haut-de-gamme.
Si les projets indiqués voient le jour, cela protégera davantage les consommateurs – du moins les consommateurs de Russie et les clients d’ALROSA. Toutefois, comme l’a noté Alexey Moiseev, « le marché est désormais mondialisé et c’est pourquoi, si le suivi est optimisé dans certains pays, cela ne résout pas tout le problème. L’industrie a donc besoin, en premier lieu, d’efforts conjoints et de coopération. »