Il n’y a pas si longtemps, De Beers déclarait les années 2010 « Décennie du diamant ». La croissance en Chine et en Inde devait entraîner la demande, alors que les États-Unis engageraient de petites étapes pour sortir de la récession. C’est en tout cas ce que prévoyait Varda Shine, alors responsable du bureau d’approvisionnement de De Beers, la Diamond Trading Company (DTC), dans un entretien de 2010 avec Rough & Polished.Et en un sens, elle avait raison. Ces 10 dernières années, les consommateurs chinois sont apparus comme des acteurs influents de l’industrie diamantaire. Par moments, cela a profité au marché. Entre 2010 et la mi-2011, par exemple, des bijoutiers comme Chow Tai Fook et Luk Fook, installés à Hong Kong, ont accéléré leur expansion en Chine continentale, provoquant un bond agressif et probablement spéculatif des prix du taillé.
À d’autres moments, toutefois, l’influence de la Chine sur le marché s’est montrée moins prononcée. Après 2011, la croissance a ralenti. Les bijoutiers ont admis que leur expansion avait été trop agressive et que leurs stocks étaient finalement excessifs. Rappelons également la campagne anticorruption engagée par le président Xi Jinping au début de son mandat, laquelle a limité les achats de luxe. Plus récemment, la guerre commerciale entre États-Unis et Chine a accentué la prudence des consommateurs, comme celle de l’industrie.
Ces événements ont joué sur la demande de diamants, en particulier les 0,30 carat à 0,50 carat, fortement demandés en Chine.
Varda Shine avait également raison dans son analyse des États-Unis, qui reste le principal marché de l’industrie diamantaire. Dans l’ensemble, les ventes internationales de bijoux en diamants ont pris 16 %, passant d’environ 65,3 milliards de dollars en 2010 à 76 milliards de dollars en 2018, d’après De Beers.
Un marché turbulent
Malgré la hausse de la demande de bijoux en diamants, la décennie s’est caractérisée par davantage de turbulences pour le marché. La filière intermédiaire était aux prises avec une faible rentabilité sur la fabrication, des liquidités réduites, une baisse du crédit bancaire, une évolution dans les habitudes de consommation et des stratégies de retail et l’absence d’équilibre entre offre et demande. Le revirement financier de 2008 a entraîné un resserrement des critères de conformité de la part des institutions financières, ce qui a réduit les crédits bancaires. Résultat : les fabricants ont dû commencer à financer eux-mêmes une plus grande part de leurs achats de brut, qu’ils ont maintenus alors même que les sociétés minières conservaient des prix élevés par rapport à ce que les tailleurs obtenaient sur le taillé. Alors même que les détaillants de bijoux se montraient plus prudents sur leurs achats de taillé pour les stocks, trois nouvelles mines sont entrées en service en 2017, relevant l’offre jusqu’aux niveaux d’avant 2008, pour finir par encombrer la filière intermédiaire. Dans cet environnement, les prix du taillé se sont effondrés. L’indice RapNet (RAPI™) pour les diamants de 1 carat a perdu 17,7 % entre le 1er janvier 2010 et le moment où nous rédigeons, le 25 décembre 2019. Parallèlement, sont apparus les consommateurs de la génération Y, les principaux clients des bagues de fiançailles. Leur engouement pour la technologie a entraîné un virage considérable dans les méthodes de marketing et de vente des détaillants.
Le changement, la seule constante
Le côté positif, c’est que l’industrie a réalisé des avancées significatives ces deux à trois dernières années pour parvenir à évoluer au sein de cette volatilité persistante. Le point le plus important est peut-être son acceptation de la technologie pour améliorer l’efficacité. Les entreprises à tous les niveaux de la filière devront se montrer plus efficaces si l’industrie veut se développer, étant donné tous les changements qui l’attendent. Dans 10 ans, elle sera très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Voici nos 10 prédictions pour l’évolution du marché dans les années 2020. Peut-être vaudrait-il mieux les considérer comme des aspects à mettre en place pour assurer la croissance. D’une façon ou d’une autre, nous pensons qu’elles seront meilleures que les années 2010 et mériteront peut-être le titre de « Décennie des diamants ».
1. Une offre de brut en baisse
Les sociétés minières disposent actuellement d’importants stocks de brut qui ne se sont pas vendus en 2019. Le rapport de recherche Rapaport craint que ces marchandises puissent être forcées à entrer sur le marché cette année, et ainsi prolonger les difficultés de la filière intermédiaire face aux excès de stocks à court terme. Toutefois, la production minière a atteint un plafond et nous pensons que l’offre de brut diminuera dans les 5 à 10 prochaines années car plusieurs grandes mines vont fermer. Argyle devrait être arrêtée en 2021, Ekati en 2023 et Diavik en 2025. Dès lors, près de 25 millions de carats annuels seront enlevés au marché rien que dans les cinq prochaines années, si l’on se base sur la production de ces mines en 2018. Les sites qui devraient s’épuiser en 2030 comprennent la mine Gahcho Kué (6 millions de carats par an) et la mine Renard (2 millions de carats par an).La pénurie de brut, associée à une hausse de la demande extérieure aux États-Unis, en Chine et en Inde, devrait venir soutenir les prix du taillé dans les 10 prochaines années.
2. Des regroupements dans le secteur minier
La baisse de l’offre de brut est de bon augure pour les grands miniers, notamment ALROSA qui, selon nous, dispose des ressources de production les plus solides. Toutefois, les petits miniers pourraient souffrir d’une hausse des coûts d’exploitation et des difficultés économiques liées au développement d’une mine de diamants. Certaines structures, comme Trans Hex, et des miniers ayant un seul actif, comme Firestone Diamonds et Stornoway Diamond Corp., ont déjà du mal à se maintenir à flot. Des mines rentables il y a 10 ans, à l’époque où a été prise la décision de développement, ne sont plus viables aux niveaux de prix actuels. De nouveaux miniers juniors devraient quitter le marché. Seules les sociétés ayant de gros volumes de production et des grades de valeur supérieurs survivront.
3. Un marché secondaire en effervescence
À mesure que l’offre de brut va baisser, les bijoux recyclés deviendront une source de plus en plus importante de diamants. Rapaport prévoit déjà que les bijoux de succession joueront un rôle essentiel et s’intéresse de près au marché secondaire. La société a en effet organisé des enchères de diamants recyclés au cours des cinq dernières années. Ces marchés devraient, selon nous, se développer dans les années à venir car les baby-boomers vieillissent et cherchent à liquider des actifs de grande valeur qui plaisent à la génération Y, pour leur caractère unique et les garanties éthiques qu’ils apportent. En outre, la Chine deviendra une source de diamants recyclés, à mesure que son marché deviendra plus mature.
4. Des changements dans les achats de brut
Dans les 10 prochaines années, la filière intermédiaire devrait devenir plus efficace. Les fabricants chercheront à produire du taillé en fonction de la demande. La première étape concernera les achats de brut. Les fabricants souhaitent réduire leurs stocks de marchandises difficiles à vendre. Ils n’achèteront donc que le brut dont ils ont besoin pour répondre aux commandes de taillé. Les achats à la demande devraient ainsi devenir le mode de fonctionnement privilégié pour le brut et des systèmes comme la plate-forme Clara de Lucara seront plus recherchés. Cela imposera des pressions à De Beers et ALROSA, les obligeant à ajuster leurs systèmes contractuels respectifs à plus long terme.
5. Une filière intermédiaire épurée
Le secteur de la fabrication devrait se réduire dans les années à venir, soit par le biais de fusions, soit par le biais de fermetures des entreprises non rentables. Les grands acteurs gagneront des parts de marché. Les tailleurs spécialisés trouveront leur place. Les négociants connaissent eux aussi des pressions. « Le fournisseur du fournisseur de tout le monde essaie de vendre au client du client », comme l’a fait remarquer Martin Rapaport, le président de Rapaport, dans une présentation récente. Mais ce modèle n’est pas durable. Les miniers sont les milieux placés pour extraire les diamants, les fabricants pour les tailler et les détaillants pour les vendre. Par conséquent, les négociants pourront retrouver de l’importance en capitalisant sur leur rôle d’intermédiaire : en faisant le lien entre les différents segments du marché et en offrant aux détaillants, comme l’a indiqué Rapaport, « les bonnes marchandises au bon moment et au bon prix ».
6. Un financement alternatif
Les banques traditionnelles, et tout particulièrement en Inde, continueront de se retirer du financement du marché diamantaire. Dans le même temps, de nouveaux instruments vont devenir disponibles et seront acceptés, proposant ainsi d’autres modes de financement. Citons par exemple les prêts appuyés par des garanties ou des titres, les échanges de jetons de crypto-devises et même le financement participatif. Ces alternatives ne vont pas totalement remplacer les crédits bancaires mais elles aideront à alléger les problèmes de liquidités de la filière intermédiaire. Dans l’ensemble, la moindre dépendance du marché sur le crédit bancaire va renforcer sa quête d’efficacité.
7. Plus de technologie
La technologie jouera un rôle plus important pour optimiser le processus de fabrication. L’intelligence artificielle va se révéler avantageuse pour automatiser la taille et la certification des diamants. Ainsi, certains emplois deviendront inutiles, certains changeront, mais la valeur ajoutée viendra du raccourcissement des délais nécessaires pour amener un diamant de la mine à la boutique. La filière intermédiaire intégrera davantage la technologie dans ses plates-formes de vente, en se reliant à divers programmes de la blockchain pour prouver l’origine des marchandises. Les détaillants utiliseront également davantage de technologie, avec un accent mis sur l’omnicanal – l’interaction entre les ventes en ligne et en boutiques. Les bijoutiers capables de se fournir dans les stocks virtuels des fournisseurs – qui devront publier de belles images et des détails transparents – pourront assurer un achat plus fluide, de meilleure qualité, pour les consommateurs. Quant aux fournisseurs, ces services deviendront aussi importants que le diamant vendu, si ce n’est plus.
8. Des diamants éthiques
Des diamants d’origine responsable pourront clairement se distinguer de ceux qui ne le sont pas. Les marques seront prêtes à payer un premium pour les premiers. Depuis 10 ans, les discussions sur l’éthique ont eu tendance à s’éloigner du Kimberley Process (KP) pour évoluer vers les audits des sociétés par le biais de programmes tels que le Responsible Jewellery Council (RJC) et les Best Practice Principles (BPP) de De Beers. Plus récemment, les efforts se sont intensifiés afin de suivre chaque pierre dans sa transformation entre sa forme brute et le bijou. Ce domaine n’en est encore qu’à ses prémices mais les programmes de traçabilité vont devenir une part essentielle de l’identité d’un diamant. En outre, ce qui définit un diamant de source éthique va s’étendre à l’identité de la société qui l’extrait, le fabrique et le vend. Au moment de choisir où acheter un bijou, les clients seront de plus en plus informés des activités RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) de chaque organisme.
9. La segmentation des synthétiques
Une séparation entre diamants naturels et synthétiques est également imminente. Le débat autour des synthétiques se poursuivra à mesure que ceux-ci trouveront leur place sur le marché – ou, comme nous le pensons, se segmenteront dans leur propre catégorie. La ruée actuelle des fabricants et des détaillants vers les synthétiques atteindra un point de saturation car le marché sera encombré. La production continuera à se développer à mesure que la technologie va s’améliorer. Les prix vont baisser en raison d’une hausse de l’offre. Enfin, De Beers s’établira comme un fournisseur clé, capable de fixer les prix du marché de gros. La demande va également s’améliorer. Davantage de synthétiques seront utilisés dans les bijoux bas de gamme qui étaient jusque-là sertis de diamants naturels bon marché. En ce sens, les synthétiques auront un rôle à jouer pour combler la pénurie de l’offre. Certains détaillants au branding solide connaîtront le succès avec des synthétiques dans les bagues de fiançailles mais la part de marché de ce secteur sera limitée. En effet, le message diffusé par le secteur des diamants naturels à propos de la capacité – ou de l’incapacité – des synthétiques à conserver de la valeur sera finalement entendu des consommateurs.
10. Un marketing générique complexe
Les consommateurs vont obliger l’industrie à évaluer honnêtement ses pratiques commerciales et à diffuser un message authentique dans son marketing. La plus grosse difficulté que connaîtra le marché dans les années 20 sera d’augmenter la demande. L’industrie doit en particulier élargir la gamme des diamants recherchés, en inversant la tendance de ces 10 dernières années qui a consisté à se concentrer sur des catégories spécifiques. Elle devra également se montrer plus ouverte d’esprit et reconnaître la diversité de ses consommateurs. Le marketing a déjà fait un pas en avant vers plus de personnalisation. Le marché devrait selon nous élargir ses campagnes en conséquence, en ciblant les consommateurs individuels mais aussi des groupes spécifiques comme la communauté LGBTQ et les hispaniques. Pour y parvenir, l’industrie devra fortement augmenter le financement de son marketing – que ce soit pour une marque individuelle ou pour un marketing générique mené par la Diamond Producers Association (DPA) ou par tout autre organisme mandaté. Ce type de marketing sera essentiel pour aborder avec efficacité les changements à venir. Le marché diamantaire devra faire mieux que les 76 milliards de dollars de retail atteints en 2018. Ses ventes devraient dépasser les 100 milliards de dollars. C’est le défi que nous lançons pour les années 20, pour que la décennie mérite son surnom de « Décennie du diamant ».