Comment se préparer aux sanctions du G7 contre les diamants russes et garder une longueur d’avance sur la traçabilité des diamants ?
C’est la question qui était posée lors d’un webinaire organisé le 10 mai dernier par iTraceiT, spécialiste reconnu de la traçabilité, à des acteurs phares dans le secteur du diamant. L’expert Avi Krawitz, modérateur de la réunion, a demandé à chacun d’évoquer les défis auxquels il est confronté.
Ce webinaire est le premier d’une série d’événements à but pédagogique que iTraceiT Academy met en place.
Participants :
Ravi Bhansali, Managing Director of Rosy Blue Belgium
Allison Charalambous, VP for Responsible Sourcing and Sustainability at Brilliant Earth
Frederic Degryse, CEO of iTraceiT
Joey Lager, Chief Officer for Strategic Procurement at Rubel & Ménasché
Modération : Avi Krawitz, expert du diamant, journaliste et analyste
En introduction de ce webinaire, Avi Krawitz interroge les participants sur les conséquences pour eux depuis la mise en place des sanctions du mois de mars et rappelle qu’à partir de septembre, les mesures vont être plus restrictives (rappel du calendrier des sanctions).
La confusion des services douaniers
Sans attendre les sanctions, Allison Charalambous et Joey Lager ont affirmé avoir immédiatement stoppé l’achat ou la fabrication depuis des bruts acquis après le début du conflit. Depuis la mise en place des nouvelles règles, le problème auquel tous ont été confronté a été la panique des services douaniers qui ne semblaient pas avoir de guideline claire. Rosy Blue a fait l’amère expérience de marchandises bloquées parfois plusieurs semaines, y compris pour celles qui n’étaient pas concernées par les sanctions (lots de De Beers provenant du Botswana, mêlés provenant d’unités de transformation en Chine, marchandises en transit, …). Cette situation pourrait malheureusement perdurer. Ravi Bhansali évoque les pays non membres du G7 mais qui font du zèle en posant des questions incohérentes et sans rapport avec les sanctions ou encore un pays comme le Japon, appartenant au G7 mais interprétant les règles à sa manière… L’impression est celle d’une grande confusion. Rubel & Ménasché a connu les mêmes désagréments face à des services de douane mal coordonnés et ne sachant souvent pas quels documents réclamer pour laisser rentrer les diamants en France. (Supprimer la phrase qui suit)
Le « grandfather propocole »
Un autre problème se profile, celui des marchandises plus anciennes et dont la traçabilité ne peut plus être prouvée. Rosy Blue a vu des diamants de 20 ans bloqués en douane. Dans quelles conditions le « grandfather propocole » pourra-t-il s’appliquer ? (le « grandfather propocole » prévoit que les diamants achetés, transformés ou ayant transité par la Russie avant la mise en place des sanctions ne sont pas concernés par celles-ci. Il faut toutefois en apporter la preuve, ce qui est parfois impossible et pèse lourd sur les stocks existants – NDLR). Or, cette dérogation n’est pas encore confirmée.
Concernant les diamants plus récents, quid des bruts achetés entre les mois de mars et septembre, c’est-à-dire entre les deux périodes de sanctions (sachant qu’en septembre, elles deviendront encore plus restrictives) et qui reviendront sous forme de taillés après septembre ? Rubel & Ménasché s’attache à documenter au mieux tous ses stocks actuels mais manque de visibilité sur les documents qui seront demandés à partir du 1er septembre.
Anvers : un goulot d’étranglement ?
Le passage obligé par la bourse d’Anvers attise les craintes que le marché ne se retrouve complètement bloqué, avec des goulots d’étranglement et des retards de livraison importants. Il entraîne aussi un coût supplémentaire non négligeable, source de mécontentement des pays producteurs et des acteurs de la filière. Avi Krawitz souligne que des pays comme la Namibie, l’Angola, le Botswana se plaignent déjà à voix haute du préjudice causé et demandent l’assouplissement des sanctions. Rosy Blue estime que seulement 5% de ses diamants, qui viennent d’Afrique, finiront sur le marché européen mais tous devront passer par Anvers. Les pays exportateurs se plaignent d’une attitude discriminatoire (ils utilisent le terme de « néocolonialisme »).
Brilliant Earth soulève un problème plus grave encore, conséquence du premier. Certains de ses fournisseurs ne comptent pas assumer les coûts et les difficultés engendrés par la mise en œuvre des sanctions et menacent de ne pas s’y soumettre, voire de quitter la blockchain établie avec Brilliant Earth. Alors qu’elle attendait leur coopération, Allison Charalambous avoue avoir été très surprise de leur réaction et inquiète sur l’avenir des approvisionnements, surtout à l’approche de la période de mise en place des sanctions (« sunrise period »). Un seul point de contrôle à Anvers est insuffisant, pourquoi ne pas en imaginer un autre, peut-être au Botswana ? ajoute-t-elle.
Comment s’organise la traçabilité ?
Avi Krawitz estime que la crise russe aura au moins permis de sensibiliser davantage au problème de la traçabilité. Tout d’abord, qu’en est-il des mêlés, dont l’origine est réputée très difficile à établir ? Rubel & Ménasché met en avant sa capacité à tracer les mêlés dont il est un spécialiste sur le marché. Pour le diamantaire, qui se veut transparent avec ses clients (grandes Maisons de joaillerie), tout est documenté et audité, et ce depuis très longtemps. Pour aller encore plus loin, un projet pilote a été mis en place avec iTraceiT. Frédéric Degryse précise que, si iTraceiT ne peut pas garantir l’origine de chaque mêlé, ce qui est impossible, les différentes compositions de chaque lot (lorsqu’il y a plusieurs provenances) peuvent être données de manière fiable.
D’une façon générale, les sociétés présentes au webinaire ont déjà été éprouvées par l’exigence de traçabilité, ne serait-ce que par les sanctions appliquées au Zimbabwe ou pour la lutte contre les diamants de synthèse. Rosy Blue contrôle parfaitement sa chaîne de production après avoir réalisé des investissements importants dans les technologies, les méthodes et le personnel. Rubel & Ménasché a resserré sa liste de fournisseurs de bruts et ne vend que des diamants transformés par ses propres équipes, contrôlant ainsi toute la chaîne. Cela suppose une bonne anticipation des besoins des clients car rien ne sera sourcé à l’extérieur de ce cercle de partenaires de confiance. Brilliant Earth, qui utilise depuis longtemps une blockchain pour tracer le circuit de ses pierres de la mine à la vitrine, est déjà bien ancré dans la pratique. Une blockchain est évidemment l’outil le plus sûr et évite la multiplication des systèmes, à condition qu’elle soit renseignée de façon pertinente.
Avoir une vision à long terme
Prendre de l’avance, avoir une vision à long terme, c’est le message de Frédéric Degryse.
En termes de traçabilité et de transparence, les exigences dans ce domaine ne feront que s’amplifier, même une fois les sanctions terminées. D’autres demandes verront le jour. La plateforme de iTraceiT permet de suivre toutes les étapes d’extraction et de fabrication du produit et ne se limite pas aux pierres. Les métaux précieux, les packagings, les bracelets des montres, les composants des boîtiers, etc… peuvent en faire partie. Il ne faut pas se cantonner dans une « wait and see attitude ».
Quant à savoir si une blockchain fiable ou une revendication de traçabilité parfaite seront un avantage marketing indéniable, évidemment, ce sera un argument de valorisation utilisé pour susciter la confiance du marché et des clients. Mais attention à ne pas stigmatiser ceux qui n’auront simplement pas les moyens de les mettre en place tout en ayant une pratique tout à fait responsable et respectable, souligne Ravi Bhansali.
Appuyant ce point, Joey Lager ajoute qu’il faudra veiller à ce que ces technologies soient utilisées en bonne intelligence, avec une vraie valeur ajoutée et non dans un but purement marketing.
La mise en oeuvre des sanctions contre le diamant russe soulève encore beaucoup d’interrogations qui pèsent sur le bon fonctionnement des approvisionnements. En l’absence d’une clarification et d’un assouplissement dans l’application des mesures, le marché du diamant risquerait d’aller vers un goulot d’étranglement et l’éviction des plus petits prestataires. A suivre…
Source iTraceiT