Interview d’Edahn Golan – partie 2 : les bons vieux jours sont terminés, le métier a changé

Marianne Riou

Comme  promis, voici la suite de notre entretien avec Edahn Golan. Au programme diamants de laboratoire, marketing, transparence et dialogue avec le consommateur. Nos « dadas » quoi ! On espère que vous apprécierez…[:]

– Attaquons donc avec les diamants de laboratoire. Selon vous, en dehors du problème de l’escroquerie qui consiste à les mélanger sciemment à du mêlé, l’industrie a-t-elle admis leur présence et leur intérêt ? Il y a tout de même un marché, qui ne peut être négligeable, pour ce type de diamants ?

Les diamants de laboratoire sont un concept intéressant, notamment si l’on observe la réaction et l’attitude de l’industrie à leur égard. Peut-être en est-elle désarçonnée, mais il existe un marché pour les diamants de laboratoire de qualité.

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Aux États-Unis, il existe une gamme de prix très basse, appréciée des consommateurs, pour laquelle les diamants de laboratoire conviennent parfaitement. Il s’agit des bijoux de moins de 100 dollars. Pour rappel, les trois bijoux les plus vendus sur Amazon au cours de la saison des fêtes coûtaient tous moins de 30 dollars. Parmi les 20 articles les plus vendus, figurent deux bijoux en diamants, tous deux à moins de 50 dollars. Pour le Black Friday, le bijou vedette le plus vendu par Amazon était une paire de clous d’oreilles en diamants I1 et I2, avec des piqués de 0,025 carat et de l’or 14 carats. La grosseur, la couleur et la pureté des diamants de ces articles sont tous bas-de-gamme. Il y a bien entendu davantage de bijoux en diamants à mesure que l’on monte en gamme, par exemple à 250 dollars et moins. Pourtant, beaucoup sont des couleurs HIJ et des puretés I1, 2 et 3. Il s’agit de la frange basse des diamants.

Maintenant, envisageons pendant un instant que les diamants de laboratoire soient un produit dépendant de la technologie. Comme pour n’importe quelle technique, deux tendances se dégagent : la qualité du produit s’améliore et le coût de production – et avec lui, le prix de vente – baisse. Les diamants de laboratoire coûtent déjà de 20 % à 30 % moins cher que les diamants naturels. Dans un avenir pas si lointain, les détaillants de masse, comme Amazon, pourraient continuer à proposer des bijoux en diamants pour 250 dollars maximum, mais remplacer les pierres naturelles HIJ/I-3 par des diamants de laboratoire présentant moins d’inclusions, mais qui coûtent moins cher que les diamants naturels qu’ils utilisent aujourd’hui et, de ce fait, augmenter leurs marges. L’idée n’est absolument pas extravagante.

Un tel processus permettrait de faire gagner des parts de marché aux diamants de laboratoire dans l’échelle basse de la gamme.

– Qu’en est-il du haut-de-gamme ? Les diamants de laboratoire sont-ils une menace pour les diamants naturels plus chers ?

Nous considérions que les diamants de laboratoire étaient liés à la technologie. Il faut se rappeler que, même si c’est vrai, la comparaison a ses limites. À la différence d’autres produits technologiques, nous ne pouvons pas ajouter des fonctionnalités aux diamants, comme on le fait avec un smartphone. Et surtout, les diamants ont une caractéristique unique : ils sont rares. Or, si vous pouvez fabriquer les diamants de laboratoire à la demande, la rareté disparaît et avec elle, cet attribut unique. C’est important. Prenons le cas de l’argent : les pays pourraient imprimer des billets à l’infini, mais ils ne le font pas. Pourquoi ? Parce que cela diminuerait la valeur de l’argent et entraînerait de l’inflation. Plus vous imprimez, plus la valeur diminue. Avec la plupart des produits technologiques, les prix diminuent et les fonctionnalités augmentent. Dans le cas des diamants de laboratoire, les prix vont baisser sans qu’il y ait de fonctionnalités supplémentaires, ce qui va nuire à leur positionnement de produits hauts-de-gamme.

L’avenir des diamants de laboratoire ressemble donc à celui d’un produit de niche. Ils permettront de faire de jolies choses mais semblent principalement destinés aux articles à bas prix.

Comme dans l’industrie diamantaire, certains profiteront certainement de leurs connaissances de la taille et de la création de bijoux, ainsi que de leurs relations avec les détaillants, et ils développeront une stratégie pour les diamants de laboratoire. Actuellement, ils s’inquiètent principalement de l’effet qu’aura leur introduction sur la valeur de leurs stocks.

– Que pensez-vous du débat qui oppose plus ou moins publicité de marque et publicité générique ? La De Beers investit beaucoup dans la promotion de Forevermark par exemple et la WDMF a peiné à se mettre en place. Pourquoi l’industrie hésite-t-elle autant à soutenir une telle initiative ?

L’industrie a grandement profité du poids de la De Beers. L’un des avantages a été la démarche inhabituelle engagée par la société pour faire de la publicité auprès des consommateurs. À l’époque, la De Beers fournissait près de 80 % du brut. Elle pensait qu’en faisant la promotion des bijoux en diamants, elle stimulerait aussi la vente des diamants bruts. Les fabricants et détaillants ont réellement apprécié que quelqu’un d’autre s’occupe de leurs besoins essentiels de promotion.

Tout a changé lorsque la De Beers a perdu en parts de marché. Je pense qu’aux alentours de 2007, ils fournissaient moins de la moitié du brut mondial. Ils ont réalisé qu’il n’était plus logique d’assumer l’ensemble du marketing générique, alors que leurs concurrents profitaient de plus de la moitié de ce budget. Ils ont donc décidé de réduire leurs efforts génériques et de ne promouvoir que leur marque.

Je ne considère pas forcément comme un échec le fait que l’industrie n’ait pas réussi à s’entendre sur le marketing générique. C’est probablement le résultat de la forte segmentation du secteur, notamment au niveau de la vente au détail aux États-Unis. L’industrie des sacs à main ne le fait pas non plus, pas plus que celle de la parfumerie. Cela arrive dans certaines industries agricoles aux États-Unis, assez consolidées.

– Parlons un peu « transparence ». Il me semble qu’on demande beaucoup à l’industrie du diamant, plus qu’à beaucoup d’autres industries en matière de transparence. Pourquoi selon vous ? Et, nous débattons de transparence et d’éthique souvent, contraints et forcés par les diamants de laboratoire ou le KP par exemple, mais j’ai l’impression que la réelle importance des problématiques de la RSE est encore étrangère à beaucoup dans notre industrie… Qu’en pensez-vous ?

Il est certain que l’industrie fait beaucoup de bien, sans compter les emplois assurés à environ 1 million de personnes, principalement en Inde et en Afrique. En outre, beaucoup d’acteurs de notre marché apportent une contribution importante à des œuvres sociales. Ainsi, des diamantaires indiens construisent et financent des écoles, des hôpitaux et d’autres services essentiels, pour l’autonomisation. Des sociétés israéliennes financent des soupes populaires pour les personnes dans le besoin, etc. À cet égard, l’industrie a de nombreuses raisons de s’enorgueillir, en particulier parce que la plupart des responsables ne se vantent pas à tort et à travers de leurs activités. Ils agissent, tout simplement.

En même temps, certaines pratiques doivent être améliorées : les normes de déclaration financière, la divulgation publique des prix des diamants, etc. Ces sujets font l’objet de nombreuses discussions dans l’industrie car beaucoup s’en inquiètent et se font les défenseurs d’une meilleure transparence. Cela ne peut être que positif. Je pense qu’une partie de la résistance que nous constatons depuis plusieurs années ne tient pas à la crainte que le monde extérieur découvre quelque chose de mal. Elle tient davantage aux valeurs traditionnelles de l’industrie. Lorsque les traditions sont bien ancrées, le changement est lent. Certains craignent le changement, beaucoup veulent s’assurer qu’il n’y aura pas d’effet délétère. D’une façon ou d’une autre, le changement est inévitable et nécessaire, il est donc voué à se réaliser.

En ce qui concerne les diamants de laboratoire, le grand sujet porte sur la décision de quelques-uns d’en ajouter à des plis de diamants naturels, sans le déclarer, ce qui est illégal et contraire à l’éthique. Il y a des comportements non éthiques partout, dans toutes les industries. Pourtant, ce n’est pas une excuse pour les tolérer. Au contraire, l’industrie doit faire son possible pour mettre un terme à ses mauvaises habitudes. Parfois, cela passe par un soutien apporté à des efforts législatifs novateurs, comme le KP. À d’autres moments, cela revient à interdire à une personne de négocier.

Pendants_Moments Collection_Nurture By Reena

– Je m’interroge toujours sur l’infinie distance entre le consommateur et l’industrie du diamant. La publicité générique vise à la réduire, certes. Mais pourquoi et comment notre industrie a-t-elle laissé les consommateurs s’éloigner autant ? Le diamant est une énigme pour beaucoup. Pour un consommateur lambda qui achète un diamant, c’est impossible de savoir réellement ce qu’il achète et, dans les pays occidentalisés du moins, les achats de diamants sont loin d’être la priorité que ce soit pour témoigner son amour ou se faire plaisir…

C’est une excellente question quand on parle de transparence. Les diamants présentent de nombreuses caractéristiques, pas simplement les 4C, il y en a d’autres encore. Pour établir le juste prix d’un diamant, il faut tenir compte de l’ensemble. Le problème est que, plus il y a d’informations, plus cette opération devient complexe. Je ne pense pas que cela soit nécessairement un souci. Je vous donne un exemple : un ordinateur portable ou une voiture comportent beaucoup de détails, d’aspects et de caractéristiques techniques, mais cela ne nous empêche pas de les acheter. Les consommateurs décident du niveau de détail qu’ils veulent connaître avant de prendre leur décision. Au niveau de l’industrie, nous devons mettre à disposition autant d’informations pertinentes que possible et rendre accessible au consommateur tout ce qu’il veut savoir. Au final, nous n’avons rien à cacher, donc aucun besoin de mentir.

Plusieurs questions méritent d’être abordées, notamment la façon d’introduire plus de transparence sur le marché, comment expliquer aux consommateurs les différentes normes de certification, comment faire le lien entre des prix basés sur les caractéristiques et les prix des marques ou comment produire plus de marketing sur les diamants.

L’époque de la campagne marketing générique de la De Beers, « A Diamond is Forever 1», est révolue. Inutile d’attendre que quelqu’un assume l’effort pour tout le monde, même si c’est tout de même possible. Chaque société doit investir dans son marketing et faire de son mieux pour susciter l’intérêt pour ses produits et améliorer la fréquentation de ses boutiques. La De Beers, qui a aidé le marketing pour tous, s’est désormais retirée. Cela nous oblige à nous défaire de l’idée quasi romantique du retour du sauveur légendaire sur son cheval blanc.

En réalité, la De Beers a beaucoup changé ces dernières années, à tel point qu’un grand nombre des notions relatives à sa qualité de dépositaire n’ont plus cours. Repensez à la façon dont elle vendait le brut. Auparavant, elle se considérait comme partie intégrante de l’industrie, avec un rôle d’intendance. Au fil des années, alors que les sightholders se sont plaints de la rentabilité auprès de la De Beers, la société a trouvé un moyen de la rétablir.

Aujourd’hui, sous l’égide plus solide d’Anglo American, le besoin d’afficher une rentabilité croissante et de soutenir la valeur des actions d’Anglo incite la société à optimiser ses prix. Dans ce qui pourrait devenir un entretien fondateur, Philippe Mellier, le PDG de la De Beers, a affirmé à Rob Bates que les marges brutes de 2,5 % des sightholders étaient suffisantes et il les a comparés à des concessionnaires automobiles. Cela en a fâché plus d’un dans l’industrie, qui entendaient pour la première fois que la De Beers ne s’intéressait pas tellement à leur rentabilité.

Le message aurait pu être délivré de façon plus élégante et moins agressive, mais le sens aurait été le même : les bons vieux jours sont terminés, le métier a changé. Au final, les sightholders n’ont d’autre choix que de bien en comprendre la signification. D’ailleurs, beaucoup adaptent déjà leurs attentes – et leur stratégie.

Edahn Golan et Marianne Riou
www.edahngolan.com


[1] Les diamants sont éternels

Photos Amazon et Nurture by Reena