Six mois ont passé depuis que la De Beers a sorti l’AMS (Automated Melee Screening), un dispositif révolutionnaire de détection des petits diamants synthétiques. [:]Toutefois, les premiers résultats ne semblent pas très rassurants pour le marché, que l’appareil devait protéger des pierres de laboratoire. Les diamantaires qui l’utilisent affirment rencontrer désormais le problème inverse : l’AMS classe certains diamants naturels comme des synthétiques.
Quand on prévoit d’acheter une pierre de prix, on ne peut pas courir le risque d’acheter à la place une pierre synthétique. En règle générale, les diamants de plus de 0,5 carat sont assortis d’un certificat d’origine. La catégorie la plus vulnérable est depuis longtemps celle du mêlé, des pierres allant de quelques centièmes de carat à 0,2 carat, très largement utilisées pour fabriquer des bijoux de grande consommation. Leur valeur est trop faible pour que chaque pierre d’un pli soit contrôlée. La plupart des diamantaires ne vérifient donc que quelques pierres sur chaque boîte, certains n’en vérifient même aucune. Il est donc plutôt facile d’ajouter des diamants synthétiques à des plis de mêlé : depuis deux ans, les histoires les plus scandaleuses de « saupoudrage » de synthétiques sont principalement associées à de petites pierres.
Toutefois, à l’époque, le marché ne disposait d’aucun dispositif capable d’effectuer des tests rapides et peu onéreux sur les petits diamants. De ce fait, certains diamantaires ne pouvaient que dénoncer une situation sans issue, d’autres en profitaient pour vendre librement des diamants synthétiques en guise de diamants naturels. Le lancement de l’AMS a été salué par une standing ovation du marché. L’AMS n’est pas destiné à la vente, au contraire d’autres d’appareils développés par la De Beers – la société propose à ses sightholders de l’utiliser, moyennant finance. La société n’a jamais communiqué la liste des clients qui l’avaient reçu pour l’utiliser par la suite. Lors des premiers mois, certains d’entre eux ont fièrement proposé de l’utiliser eux-mêmes mais, en fin d’année, le tapage autour du dispositif avait fait long feu et l’enthousiasme des débuts était apparemment retombé.
L’AMS effectue un examen spectroscopique, il évalue le niveau d’absorption lumineuse dans différentes parties du diamant. Plus de 95 % des diamants naturels présentent des inclusions d’azote (ce que l’on appelle les diamants de Type I), qui révèlent une empreinte spectroscopique traduisant leur origine naturelle. Il est extrêmement difficile sur le plan technologique de créer un diamant synthétique contenant le même type d’inclusions d’azote.
Le problème réside dans les quelques pourcents restants. Dans la nature, il est également possible de trouver des diamants naturels exempts d’impuretés d’azote, dits de Type IIa. D’après certaines recherches, les diamants de Type IIa se retrouvent dans la quasi-totalité des grands champs diamantifères existants, partout dans le monde. Statistiquement, ils sont plus prégnants dans les mines d’Australie, du Canada, de Russie et du sud de l’Afrique – c’est-à-dire qu’ils sont essentiellement vendus par l’un des quatre gros producteurs. « Nous nous sommes servi de l’AMS pour examiner nos stocks et nous avons été surpris de trouver un nombre important de pierres « synthétiques », a expliqué l’un des sightholders qui utilise l’AMS. Notre surprise a été encore plus grande lorsque nous avons vérifié les certificats d’importation : la plupart de ces pierres provenaient directement des miniers, ils avaient été achetés à l’occasion de tenders. »
Les diamantaires, qui achètent aux sociétés minières de petits diamants bruts de Type IIa, ne courent aucun risque. Étant les premiers acheteurs, ils connaissent l’origine des pierres. Il existe toutefois une menace pour tous les autres participants, plus bas dans la chaîne commerciale, qui utilisent ce brut pour fabriquer du taillé et des marchandises en diamants. Vu l’absence d’azote et l’absence quasi-totale d’autres inclusions, les Types IIa sont très prisés car ils sont transparents et incolores. On utilise donc la méthode CVD pour cultiver de grandes quantités de pierres de ce type, de manière artificielle.
« Franchement, nous ne savons pas encore vraiment quoi faire face à ce problème, a indiqué un sightholder. Notre AMS vérifie 360 diamants par heure. Sur ce total, de 5 à 10 pierres sont étiquetées « suspectes ». Pour confirmer leur origine naturelle, nous devons les faire examiner sur un équipement plus précis. Cette opération coûte environ 20 dollars par pierre. Pour les mêlés, la vérification de quelques pierres, même d’une douzaine seulement, peut rendre nulle la rentabilité de toute la boîte. En même temps, nous ne pouvons pas les vendre sans les vérifier. Si l’un de nos clients trouve un diamant « synthétique » à l’issue d’un test similaire, il sera inutile de lui raconter des histoires sur l’existence de différents types de brut. La plupart de ces pierres restent donc coincées dans notre stock, sans pouvoir circuler. »
À son tour, un autre sightholder a affirmé que sa société utilisait du taillé de sa propre fabrication, mais qu’il achetait aussi des plis sur le marché. « Si nous avons pu découvrir ce problème technologique d’identification des Types IIa, il est presque sûr que les producteurs de synthétiques sont au courant depuis longtemps. Comment peut-on être certain qu’ils n’essaieront pas de nous vendre à dessein des diamants CVD similaires ? Le marché a besoin depuis longtemps d’une machine comme l’AMS pour se protéger des diamants synthétiques. Mais, en fin de compte, nous sommes moins bien protégés qu’avant son arrivée. »
Une telle réaction fait naître des réflexions désabusées. Les gemmologues experts sont prêts à écouter les arguments relatifs aux différences dans la structure du réseau cristallin des diamants. Mais l’objectif ultime des machines de détection est de pouvoir les installer dans les boutiques pour convaincre les acheteurs que la pierre qu’ils achètent est naturelle. Or, dans la boutique, si un vendeur commence à évoquer les inclusions d’azote et de bore, l’acheteur lambda prendra son discours pour une nouvelle astuce marketing. Il faut donc bien admettre que le problème de l’identification des pierres synthétiques est encore loin d’être résolu. Les créateurs de cet équipement vont devoir imaginer une nouvelle catégorie d’appareils portatifs, qui associent plusieurs méthodes d’identification pour tester l’origine du brut et rendre leur utilisation véritablement universelle.
Mais un autre danger se profile. Si les technologies modernes font passer les diamants naturels pour des synthétiques, les producteurs de synthétiques vont avoir une nouvelle occasion d’affirmer fièrement : « Vous voyez, notre produit n’est en rien différent des diamants naturels. Même les appareils de la De Beers le confirment. »