Les détaillants américains vont ressentir les effets des prélèvements fiscaux sur les produits chinois. Ceux qui innovent et se diversifient disposeront d’un avantage.[:]
Bien avant que ne plane la menace des droits de douane sur les marchandises chinoises, les grands détaillants traditionnels aux États-Unis rencontraient des difficultés. Depuis le début de l’année, les détaillants américains font part de projets de fermeture de 7 000 boutiques, après en avoir fermé près de 6 000 en 2018, d’après le cabinet d’études et de conseils Coresight Research qui estime que le total pourrait atteindre 12 000 d’ici la fin d’année.
Le président Trump est sur le point d’imposer des droits de 10 % sur 300 milliards de dollars d’importations de Chine à compter du 1er septembre et l’initiative devrait avoir un impact important sur les détaillants et les consommateurs. La Chine fournit actuellement 42 % des vêtements, 73 % des appareils électroménagers et 88 % des jouets vendus aux États-Unis, d’après la National Retail Federation (NRF). Une analyse récente du site Internet d’enseignement et de recherche World’s Top Exports montre que la Chine est le plus gros exportateur de bijoux au monde. Avec 13,3 milliards de dollars d’expéditions de bijoux l’année dernière, le pays a représenté 12,9 % du total international.
Une situation volatile
« Pour le retail, ces nouvelles augmentations de droits auraient des conséquences jamais vues depuis des dizaines d’années, explique Johan Gott, directeur du consultant en gestion internationale et pratique de retail et de consommation A. T.Kearney. Plus de 100 milliards de dollars de marchandises de consommation seraient frappés de droits. »
Cela pourrait avoir un effet direct sur les résultats des détaillants, avertit Johan Gott. « Le coût des marchandises augmenterait. Les détaillants ont le choix entre absorber ce coût ou le reporter sur les consommateurs. Dans le premier cas, l’impact se ferait sentir directement sur les marges qui, dans la plupart des cas, sont déjà faibles. » Mais une hausse des prix pourrait ralentir les achats, explique-t-il.
Les détaillants aux prix remisés ou ceux proposant des marchandises ordinaires seraient les plus à risque, prévoit Tyler Higgins, un directeur du cabinet de conseil sur les pratiques de retail AArete. Si des industries comme celles des pièces automobiles ou des détaillants disposant d’une base de fabrication diversifiée seraient plus en sécurité, ils pourraient malgré tout souffrir de la situation, avertit-il. « Avec la hausse du marché boursier, l’optimisme règne. Lorsqu’il baisse, l’optimisme en fait de même. Les craintes en matière de droits de douanes entraînent une réaction similaire. »
Le retail aux États-Unis est déjà dans une situation volatile, poursuit Tyler Higgins. « Les prélèvements fiscaux ne sont que le prochain point de pression… qui menacera davantage de détaillants et provoquera encore plus de fermetures chez tous types de détaillants. Si les droits sont appliqués, nous pensons que les détaillants les plus innovants, ayant la clientèle la plus fidèle et l’approvisionnement le plus diversifié, seront en position d’augmenter leur avantage concurrentiel par rapport aux détaillants qui continuent à rencontrer des difficultés. »
Ce n’est pas « l’apocalypse »
Malgré ces craintes, Marie Driscoll, directrice générale de la mode et du luxe chez Coresight, demande de ne pas paniquer. Même si les politiques commerciales du président Donald Trump exacerbent les problèmes du retail, explique-t-elle, d’autres facteurs sont en jeu. Un rapport de Coresight du début d’année considérait 2019 comme une année de réinvention pour le retail, avec des offres plus « spectaculaires », fondées sur des données, et une intégration de plus en plus fluide de la technologie dans les boutiques traditionnelles, entre autres.
De surcroît, explique-t-elle, les propriétaires de boutiques et les analystes feraient bien d’arrêter d’utiliser le terme « apocalypse du retail » – ou tout autre terme, d’ailleurs – pour évoquer les droits de douane. Évoquant « une expression surfaite apparue il y a à peu près deux ans », elle explique que les craintes actuelles ne justifient pas ce langage hyperbolique mais qu’elles devraient provoquer de la flexibilité, de la diversification et de nouvelles formes d’approvisionnement.
« Les projets de droits ont plongé l’industrie dans un état d’indécision », signale-t-elle, ajoutant que même si les droits sont en suspens, l’industrie du retail ne doit pas se montrer trop optimiste, car les questions commerciales ne sont pas encore résolues. « Une diversification de production accrue, hors de Chine, est probable. »
Marie Driscoll n’imagine pas non plus que les consommateurs soient prêts à supporter des prix supérieurs de la part de boutiques qui ne parviennent pas à se diversifier. « Ce que les détaillants et les consommateurs doivent savoir, c’est qu’à court terme, à mesure que les détaillants et les marques se déplaceront vers d’autres régions pour leur approvisionnement en produits, l’écosystème des vêtements, des chaussures et des accessoires va avoir des difficultés à répondre à la demande que satisfaisait la Chine jusqu’à présent. Cela pourrait faire monter les prix des produits, comme l’aurait fait la hausse des droits de douane. Et vu la surabondance de la plupart des marchandises, il est peu probable que la hausse des coûts soit reportée sur le consommateur, sous la forme d’une augmentation des prix. »
L’impact sur les bijoux
Pour l’industrie des diamants et des bijoux, le projet de droits aurait un effet profond, explique David Bonaparte, président et PDG de Jewelers of America (JA). L’année dernière, les importations américaines en Chine concernaient plus de 2,08 milliards de dollars de bijoux, 233,1 millions de dollars de diamants et 1,07 milliard de dollars de pierres, d’après des données du Bureau américain du recensement. Dès lors, David Bonaparte affirme que les droits de douane, auxquels son organisation s’est opposée, pourraient avoir un effet sur les pierres naturelles et de culture, les diamants, les rubis, les saphirs, les émeraudes, l’or et les accessoires de bijoux en argent, les colliers en or et les pierres synthétiques.
« Même si la Chine doit être tenue pour responsable de ses pratiques commerciales inéquitables et que nous devons protéger la propriété intellectuelle et la compétitivité des sociétés américaines, imposer des droits de douane, qui transfèrent la majeure partie de la charge sur les consommateurs et les entreprises des États-Unis, n’est pas la réponse adaptée », affirme-t-il.
Pourtant, comme Marie Driscoll, il déconseille de tenir des propos alarmistes.
« Utiliser un terme comme « apocalypse du retail » n’aide pas à garantir la bonne santé de notre communauté de retail, explique-t-il. Le retail est vivant et nous n’avons pas à provoquer des peurs inutiles qui pourraient peser sur la confiance des consommateurs. »
JA surveille la question de près, ajoute David Bonaparte. « Nous avons emmené un groupe de joailliers à Washington D.C. pour notre réunion annuelle et avons demandé au législateur de faire pression sur l’administration Trump pour parvenir à un accord et mettre un terme à la guerre commerciale. Nous devons nous battre pour nos joailliers indépendants, afin d’assurer leur prospérité. »