Haute joaillerie : la place Vendôme vibre de couleurs et d’émotion

Isabelle Hossenlopp

Une pluie de carats et de pierres précieuses a inondé Paris pendant la Fashion Week du mois de juin. Les joailliers ont joué sur toutes les nuances de pierres précieuses et de pierres fines, comme des peintres avec leur palette. Couleurs franches ou pastel, dégradés, camaïeux, les combinaisons étaient multiples tant la nature est généreuse. Tailles cabochon, facettées, suiffées, classiques ou fantaisie, pierres brutes ou à peine polies, tailles dites « baroques » … lapidaires et diamantaires se font de plus en plus créatifs et fascinent par leur imagination.


Cartier Bague Triomphale, or blanc, rubis du Mozambique de 8,95 carats et diamants

En quatre parures, Fred a fait flamboyer opales, spinelle, grenats, turquoise, rubellites, tourmalines (ci-dessous une tourmaline bleu-vert de 9,40 carats), émeraudes de Colombie, saphirs du Sri Lanka … au cœur de sa nouvelle collection Monsieur Fred Ideal Light, évoquant tour à tour les paysages de ciel et d’océan, la culture et le folklore de l’Argentine où le fondateur Fred Samuel passa son enfance. La collection rendait hommage à cet amour de la lumière devenu signature.

Intensité de la lumière, italienne cette fois-ci, chez Bulgari. A l’occasion de son 140ème anniversaire, Bulgari dévoilait la collection Aeterna. De fabuleuses manchettes montres à secrets illustraient en un assortiment de pierres précieuses éblouissant le plumage d’un phœnix de parade ou l’éclat d’un feu d’artifice. Elles côtoyaient des joyaux dont la pièce maîtresse de cet anniversaire des 140 ans, un collier flamboyant de 140 carats de diamants, a révélé 7 pampilles taille poire D FL issues d’un même brut de 200 carats. 

Chez Graff , des diamants Fancy Yellow à profusion sertissaient colliers et bagues dans leur cocon étincelant de diamants blancs. Trois bagues retenaient l’attention par leur volume et leur dessin très architecturé mettant en lumière des diamants jaunes solaires (ci-dessous une poire de 5,17 carats) tout comme une manchette sertie d’émeraudes de Colombie (dont une très belle émeraude kyte) et une autre de rubis.

Les diamants jaunes et blancs avaient aussi l’exclusivité chez Messika à travers Midnight Sun, dédiée à la lumière de l’aube, cet instant suspendu où la nuit laisse place à la promesse du jour. Jouant des contrastes, explorant le clair-obscur, Valérie Messika a imaginé des parures en asymétrie, comme cette belle poire de 3,55 carats posée de biais sur le chocker White Midnight Sun en serti neige ci-dessous (en tout 2 400 pierres formant en un bombé parfait). Ailleurs, inspirée par le concept du vide et du plein, la création Diamond Frequencies réinventait la rivière de diamants en multirang de cercles d’or ovales, comblés de façon aléatoire par des diamants.  

Il y avait un parti pris chez Pomellato : passer de l’ombre à la lumière pour finir en une explosion de couleurs. Il l’a illustré de façon très originale en séparant sa collection The Dualism of Milan en deux chapitres, reflétant le caractère dual de la ville de Milan, son côté industriel, industrieux et son côté lumineux, ville de mode à l’avant-garde de la créativité.  Des cieux nocturnes, des spinelles d’un bleu sombre sur un tapis de diamants s’opposaient à des tourmalines, des tanzanites, des spinelles, des péridots rayonnants. De grosses pierres « taille baroque », simplement polies, conservaient leur forme originale à laquelle s’adaptait un serti irrégulier.

L’ombre et la lumière étaient aussi la signature de la nouvelle collection Carte Blanche Or Bleu de Boucheron. Abandonnant la vive polychromie de la session 2023, la directrice de la création Claire Choisne s’est inspirée d’un voyage en Islande où elle a été frappée par la puissance et le mouvement des eaux. Conçus en forme de cascades (un sautoir de diamant tombait en chute d’eau jusqu’aux chevilles), de lacs, de vagues, d’ondes de cristal de roche semé de diamants, les bijoux invitaient aussi le marbre et l’obsidienne. Mais la rupture claque avec les bijoux en sable noir compacté qui ont donné ce cachet si particulier aux créations Carte Blanche de Boucheron (ci-dessous).

Les joailliers aiment raconter des histoires. Leur héritage en est une source inépuisable. C’est le cas de Cartier, très inspiré par la nature et les animaux que la Maison a dessinés pour ses clientes célèbres. Au cœur de ce néo-bestiaire Nature Sauvage, la panthère a gardé une place de choix. Jamais Cartier ne l’aura déclinée en autant de parures, en équilibre sur des gemmes : Jaillissante, Observatrice, Constellée, Onirique, Evanescente, …  Ici, la Panthère des Glaces descendant sur sa banquise de diamants kyte et de cristal de roche a été un défi d’ateliers. Il a fallu superposer plusieurs niveaux pour recréer la profondeur et la transparence de la glace tout en gardant une composition articulée et parfaitement harmonieuse à l’œil. La maîtrise des volumes, la précision du dessin, l’excellence des savoir-faire animaient ces félins en majesté où le mystère (les animaux se dissimulent) attisait l’imagination.

Très attaché à son bestiaire, De Beers Jewellers a déroulé en parures les 8 bagues animalières qu’il avait présentées en janvier dernier, en hommage à la faune de l’Afrique australe, région d’où proviennent ses diamants (ci-dessous le collier Girafe). Le petit trésor de la collection Forces of Nature est un rarissime diamant orange vif de plus de 2 carats ceinturé de diamants taillés et bruts, créant une modernité que seul De Beers pouvait oser. La signature de la collection s’appréciait dans la subtilité des nuances (beaucoup de diamants jaunes, bruns, verts, gris, orangés…) et des tailles (facettées et brutes mélangées).

Trois thèmes ludiques, la danse, la magie et la musique, ont inspiré Chaumet pour sa collection Chaumet en Scène. Fidèle à sa signature, la Maison a imaginé ses pièces comme des lignes de lumière qui se croisent et se vrillent au gré d’un souffle invisible, créant des illusions d’optique. Reflétant un immense travail d’atelier, le collier Harmony formé d’entrelacs de diamants et de saphirs « bleu Chaumet » tout en fluidité (700 chatons et 2 800 griffes) était ponctué d’un diamant D FL Type 2A poire de 8,72 carats. La ligne torsadée du collier Illusion retenait de superbes rubis framboisés ovales et le collier Ballet, dont chaque motif semble une plume balayée par la brise, trois purs saphirs de Ceylan taille coussin de 8,03, 5,79 et 5,77 carats … le mouvement et l’épure, l’essence de Chaumet ! 

Il fallait bien 13 thèmes pour dévoiler l’ensemble des 220 pièces de la collection Awakened Hands, Awakened Minds de Louis Vuitton. Au XIXème siècle, lorsque Paris est devenu le centre du monde, les arts et l’artisanat français étaient réputés dans le monde entier. L’inventivité de l’époque a été transposée en pièces de joaillerie exceptionnelles, célébrant cette époque effervescente qui a vu naître la tour Eiffel. C’est elle qui domine la campagne de Louis Vuitton (ici le lien), toute lacée de fils d’or avec son rare diamant rose orangé de 56,23 carats, extrait d’une mine de Bornéo. Quant au collier Séduction, le plus sophistiqué de la collection, il a demandé 4 276 heures d’ouvrage et plus de 900 heures de développement. Il est serti d’une émeraude de Zambie de 12,92 carats (ci-dessous).

Jamais la couleur n’aura autant inspiré Pierre Hardy chez Hermès, dont les pièces de haute bijouterie Les formes de la couleur irradiaient d’un arc-en-ciel la présentation au Musée des Arts Décoratifs. Au-delà de l’esthétique pure, c’est plutôt autour d’une expérience, de la symbolique, de la perception de la couleur et de ses possibles interprétations que Pierre Hardy a fait ses gammes : une forme associée à une couleur, des nuances qui vibrent et se pixelisent, échappant au réel, un trait de pinceau qui se métamorphose en sillage de pierres précieuses… Les dégradés de couleur dévalaient en vagues, faisant vaciller les formes, allant crescendo, passant – chez Hermès aussi – de l’ombre à la lumière. La collection foisonnait de mille nuances, comme si les pièces étaient peintes par quelque artiste enthousiaste et amoureux. 

Front page image : Chaumet