La protection de l’environnement est devenue une préoccupation majeure mais il en est une autre tout aussi essentielle, le développement, le bien-être et l’autonomisation des populations locales qui participent à la création de la richesse des entreprises.
Nettoyage des diamants sur le site d’une mine artisanale, Kono, Sierra Leone
Dans le secteur du diamant, GemFair ™, un programme inclusif mis en place par le groupe De Beers en 2018, se situe sur cette trajectoire responsable. Il a pour objectif de permettre aux mines artisanales (ASM – Artisanal and Small-Scale Mining) d’exploiter et vendre leurs diamants dans des conditions de sécurité, respectueuses de l’humain et de l’environnement. Le programme garantit un accès au marché international du diamant en respectant toutes les normes exigées dans le secteur et développe parallèlement des actions en matière de financement, d’éducation, de santé, d’agriculture. L’objectif n’est pas d’être une organisation caritative mais d’amener les mineurs à devenir des acteurs autonomes et responsables sur le marché du diamant.
En octobre, GemFair a acheté son 10 000ème diamant, l’occasion de faire un bilan de son activité.
Rubel & Ménasché a eu le plaisir d’interviewer Feriel Zerouki, Senior VP of Provenance, Ethics & Industry Relations du groupe De Beers, responsable du programme Gem Fair.
IH : Le secteur de l’ASM (Artisanal and Small-Scale Mining) fournit entre 10 et 20 % de la production mondiale de diamants. Combien de personnes en vivent ?
Le problème des mines artisanales est qu’elles font partie d’un secteur informel, il n’existe donc pas vraiment de chiffres officiels. Nous nous basons sur les données disponibles auprès des gouvernements et sur les données mondiales dont nous disposons par ailleurs sur le diamant. Nous estimons qu’environ 1,5 million de personnes en vivent.
IH : Pourquoi avez-vous choisi de vous implanter en Sierra Leone ?
Effectivement, nous sommes uniquement présents en Sierra Leone (région de Kono) pour le moment. Nous avons choisi ce pays pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous avons observé que 50 % de la production de diamants y était artisanale, ce qui nous donnait une réelle opportunité de déployer notre programme. La deuxième raison est que le gouvernement avait développé toute une infrastructure pour soutenir la formalisation de l’ASM. Nous avons donc trouvé d’emblée un très bon partenaire, prêt à nous aider dans nos efforts. Nous prévoyons d’ailleurs de renforcer nos objectifs. La troisième raison est que la réputation du pays a été ternie par des films à succès basés sur des conflits historiques. Notre but était de changer le discours sur l’exploitation minière artisanale, que l’on considère souvent au prisme des diamants de conflit, mais en fait, le manque de moyens, la pauvreté, la subsistance sont au cœur du problème. Changer cette vision était extrêmement important pour nous car, pour la majorité, l’exploitation minière artisanale représente une histoire positive en ce qui concerne les moyens de subsistance.
IH : Les chiffres de production 2023 et 2024 des ASM qui travaillent avec GemFair montrent une progression substantielle, comment l’expliquez-vous ?
Le secteur minier artisanal est basé sur la confiance. Avant d’entrer en Sierra Leone et de nous engager, nous avons fait beaucoup de recherches pour comprendre l’écosystème du pays mais en-dehors des recherches universitaires et des documents d’ONG, nous ne trouvions rien qui nous donnait une image complète de la situation sur le terrain. La réalité est que les mineurs artisanaux ont été souvent exploités. Ils ont vu beaucoup de monde arriver et dire : « Je suis là pour vous aider, je suis là pour changer votre situation », et qu’est-il arrivé ensuite ? Ces personnes sont reparties, ou bien elles n’étaient venues que pour des projets à court terme ou des projets de recherche. Après leur départ, les mineurs qui avaient collaboré avec elles étaient devenus encore plus vulnérables. Or il existe un écosystème authentique dans le pays. Une fois que vous y êtes entré, vous devez vraiment prévoir d’y rester, pour établir la confiance. La plus grande préoccupation des mineurs artisanaux qui s’engagent avec nous est de savoir si nous allons rester et s’ils pourront vivre de leur activité. Si nous quittions le pays, ils se retrouveraient avec les acheteurs habituels, qui n’auraient peut-être pas été très heureux de les voir rejoindre notre programme… C’est pourquoi il y a eu une grande prudence à notre égard au début mais nous avons gagné leur confiance grâce à la façon dont nous avons interagi avec les mineurs, en travaillant avec eux. Puis le COVID est arrivé. Ils étaient angoissés à l’idée que nous allions fermer le programme et partir, comme beaucoup d’autres l’avaient fait avant nous. Mais nous avons choisi de réorienter notre activité et de fournir un soutien aux communautés minières par le biais de la sécurité alimentaire et de dispositions sanitaires pour les aider à traverser cette pandémie. Et c’est là que vous voyez l’augmentation de la production que vous avez citée, parce que les communautés ont compris que nous étions bien plus qu’un investisseur étranger, que nous nous avions une attitude citoyenne. Nous ne sommes pas partis et cela a renforcé leur confiance.
Mine artisanale : un mineur découvre un diamant
IH : Actuellement, nous traversons une période de ralentissement important du marché du diamant. Dans quelle mesure cela peut-il affecter vos relations avec les mineurs, en particulier votre politique d’achat ?
Malgré le ralentissement de l’industrie, nos règles d’engagement avec les ASM restent intactes. Tout comme nous travaillons à l’amélioration des normes avec le secteur minier artisanal, nous offrons le prix juste, basé sur notre catalogue mondial. Lorsque les prix fluctuent, nous prenons le temps de l’expliquer aux mineurs. Ils ont confiance en notre façon de travailler et nous continuons de proposer à leur acheter tout ce qu’ils nous proposent, ce qui permet de les maintenir dans la chaîne d’approvisionnement internationale.
La Responsabilité est également un sujet majeur. Nous restons très impliqués sur la remise en état des sites miniers et les initiatives environnementales de protection de la nature. Notre partenariat avec les mineurs artisanaux est fondé sur le long terme, ce qui nous permet de traverser ces différents cycles de l’industrie. Les mineurs les connaissent bien, ils sont dans le diamant depuis des centaines d’années, à travers leurs parents, leurs grands-parents, leurs oncles, etc. Ils sont très conscients de ce que peuvent être les cycles et de l’impact considérable que la volatilité a sur eux. La différence lorsqu’ils sont engagés avec nous, c’est la stabilité et la commercialisation durable.
Matériel d’enregistrement des diamants. L’une des missions de GemFair est de former les mineurs à l’évaluation de leurs diamants
IH : Quels sont vos projets, comment le programme GemFair va-t-il se développer ?
Nous avons bien progressé dans la région de Kono (Sierra Leone). Nous prévoyons désormais d’étendre nos activités, de nous installer à Kenema (Sierra Leone) et en Angola, pays avec lequel le groupe De Beers a un Protocole d’accord, annoncé en février dernier 2024 lors du Mining Indaba en Afrique du Sud. Actuellement, nous observons donc le fonctionnement du secteur minier artisanal en Angola pour nous assurer que le programme GemFair sera viable.
IH : Que fait GemFair pour garantir la traçabilité des diamants issus des mines artisanales ?
Chez De Beers, nous savons que la provenance des diamants naturels est extrêmement importante pour la confiance des consommateurs. Avec GemFair, nous avons un avantage majeur, nos diamants ont une histoire fantastique à raconter, que de nombreux consommateurs ne connaissent pas. Nous avons en fait commencé notre voyage en 2005, avant même que le mot « provenance » existe dans le monde de la joaillerie. C’était peu de temps après la mise en place du Processus de Kimberley, qui allait s’attaquer au problème brûlant des « diamants de conflit » touchant le commerce international des diamants bruts. Nous avons commencé à cartographier la chaîne d’approvisionnement pour savoir qui travaille chez les intermédiaires, qui taille et polit, où sont sertis les bijoux, qui sont les clients et comment nos diamants passent de la source à la vente au détail. L’objectif était de nous assurer que nos pierres parviennent jusqu’au consommateur d’une manière qui répondrait, et parfois même dépasserait, ses attentes en matière de Responsabilité. En 2009, nous avons créé notre programme « Pipeline Integrity », visant à identifier nos propres diamants par rapport aux autres pierres auxquelles ils sont mélangés tout au long de la chaîne d’approvisionnement. En effet, l’agrégation » des diamants, quelle que soit leur provenance, est essentielle pour proposer une offre complète à nos clients. D’où l’importance de bien identifier chaque pierre depuis son extraction et de suivre chaque étape du trajet (tri, négoce, taille, polissage …) avec précision. Pour cela, De Beers a mis en place la plateforme de traçabilité numérique Tracr™ qui permet de suivre intégralement le diamant d’une façon parfaitement fiable. En amont de ce suivi, il fallait que Tracr puisse garantir par une empreinte numérique trois éléments clés au départ : la correspondance entre bruts et bruts, entre bruts et polis et entre polis et polis.
IH : N’y aurait-il pas une manière de mettre en valeur les diamants issus de mines artisanales auprès du client, un peu comme ce qui est fait pour l’or Fairmined ou Fairtrade ?
L’histoire d’un diamant naturel est importante. C’est pourquoi nous accordons une grande importance à sa provenance qui répond à la question : qui, où et comment ? Qui ? De Beers, qui respecte des normes strictes, régulièrement vérifiées par des tiers (BPP, RJC…). Où ? Les diamants extraits des grandes exploitations viennent du Botswana, d’Afrique du Sud, de Namibie et du Canada. Les diamants artisanaux viennent de Sierra Leone et bientôt d’Angola. C’est ainsi que le client fera son choix, parce que nous informons sur la provenance et c’est une histoire qu’il va découvrir. Quant à répondre à votre question sur la mise en avant des diamants de mines artisanales, nous vous en dirons plus bientôt…
IH : Ma question suivante porte sur l’écosystème. Le Natural Diamond Council a fait un rapport très documenté, détaillé sur les retombées positives de l’économie du diamant. Comment s’inscrit le programme GemFair dans cet écosystème ?
Nous travaillons avec environ 400 sites en Sierra Leone et environ 6000 personnes en vivent. Mais j’aimerais vous dire quelque chose d’important. Le Covid nous a tous frappés. Personnellement, j’avais une position privilégiée, j’étais protégée, je pouvais commander tout ce dont j’avais besoin, j’avais accès aux soins mais en même temps, je savais qu’en cas d’accident ou de maladie, je ne pourrais pas emmener mon enfant à l’hôpital. Pendant tout ce temps, je suis restée en contact avec mes équipes sur place qui étaient dans une situation bien plus précaire que la mienne. Un des responsables m’a dit « Vous savez, nous sommes habitués en Sierra Leone, nous avons vécu la guerre civile et l’épidémie d’Ebola mais le COVID, nous l’appelons « le virus de la faim » parce qu’ici, le prix du riz a augmenté de 400% et il n’y a plus de travail, les frontières sont fermées et le commerce s’est arrêté ». Notre équipe sur place a travaillé dur pour fournir de la nourriture, prendre le risque d’aller sur le terrain malgré le confinement et j’ai vraiment compris à quel point il fallait assurer une stabilité, une sécurité alimentaire. Nous avons fait appel à un expert agronome (français) pour étudier les moyens de fertiliser les terres des anciens sites miniers, ce qui réduisait aussi les risques de malaria liés aux moustiques proliférant dans les eaux stagnantes au fond des mines. Nous avons donc comblé et fertilisé les puits (production de riz, carottes, pastèques) et donné aux femmes de la communauté la responsabilité de s’en occuper. Si une épidémie resurgit, nous ne voulons plus que les mineurs souffrent de la faim. Nous sommes fiers de ce progrès car les communautés savent maintenant comment gérer leur terre, nous les avons formées à cela.
Ensuite, dans le domaine de l’éducation, notre priorité est la sécurité dans les mines et nos initiatives impactent directement les mineurs, à long terme, avec ou sans nous. Concernant la santé, cela s’intègre dans nos standards les plus importants. Nous offrons des formations à la santé, à la sécurité, aux premiers secours, nous mettons à disposition des kits de premiers soins, nous organisons des ateliers… Pendant le COVID, nous avons fourni du matériel, des équipements et un suivi médical.
Avant GemFair, beaucoup de projets ont vu le jour et ont échoué. Il y a peu de marques qui prennent le risque de s’engager dans les ASM, je veux dire de s’engager directement et rendre des comptes sans passer par une ONG qui viendrait en support. De Beers est le seul nom d’un groupe minier qui est aussi connu du public. Quand vous interrogez les consommateurs sur le diamant, le nom De Beers leur vient spontanément en tête. Cela nous donne une réelle responsabilité.
Pour conduire ces changements, vous avez besoin d’un horizon stable à long terme, viable, durable et pour cela, l’engagement ne peut s’appuyer que sur une solution commerciale. Le secteur de l’ASM ne peut en aucun cas être confondu avec les diamants de conflit. Il emploie beaucoup plus de monde que celui des grandes mines, avec un impact très important sur les populations locales. Ne pensez pas aux mines artisanales en termes de « projet social » mais en termes de « projet commercial » où vous faites le bien en faisant bien votre travail (doing good by doing well ») c’est-à-dire en étant capable de vous engager sur le long terme parce que votre activité est rentable et prospère. Les mineurs sont fiers, ils ne demandent pas la charité mais de pouvoir vendre leurs diamants pour se sortir de la pauvreté.
Image : Feriel Zerouki