À l’aube d’une nouvelle ère, la dirigeante de De Beers envisage de rendre le World Diamond Council plus accessible et de mieux sensibiliser aux questions d’approvisionnement responsable.
Arpentant les salles des conférences diamantaires et les réunions de l’industrie, Feriel Zerouki se démarque dans la foule. En plus d’être l’une des seules femmes présentes, la nouvelle présidente du World Diamond Council (WDC) a pris pour habitude de repousser les limites de l’industrie.
« Lors de mes premières rencontres avec les différentes associations du secteur, j’ai peut-être hérissé quelques poils, fait-elle remarquer dans un entretien avec Rapaport Magazine. Je suis arrivée sans aucune attente, avec mon lot de questions et un avis très appuyé. »
À l’époque, explique-t-elle, on ressassait toujours les mêmes sujets éculés, relatifs, comme on peut s’en douter, à l’offre de De Beers et au secteur bancaire. « Je dirais que nous avons très certainement avancé », estime Feriel Zerouki. S’appuyant sur son travail chez De Beers – où elle est désormais vice-présidente senior des affaires d’entreprises –, elle a constaté d’autres problèmes graves que le marché devait aborder, à savoir l’approvisionnement responsable, le développement durable et les droits humains.
À ce jour, Feriel Zerouki reconnaît que l’industrie a fait des progrès, même si elle est confrontée à beaucoup de nouvelles difficultés.
Engager des étapes pour l’inclusion
En tant que première femme à diriger un organisme du secteur du commerce international des diamants, Feriel Zerouki « se sent bien accueillie, acceptée et respectée » à son poste. Après avoir entamé son mandat de deux ans au mois de mai, elle espère que son expérience aidera à faire évoluer la dynamique de diversité au sein des associations du marché.
« Les autres ne seront pas confrontés aux mêmes difficultés que moi car nous avons déjà réglé certains problèmes, affirme-t-elle. J’ai hâte d’intégrer plus de diversité dans ces organisations commerciales – plus de femmes et d’autres cultures – et je réfléchis à la façon de le faire. »
Traditionnellement, les membres de l’industrie devaient siéger au conseil du WDC pour se faire entendre mais le conseil étudie d’autres approches pour que les nouveaux venus puissent exprimer leur opinion. Sous l’égide de l’ancien président Edward Asscher, l’organisme a changé ses statuts pour permettre de faire participer davantage de personnes à ses comités.
En se rendant accessible à un public plus vaste, Feriel Zerouki considère que le conseil pourra mieux informer sur les difficultés imposées à l’industrie, le rôle du Kimberley Process (KP) et celui du WDC lui-même.
Définir les rôles
Le WDC a deux fonctions, explique-t-elle. Il représente l’industrie au KP et gère le système de garanties (SoW), grâce auquel les entreprises peuvent apporter des garanties sur leurs sources de diamants.
L’organisme a récemment actualisé son SoW pour y intégrer les pratiques commerciales relatives aux droits de l’homme et du travail, à la lutte contre le blanchiment d’argent et à la lutte contre la corruption. Le WDC a également introduit un mécanisme d’autoévaluation permettant aux participants de vérifier s’ils respectent les normes indiquées.
Toutefois, c’est dans les couloirs du KP que le WDC exerce sa plus grosse influence. Et ce n’est pas chose facile, étant donné que, contrairement aux gouvernements, il ne dispose pas de droit de vote en ce lieu, mais uniquement d’un statut d’observateur. Feriel Zerouki réfute les allégations selon lesquelles le KP a perdu de sa pertinence, soulignant que personne d’autre n’est en mesure de contrôler le passage du brut à travers les frontières, une tâche essentielle.
Elle admet toutefois qu’il n’est pas à la hauteur face aux problèmes sociaux plus vastes de la chaîne d’approvisionnement. « Le KP est-il en mesure d’aborder toutes ces questions ? Non, il ne l’a jamais été », explique-t-elle. Le WDC travaille depuis un certain temps à intégrer ces sujets dans la définition des « diamants du conflit », laquelle se limite actuellement aux diamants qui financent les guerres civiles. Les mises à jour du SoW par le conseil ont donné un exemple de ce à quoi peut ressembler une déclaration sur l’approvisionnement responsable pour les diamants bruts, ajoute-t-elle.
Parallèlement, le WDC a progressivement gagné en crédibilité au KP, ce qui lui assure une plus grande influence lors des discussions, affirme-t-elle. Le KP, actuellement présidé par le Zimbabwe, a demandé au WDC de prendre la tête des réunions sur la modification de la définition.
Personne ne restera à la traîne
Mais même si la définition des diamants du conflit et les autres « grandes questions » font les gros titres, de nombreuses victoires plus modestes ont été acquises au KP, d’après Feriel Zerouki. L’organisation dispose de plusieurs groupes de travail – qui prennent des décisions techniques ayant des conséquences sur l’industrie au quotidien – et puis « il y a le travail vraiment important qui est effectué au KP sur l’extraction artisanale, sujet dont personne ne veut parler. »
De surcroît, la guerre en Ukraine a poussé à mener des examens plus approfondis des pratiques d’approvisionnement de l’industrie. Les nations du G7 – Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis – travaillent pour exiger des sociétés diamantaires qu’elles déclarent l’origine de leurs marchandises aux douanes afin de s’assurer qu’elles ne contribuent pas à l’effort de guerre de la Russie. Là, Feriel Zerouki adopte un ton prudent.
« Je suis très inquiète pour le secteur informel », explique-t-elle, faisant référence aux miniers artisans et aux artisans et négociants indépendants – principalement en Inde – que le marché appelle « l’industrie familiale ».
Les obligations imposées par le G7 ne feront pas la distinction entre le secteur formel et informel, car tous les diamants vont devoir être conformes, explique-t-elle. Cela pose problème car une grande part de l’industrie travaille en agrégeant ou en mélangeant des marchandises venant de différentes sources. Cela est particulièrement vrai dans l’industrie familiale, où les diamants n’ont jamais été triés par provenance, avance-t-elle. « Ils peuvent le faire mais il leur faudra une formation et développer des systèmes allant dans ce sens. »
Feriel Zerouki sait bien que l’ampleur de ces problèmes est immense et que le travail du KP et du WDC est souvent mal compris. En sa qualité de présidente du WDC, elle entend changer la situation et s’assurer que personne ne reste à la traîne.
« L’industrie n’est pas informée de tous ces sujets, en partie parce que nous n’avons pas communiqué suffisamment, admet-elle. Je veux profiter de ma présidence pour faire entrer le monde extérieur ici et faire comprendre l’importance critique de ces questions pour l’avenir de notre industrie. »