L’une des grandes questions qui a été portée à l’attention du Kimberley Process (KP) cette année a été la suggestion de mettre en place un système d’évaluation du brut.[:] Le but est de trouver une façon de déterminer si la valeur indiquée sur les lots de brut expédiés à l’international est raisonnable. La méthode proposée suggère de valoriser le brut en convertissant les prix connus du taillé en prix du brut, en tenant compte des coûts et des marges des fabricants.
Il y aurait beaucoup à dire sur les avantages et les inconvénients d’un tel système. Je pense qu’une part importante de cette discussion consiste à savoir comment procéder, non seulement parce que beaucoup ne le savent pas, mais aussi parce que cela pourrait faire naître une discussion plus ouverte sur la Valorisation.
Décorticage de la Valorisation du brut
Un certificat du KP comprend plusieurs informations, comme les noms et les adresses de l’exportateur et de l’importateur, l’origine des marchandises et la date d’émission. Au centre du certificat, figurent des informations sur le brut exporté : nombre de lots, code HS des diamants, poids total en carats des diamants pour chaque code HS et valeur en dollars américains. La méthode suggérée, souvent appelée « rétro-ingénierie des prix », propose un système qui permet de vérifier si la valeur déclarée en dollars est raisonnable.
Pour cela, on a établi le calcul suivant :
Le juste prix par carat d’un diamant brut est égal au prix total du taillé qui en résulte, divisé par son poids brut total en carats moins les coûts de la taille et la marge.
Autrement dit :
Prix total du taillé / poids carat du brut – coûts + marge = prix du brut par carat
Le système de Valorisation proposé commence par une étude régulière des prix du taillé, avec des mises à jours constantes. Les prix sont ceux des transactions réelles, et non pas les prix demandés sur les plates-formes d’échanges entre professionnels. Cela garantit que les données tarifaires soient aussi proches que possible des prix que reçoivent les fabricants et les grossistes de taillé. Par conséquent, la collecte de données doit manifestement être conforme à ce que les détaillants et créateurs de bijoux paient lorsqu’ils achètent du taillé.
Ensemble, le coût de fabrication et la marge seraient de 15 %. Si l’on prend la formule qui précède, en imaginant un diamant taillé de 0,30 carat fabriqué à partir d’un diamant brut de 1 carat et qui se vend aux détaillants 1 500 dollars/ct, on obtient un total de 450 dollars. Autrement dit :
450 $/1 carat – 15 % = 382,50 dollars/ct
La valeur d’un diamant brut de 1 carat à partir duquel est créé un diamant taillé de 0,30 carat à 1 500 dollars/ct équivaut donc à 382,50 dollar/ct.
Une autre composante de cette procédure consiste à comprendre le rendement, autrement dit la grosseur et le type de diamant taillé qui peuvent être obtenus à partir d’un diamant brut. Cette étape est assez complexe car c’est là qu’entrent en jeu les compétences de taille. Toutefois, la plupart des fabricants, en tout cas les plus grands, savent comment tailler des pierres de façon efficace et à grande échelle, les variations sont donc limitées.
Cela nous amène à l’identification du brut et au tri. Un système de Valorisation de ce type exige un certain niveau d’uniformité. Ceux qui choisiront de participer au système devront s’entendre, par exemple, sur un certain mode de tri du brut. Cela commence par identifier le brut en fonction de la grosseur, du modèle (taille), de la pureté et de la couleur. Des trieurs du monde entier seront ensuite formés pour trier les marchandises de la même façon et en respectant le même protocole.
Pour ceux qui ne connaissent pas le tri des diamants en détail, sachez que, généralement, cela implique de dessiner une grille sur un grand document, de diviser la grille par grosseur, modèle, pureté et couleur, puis de placer les diamants dans la bonne catégorie. Une autre façon de procéder consiste à utiliser de petits récipients et boîtes en plastique transparent pour trier les diamants. D’une façon ou d’une autre, il s’agit d’un élément essentiel de l’évaluation du brut, considéré à tout le moins comme un art.
L’importance de cette étape ne doit pas être sous-estimée car elle révèle la vraie valeur du brut.
En résumé
Les deux composantes, la découverte des prix avec la rétro-ingénierie et le système de tri, doivent être exécutées en parallèle. Pour protéger l’algorithme interne, le calcul de rétro-ingénierie sera effectué de façon centrale. Les valeurs par carat qui en résulteront pour le brut seront alors attribuées à chaque catégorie de la grille de tri.
Les trieurs locaux, très probablement des employés du gouvernement travaillant aux douanes, seront formés dans un centre diamantaire (Mumbai, Anvers ou Dubaï) à un protocole de tri pré-formaté ; ils apprendront à trier le brut d’après cette grille. Une fois leur formation terminée, ils seront intégrés à ce que l’on appelle actuellement la LIVA (Agence d’évaluation de veille locale) dans leur pays.
La pratique attendue consisterait, pour un creuseur alluvial ou un acheteur de diamants par exemple, à se présenter aux douanes ou à un bureau diamantaire afin d’obtenir un certificat du KP pour pouvoir exporter ses marchandises. Avant de délivrer le certificat, le responsable des douanes formé trierait le brut, puis multiplierait la valeur de chaque catégorie triée par le poids du brut de cette catégorie. Le résultat serait alors comparé à la valeur que l’exportateur a donnée pour les marchandises.
Difficultés et solutions
Tout le système repose sur plusieurs principes :
• Il est indépendant et objectif
• Il s’applique partout de la même façon
• On admet la rétro-ingénierie pour parvenir une évaluation adéquate du brut
• Il s’appuie sur des prix de transactions du taillé toujours actualisés
• Il tient compte des fluctuations du marché
• Il applique des protocoles de tri du brut prédéfinis
Si l’idée est de lutter contre la sous-évaluation du brut lors de l’exportation depuis les pays producteurs comme la Sierra Leone ou l’Angola, le mécanisme proposé est très logique. Toutefois, il ne prévoit pas un certain nombre de difficultés potentielles. Par exemple, que doit faire un responsable des douanes si un lot est apporté à des fins d’exportation et que la valeur indiquée est inférieure à celle que le système lui attribue ? Si la différence est faible, les douanes doivent-elles l’ignorer ? À l’inverse, que se passe-t-il si la différence est importante ? Et comment définit-on une différence importante ? Plus de 5 % ? Plus de 15 % ? Et surtout, si la différence de Valorisation est substantielle, que se passe-t-il ? Les marchandises sont-elles tout de même exportées ? Cela est-il signalé d’une façon ou d’une autre ?
Une autre question à traiter est de savoir qui paiera la note de cette opération. Les pays producteurs vont-ils régler la collecte de données, le système et la formation ? Ou faut-il adresser la facture aux pays consommateurs ?
Un autre problème est que le système ne peut pas s’appliquer de façon universelle. Tout d’abord parce que cela peut être considéré comme un moyen de fixer les prix. De plus, la De Beers, ALROSA, SODIAM, Rio Tinto et Dominion Diamond vendent leur production en se basant sur un code tarifaire. Ils évaluent leur production, attribuent une valeur à chaque pierre et exportent le brut en fonction de cette valeur. Il est difficile d’imaginer que ces sociétés autorisent un organisme externe à décider pour elles le prix auquel elles doivent exporter ou vendre leur brut. Sans compter que les grands pays producteurs (Botswana, Russie, Angola) ont une part dans les grandes sociétés minières : la De Beers, ALROSA et SODIAM respectivement.
Ensemble, les cinq plus grands miniers représentent environ 74 % de l’offre de brut mondiale en valeur. Gem Diamonds, Petra Diamonds et quelques autres miniers juniors et de taille intermédiaire vendent leurs marchandises lors de tenders, au cours desquels le marché fixe la valeur. Aux côtés des grands noms, elles représentent environ 85 % de l’offre.
Le reste du brut est produit, en grande majorité, par le secteur informel (creuseurs artisans qui travaillent le long des rivières en Afrique, par exemple). Ce sont eux qui profiteraient probablement le plus de ce système de Valorisation. En outre, le KP a été constitué pour empêcher la circulation des diamants du conflit. Dès lors, il protège l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement du brut. C’est en cette qualité que le système de Valorisation a été suggéré. Son objectif est d’aider à éviter les irrégularités lors des Valorisations initiales qui pourraient faire du tort aux pays producteurs qui comptent sur les redevances et les impôts issus des diamants. Aucun doute que cet objectif est noble, mais voyons s’il pourra être réalisé.