Et une étape de plus pour le Botswana

Avi Krawitz

Le déménagement de la DTC au Botswana, le lancement des sights du gouvernement et une industrie du polissage en plein essor permettront-ils d’assurer la stabilité économique à long terme du pays ?[:]

Le Botswana, dont l’économie repose sur le diamant, est désormais à la veille du changement. Au terme de plusieurs années de planification et de négociations, Gaborone, sa capitale, est en passe d’assumer le rôle de leader mondial de la distribution de brut. En effet, la Diamond Trading Company (DTC) de la De Beers est sur le point de déménager de Londres à Gaborone et le gouvernement prévoit de lancer ses propres ventes de brut.

Le calendrier n’aurait pas pu être meilleur. Le Botswana doit diversifier sans attendre son économie et ne plus dépendre de l’exploitation minière du diamant. L’opération devait intervenir maintenant ou jamais pour assurer la viabilité économique du pays à long terme. Malgré son rang actuel de plus grand producteur mondial de brut, ses ressources sont limitées ; il doit donc impérativement développer des activités en aval pour son avenir à long terme, à savoir sa vie après l’extraction minière.

« La véritable question consiste à savoir si l’industrie de la taille et du polissage peut se suffire à elle-même », s’interroge Keith Jefferis, directeur général de Econsult Botswana, un cabinet de conseil privé en développement et économie et ancien vice-gouverneur de la Bank of Botswana. « C’est une chose d’installer des usines de taille de diamants ici quand vous êtes un grand producteur de brut, c’en est une autre de les y maintenir lorsque la ressource s’épuise. »

Debswana, la co-entreprise locale d’extraction de diamants entre le gouvernement et la De Beers, reconnaît les limites de ses ressources. Son Président-Directeur Général, Jim Gowans, estime à 20 ans la durée de vie restante des quatre mines de la société. Il souligne que, bien que Debswana ait l’intention de faire passer la production des 24 millions de carats attendus en 2012 à environ 29 millions de carats par an au cours des 15 prochaines années, la production devrait être exclusivement issue des mines existantes. « Nous ne visons pas tellement la croissance, explique Jim Gowans. La plupart de nos investissements ont eu pour but de prolonger la durée de vie des mines que nous exploitons déjà. »

LE VRAI POTENTIEL EST EN AVAL
La croissance du Botswana devrait, par conséquent, être axée sur l’aval. Avec 16 manufactures en fonctionnement et cinq autres supplémentaires en cours d’établissement, le programme de diversification de « plaque tournante du diamant » du Botswana prévoit de dépasser l’étape de taille et de polissage. Jacob Thamage, coordinateur de la plaque tournante du diamant, explique que la stratégie de diversification s’articule sur quatre axes : la promotion de la taille et du polissage, l’établissement d’échanges de brut dans le pays, le développement d’une industrie manufacturière de bijoux et la mise en place de services venant soutenir l’industrie du diamant.

Le gouvernement du Botswana, qui détient une participation de 15 % dans la De Beers et est en droit d’en acquérir 10 % de plus suite au rachat par Anglo American de la part de la famille Oppenheimer en novembre 2011, tente de faire avancer ce programme depuis un certain temps. Ses efforts ont été récompensés par la signature en septembre 2011 d’un accord d’approvisionnement de dix ans avec la De Beers. Le document prévoyait le déménagement de la DTC depuis Londres et le lancement éventuel de ventes de brut par l’État du Botswana. « Cet accord, tout comme les résultats tangibles qu’il apportera, permettra au Botswana de concrétiser ses aspirations : devenir un centre majeur du diamant traitant tous les aspects de ce marché », explique Ponatshego Kedikilwe, le ministre botswanais des Minéraux, de l’Énergie et des Ressources en eau. Pour la De Beers, le déménagement garantit un approvisionnement de brut pour les dix prochaines années.

Cet accord historique (les ventes de brut sont en effet organisées à Londres depuis les tout premiers sights en 1934) prévoit le transfert des activités d’assemblage et de tri de la DTC et des ventes aux clients internationaux à Gaborone d’ici la fin de l’année 2013. Une société a été enregistrée au Botswana, sous le nom de De Beers Aggregation Company ; sa mission est de regrouper l’activité internationale de la DTC qui aura lieu dans le pays. Des discussions sont en cours pour en modifier le nom, qui devra refléter toute l’étendue de ses opérations, au-delà de l’assemblage.

Les activités de la DTC Botswana seront donc réparties entre la société nouvellement créée, qui supervise le fonctionnement international, et la DTC Botswana, qui se concentrera sur sa fonction essentielle de tri et d’évaluation de la production de Debswana. La DTC Botswana qui, comme Debswana, est une co-entreprise à parts égales entre la De Beers et le gouvernement du Botswana, servira donc ses deux sociétés-mères, la DTC et le gouvernement. Enfin, elle apportera à la société publique Okavango Diamond Trading Company son attribution de brut.

L’unité internationale de la DTC et la DTC Botswana seront hébergées dans le bâtiment de la DTC Botswana à Gaborone ; les travaux de construction en cours impliquent la rénovation du bâtiment et la création des infrastructures nécessaires, ainsi que des ajustements logistiques qui permettront d’accueillir les deux sociétés. La structure sur trois étages, ouverte en 2007, présente une capacité de 50 millions de carats. Jusqu’à présent, elle a traité moins de la moitié de cette quantité, la production de Debswana ayant été triée dans le bâtiment, puis expédiée à Londres. À partir d’octobre 2012, toute la production de brut de la De Beers sera transférée à Gaborone.

UNE PLATE-FORME D’ÉCHANGE
L’étape la plus essentielle pour assurer la viabilité à long terme de l’industrie du diamant au Botswana consiste probablement à développer une plate-forme d’échange de brut, efficace et attrayante. Jacob Thamage remarque que le programme de plaque tournante est actuellement mis en sommeil, du fait de la mise en place des échanges de brut à Gaborone.

Okavango a été créée en mars 2012, au terme d’un accord conclu en 2011 entre la DTC et le gouvernement du Botswana pour assurer la vente indépendante d’une partie de la production de Debswana. D’après l’accord, la part du gouvernement dans la production de Debswana, dont 10 % étaient disponibles avec effet rétroactif jusqu’en janvier 2011, augmentera de 1 % par an jusqu’à se stabiliser à 15 %, niveau prévu pour 2016. Si le gouvernement refuse de profiter de ses droits par l’intermédiaire d’Okavango, comme cela a été le cas jusqu’à présent, la DTC obtient un droit de premier refus sur ces marchandises.

Compte tenu des niveaux de production actuels et des prévisions, Okavango devrait disposer de 3 à 4 millions de carats par an pour les ventes locales. Les marchandises seront fournies par Debswana dans un cycle de 10 sights, qui s’accordera sur celui de la DTC. Pour la première fois, les ventes concerneront des marchandises de Debswana non agrégées (à savoir qu’elles n’ont pas été mélangées à la production de la De Beers provenant d’autres centres en Afrique du Sud, en Namibie et au Canada) ; Jacob Thamage explique qu’il s’agira des premières ventes de diamants de marque purement botswanais.

Jacob Thamage, qui est aussi le président non-exécutif d’Okavango, admet un certain retard dans le lancement des ventes de brut. Le gouvernement avait envisagé de démarrer au début de l’année 2012. Or, au moment où nous mettons sous presse, la société n’a pas encore achevé la désignation du PDG pour l’équipe de direction qui concevra la stratégie de vente de l’entreprise. « Nous sommes ouverts à toutes les solutions ; aucune méthode de vente n’a encore été adoptée, a-t-il expliqué. Mais nous serions déçus si les ventes n’avaient pas débuté avant la fin de l’année 2012. »

Paul Rowley, PDG par intérim de la DTC Botswana, note que sa société doit encore établir la méthode de transfert des droits de la Debswana d’Okavango puisque, du fait des lois en matière de concurrence, l’offre ne peut pas refléter les boîtes de la DTC ni les assortiments de vente. Il existerait en effet un risque de chevauchement entre les activités de la DTC et celles d’Okavango. « Maintenant que le gouvernement a établi son organisation commerciale, nous allons constituer un atelier et un groupe de travail et déterminer le mode de transfert des marchandises à la DTC Botswana », explique-t-il.

LA BOURSE DU BOTSWANA
Indépendamment de la méthode de vente choisie, le pays se prépare au lancement à venir. En mai, le Diamond Technology Park (DTP), une initiative privée de la South African Diamond Corporation (SAFDICO), a achevé la construction de la deuxième phase de développement dans le parc, un bâtiment de trois étages pour la bourse doté d’une plateforme d’échange avec 12 salles de visionnement pour les ventes aux enchères.

« La plate-forme d’échange attirera les producteurs locaux et internationaux qui souhaitent commercialiser leurs diamants au Botswana », explique Rutang Moses, PDG du DTP et de la SAFDICO Botswana. Elle ajoute que le DTP est en pourparlers avec le gouvernement pour utiliser la bourse afin d’organiser les ventes d’Okavango, mais qu’aucune décision n’a encore été prise.

Rutang Moses précise que des projets sont en préparation pour satisfaire le besoin d’espaces de bureaux supplémentaires, grâce à un nouveau gratte-ciel situé près du bâtiment de la bourse. Le DTP dispose de plus de 12 000 m² de terrains disponibles pour une expansion ; les bâtiments de la troisième phase devraient entrer en service vers le début de l’année 2013. « Notre modèle d’activité consiste à nous développer parallèlement à l’industrie et à vérifier que nous respectons les aspirations du gouvernement, celles de transformer le pays en un centre de premier plan pour l’échange des diamants », explique-t-elle.

UN CHANGEMENT DE CONTINENTS POUR LA DTC
L’industrie fait le pari de cette croissance car les ventes du gouvernement attireront au Botswana de nouveaux acteurs de l’industrie, qui y achèteront du brut et y feront du négoce. D’autre part, le déménagement des opérations d’assemblage, de vente et de distribution de la DTC, de Londres à Gaborone, fera également venir de nouveaux négociants et sightholders dans le pays.

À l’issue du processus de transition, ce seront près de 80 employés de la DTC basés à Londres qui auront déménagé avec leurs familles et des centaines de diamantaires devraient se rendre au Botswana pour chaque sight de la DTC. Paul Rowley, qui supervise le déménagement, constate que la DTC devrait l’achever d’ici la fin de 2013, lorsque ce que l’on appelait jusque-là le « sight de Londres » aura lieu à Gaborone pour la première fois.

Entre-temps, la DTC procèdera par étapes. Paul Rowley explique que toutes les opérations actuellement réalisées dans les bureaux de Londres de la DTC seront transférées à Gaborone, à l’exception de la recherche et du développement et de la tarification.

D’ici août 2012, l’équipe d’assurance qualité, constituée d’environ 20 personnes, aura déménagé ; elle sera suivie par l’équipe d’assemblage, qui compte aussi une vingtaine de personnes, et qui préparera le sight d’octobre 2012. Celui-ci devrait être le premier à proposer des marchandises assemblées au Botswana.

Dès lors et jusqu’au terme de la période de transition, plus d’un an plus tard, les boîtes du sight seront essentiellement créées à Gaborone et transférées au Royaume-Uni pour distribution aux 66 sightholders de Londres et aux deux sightholders du Canada. Les boîtes destinées aux 10 sightholders d’Afrique du Sud seront envoyées directement de Gaborone à Johannesburg, celles des 13 sightholders de Namibie de la DTC seront envoyées à Windhoek, la capitale du pays ; le solde restant à Gaborone ira aux 21 sightholders de la DTC Botswana.

Le travail en coulisses ou, comme le dit Paul Rowley, « les calculs et les instructions sur la façon de créer les boîtes », sera effectué sur les réseaux informatiques, d’octobre jusqu’à la fin du déménagement du personnel de planification et de logistique, qui devrait intervenir au premier semestre 2013. Le dernier groupe à déménager sera l’équipe de vente, ainsi que la PDG de la DTC, Varda Shine, lors du lancement du « sight de Londres » à Gaborone vers novembre-décembre 2013.

RESTRUCTURATION
Près de 80 employés de la DTC à Londres se sont engagés à déménager à Gaborone avec des contrats de trois à cinq ans, après quoi ils seront naturalisés s’ils décident de rester. Dans le cas contraire, leurs emplois seront pourvus par des personnes locales, c’est ce qui est prévu dans la plupart des cas. Dans un premier temps, la DTC embauchera 40 Botswanais supplémentaires, ce qui portera le nombre total d’employés à 120. Ceux-ci viendront s’ajouter aux 430 personnes environ, pour la plupart autochtones, qui sont actuellement employées par la DTC Botswana.

« Cette dynamique évoluera avec le temps mais, pour l’instant, nous voulons déménager une activité opérationnelle et nous assurer que la transition se fasse sans heurt, déclare Paul Rowley. D’où la nécessité de transférer nos compétences depuis Londres, lorsque c’est nécessaire, car le processus ne doit connaître aucun contretemps. »

RÉCOLTER LES BÉNÉFICES
Le supplément de volume de marchandises profitera à l’économie du Botswana ; Jacob Thamage estime que la valeur des exportations annuelles de diamants du pays passera de près de 4 milliards de dollars à plus de 7 milliards. Mais les véritables avantages économiques ne seront pas immédiats. Compte tenu du taux de chômage élevé du pays, à environ 18 %, et de sa faible population, d’environ 2 millions de personnes, les exportations supplémentaires ne devraient pas générer une impulsion majeure pour la création d’emplois.

« Elles auront un impact positif, mais il est très difficile à quantifier, explique Keith Jefferis. L’incidence plus large du déménagement des sights dépendra de divers facteurs : les sightholders viendront-ils en personne, à quelle fréquence, combien de temps resteront-ils, prolongeront-ils leurs séjours sur place ? »

Keith Jefferis estime que les bénéfices devraient aller principalement aux industries du tourisme et du commerce de détail. Selon ses calculs, 500 personnes pourraient se rendre au Botswana tous les mois, séjourner dans les hôtels locaux et se restaurer dans les établissements de la ville. Puis, à mesure que l’industrie se développera, la demande de services connexes, nécessaires à la conduite du négoce des diamants, devrait aussi se développer. Les banques, les courtiers, les services de fret et les entreprises de conditionnement ont d’ailleurs déjà ouvert des bureaux à Gaborone.

Les réflexions de Paul Rowley vont dans le même sens ; il souligne que les avantages du déménagement de la DTC ne portent pas seulement sur le nombre d’emplois, mais sur ce que ces emplois vont générer au-delà de ce secteur. « Il s’agit de veiller à l’enrichissement du pays, au-delà des diamants, et aux conséquences sur le plan économique en général : tourisme, industrie hôtelière, effet de mode et commerce annexe, dit-il. En vérité, tout ce qui compte, ce sont les opportunités pour le Botswana, le catalyseur sera notre façon d’aborder la diversification et le visage de notre économie au-delà des diamants. »

Source Rapaport