Au cours de la semaine du 20 mars, Martin Rapaport a abaissé de 7 % en moyenne les prix de l’édition du 20 mars de sa liste tarifaire, très largement consultée, incitant certaines sociétés à retirer leurs stocks de RapNet, son service de cotation en ligne. Après cela, et à l’issue d’un vote des membres de RapNet, il a accepté de suspendre la publication de sa liste tarifaire jusqu’au 1er mai.
Dans un entretien honnête depuis son domicile en Israël, Martin Rapaport indique si le boycott a nui à son activité, donne son avis sur le rôle de sa liste et précise s’il est d’accord avec le fait qu’il a trop de pouvoir.
Quelle est votre réaction face à la dernière colère en date ?
Tout d’abord, je me sens très mal. L’industrie compte pour moi et les personnes qui la composent comptent pour moi. Même celles qui essaient de me boycotter comptent pour moi. Elles subissent toutes des contraintes et des pressions terribles.
Les gens nous boycottent, espérant pouvoir me faire chanter pour que je ne baisse pas les prix des diamants. Notre travail consiste à refléter ce qui se passe sur le marché. Nous avons dû baisser les prix. Lorsque le marché baisse, vous ne pouvez pas y couper. Sur RapNet, on voit des gens vendre à 50 en dessous de la liste. Comment pourrais-je ne pas baisser ? Les acheteurs vous diront : « Vous êtes fou si vous ne baissez pas. » Si la liste ne reflète pas ce qui se passe dans l’industrie, alors elle n’a aucun intérêt.
Nous ne sommes qu’au début de tout cela. Nous ne pouvons pas dire au gens que les choses n’ont pas bougé alors que ce n’est pas le cas. J’ai une responsabilité, qui est celle de dire que les choses ont changé. Nous devons être honnêtes. Nous devons maintenir notre crédibilité.
Je ne vais pas mentir sur les prix. Je fais ce travail depuis 42 ans. C’est un serment que j’ai prêté.
L’une des critiques que nous avons entendue est la suivante : comment pouvez-vous baisser les prix alors que le marché est quasiment gelé ?
Il y a toujours des prix de vente. Il y a toujours des acheteurs. Toutes les boutiques du monde peuvent bien être fermées, il y a toujours des acheteurs. Il suffit de les trouver et de proposer des prix concurrentiels. Vous pouvez aller sur RapNet, vous voyez où se trouve le marché actuellement.
Vous dites que vous avez baissé vos prix pour traduire le niveau du marché. Pourtant, par le passé, vous avez retardé des hausses de prix parce que vous ne vouliez pas alimenter les spéculations. Cela n’est-il pas un peu contradictoire ? Vous voulez représenter le marché tel qu’il est aujourd’hui, mais vous ne vouliez pas à l’époque ?
La liste Rapaport est un repère. Ce ne sont pas des prix de transactions. C’est une interprétation des prix. Si vous publiez un prix repère, vous avez une certaine responsabilité. C’est très compliqué. Imaginons que le marché évolue et que chaque semaine, vous montiez ou descendiez de 2 %. Cela crée un cycle d’attentes. Les gens commencent à tourner en rond. Si nous augmentons une fois, il faut continuer. Donc, on attend de voir comment se comportent les prix avant d’apporter une modification.
Pourquoi les gens utilisent-ils la liste Rapaport ? Vous l’êtes-vous déjà demandé ? Il y a des prix sur RapNet. Les gens peuvent les utiliser. Mais ils veulent une référence crédible. Si cette référence n’était pas nécessaire, les gens ne l’utiliseraient pas. C’est un gros avantage pour l’industrie d’avoir un standard à partir duquel travailler. Les gens veulent une référence qui soit suffisamment au-dessus des prix de RapNet car cela permet d’obtenir de la rentabilité.
Créer une référence n’est pas la chose la plus simple à faire. Il y a différents intérêts à mettre dans la balance. C’est un travail très compliqué. Les vendeurs pensent que le seul objectif de la liste est de protéger les vendeurs. Ils ne comprennent pas que les informations sur les prix ne leur sont pas uniquement destinées. Les acheteurs aussi doivent savoir à quel moment les prix baissent. Si les prix sont trop élevés, vous arnaquez les bijoutiers, vous arnaquez les consommateurs. Si la Chine revient sur le marché, n’auront-ils pas besoin de connaître les niveaux de prix ?
La liste représente un avis. Cela est indiqué sur chaque page. Elle représente notre estimation du niveau des prix. Personne n’est obligé de l’utiliser. Nous ne mettons de pistolet sur la tempe de personne. Si vous n’aimez pas ma liste, créez la vôtre. Il y a le Nasdaq, COMEX. Toutes ces listes cohabitent. Il y a de la marge pour la concurrence.
Le boycott a-t-il nui à RapNet ?
Bien sûr. Nous avons beaucoup perdu. Ce n’est pas une catastrophe car la majeure partie du marché est fermée. Lorsqu’ils auront besoin de liquidités, je suis assez convaincu qu’ils reviendront vers nous.
RapNet est la planche de salut de nombreuses personnes lorsqu’elles ont besoin de liquidités. Nous augmentons les dépenses, nous allons sortir RapNet 3.0, nous préparons de nouvelles fonctionnalités, nous allons mettre en avant un stock instantané, nous avançons sur les bijoux. Nous essayons ainsi de créer des liquidités. Tel est le plus grand besoin du marché : des liquidités. Nous allons nous concentrer et faire ce que nous pouvons pour ramener des liquidités sur le marché. Les gens ont besoin d’acheter et ils ont besoin de vendre ; ils ont besoin d’un juste prix de marché.
L’industrie doit se poser la question : « Les diamants constituent-ils, oui ou non, une réserve de valeur ? ». Si c’est oui, il nous faut des informations, de la transparence et de la concurrence pour devenir la pierre angulaire de notre activité. C’est ainsi qu’elle se développera.
Si la World Federation of Diamond Bourses souhaite créer sa propre bourse, je ne crains pas la concurrence. Cela contribuera à avancer vers les échanges électroniques.
Rapaport survivra-t-il ? Probablement. Est-ce bon pour l’industrie ? Je ne le pense pas. J’ai peur pour ces personnes. Ces fournisseurs ne veulent pas voir les prix sortir. Cela me rappelle l’effondrement du marché en 1982.
Après un vote, vous avez choisi de ne pas publier la liste pendant un mois. Ce vote était-il la conséquence du boycott ?
Non, nous l’avions annoncé avant le boycott. Nous l’avions annoncé après une conversation que j’ai eue avec des dirigeants de l’industrie. Ils m’ont demandé de tenir compte du fait que les gens sont à la maison et que les marchés sont fermés. En 42 ans, nous n’avons jamais interrompu la publication de la liste mais nous n’avons jamais eu non plus un tel virus.
Je ne vais pas m’émouvoir des boycotts et des menaces. J’ai porté un gilet pare-balles pendant deux ans.
Beaucoup vont dire qu’un « seul homme », autrement dit « vous », ne devrait pas avoir autant de contrôle sur les prix des diamants. Pourriez-vous envisager d’élargir le processus de prise de décisions, par exemple en constituant un comité consultatif ou en acceptant davantage de contributions de la part de tiers ?
Tout d’abord, il n’y a pas qu’un seul homme. Rapaport est constitué d’une équipe. Une équipe d’experts. Nous regardons RapNet, nous regardons Blue Nile, nous surveillons les escomptes, nous dépensons des millions de dollars en recherche. S’il m’arrivait quelque chose, la liste continuerait. C’est la raison pour laquelle vous avez le cours Platts Oil, le Dow Jones Industrial Average. Cela nécessite un haut niveau d’expertise.
Le point le plus important est le suivant. Imaginons que vous ayez un comité. Qui représenterait-il ? Quels sont les intérêts mis en avant ?
La World Federation of Diamond Bourses a affirmé qu’elle allait créer une liste. Pourquoi ne peuvent-ils pas le faire ? Parce que s’ils faisaient une liste, il faudrait baisser les prix. Ont-ils envie de subir des boycotts et des menaces ? Peu de gens sont capables d’endurer cela. C’est très difficile si vous avez peur des ramifications politiques et de tout le reste. Je ne vais pas maintenir des prix élevés parce que les vendeurs viennent me crier dessus, me boycotter et me faire chanter.
Nous sommes sur un marché ouvert. N’importe qui peut se mettre à son bureau et lancer une liste de prix. Les gens nous font confiance parce que nous avons les tripes de baisser les prix et de supporter la critique. Je ne pense pas que quiconque puisse nier que les prix ont baissé. Ils contestent simplement le fait que nous l’ayons publié.