Entretien avec Ashley Orbach, conseillère au Département d’État sur les diamants du conflit

Rob Bates

Ashley K. Orbach a été désignée conseillère spéciale pour les diamants du conflit pour le Département d’État américain cette année. En cette qualité, elle représente les États-Unis au Kimberley Process (son titre officiel est conseillère spéciale pour les pierres précieuses et minéraux du conflit, elle ne va donc pas seulement se concentrer sur les diamants.)[:] Mme Orbach est une personne affable et accessible, qui était auparavant responsable des affaires étrangères auprès de la mission des États-Unis pour les Nations Unies. Elle s’est entretenue avec le JCK, évoquant ce qu’attend le gouvernement américain de l’industrie, les questions liées au KP et les controverses sur le Precious Stones Multi-Stakeholder Working Group (PSMSWG). Voici, ci-dessous, des extraits de notre conversation.

JCK : Quels effets aura, selon vous, l’ajout du terme « droits de l’homme » à la définition des diamants du conflit du Kimberley Process ?

Mme Orbach : Je ne formulerais pas la question en termes de « droits de l’homme », même s’il s’agit d’un aspect important pour les États-Unis. Par le passé, nous avons clairement fait savoir que le KP doit rester pertinent et qu’il doit être en mesure de réagir rapidement lorsque les circonstances l’exigent. Il se trouve que la vie nous confronte à des situations que nous n’avions pas nécessairement envisagées. Le KP doit être flexible, pour qu’il soit possible de l’utiliser en cas de problèmes portant sur des diamants bruts. Ce point demeure important pour les États-Unis.

Les discussions se poursuivent actuellement quant à son statut. Selon nous, des progrès et des discussions sont réalisés en la matière. La question n’est pas facile. Et l’un des attraits d’une initiative multilatérale, c’est qu’elle rassemble de nombreux avis différents autour de la table.

JCK : Quels sont, selon vous, les objectifs américains par rapport au KP ?

Mme Orbach : L’un des objectifs majeurs de notre présidence, que nos successeurs poursuivent, était de travailler sur les problèmes de développement. Une autre bonne pratique est, selon moi, d’adopter une approche régionale. Nous sommes très présents en Afrique occidentale, où nous avons eu beaucoup de succès. Nous sommes parvenus à associer certains aspects du KP au développement. Le rôle des mineurs artisanaux nous tient beaucoup à cœur. Certains participants du KP tentent de s’assurer que ces acteurs essentiels ne soient pas laissés pour compte sur la voie du développement économique. 

JCK : Comment fonctionne le nouveau mécanisme de soutien administratif [ASM] ?

Mme Orbach : Nous rencontrons un vrai problème, celui du manque de mémoire institutionnelle. Notre présidence subissait une lourde charge administrative. Nous devions vérifier que les informations étaient accessibles et utilisables. L’ASM commence à jouer un rôle essentiel mais il débute. 

Nous recueillons les avis de divers participants pour établir comment fonctionne l’ASM. Nous sommes très contents de son existence. Il va gagner en importance au fil du temps.

JCK : Vous faites partie du Precious Stones Multi-Stakeholder Working Group. J’ai souvent entendu dire que ce groupe a le pouvoir d’influencer le commerce mondial. Pourtant, la quasi-totalité de ses fondateurs, de même que la majeure partie de ses participants sont associés aux États-Unis et à l’Europe. Certains s’inquiètent qu’il privilégie donc le monde occidental.

Mme Orbach : Nous sommes vraiment fiers du travail de ce groupe, qui a contribué à créer une plate-forme permettant aux personnes, à l’industrie, au gouvernement et à la société civile de se rencontrer et de parler de ces sujets. Je connais ces critiques, mais elles sont très récentes. 

Nous sommes fiers de l’industrie américaine et du rôle qu’elle joue et qu’elle continue de jouer dans le renforcement constant des normes et de la transparence et des contrôles dans la chaîne d’approvisionnement. Nous nous réjouissons d’avoir cette discussion au sein de notre groupe de travail et lors de conférences téléphoniques, ouvertes à toute personne qui souhaite y participer.

Le PSMSWG doit-il permettre l’intégration ? Bien sûr. Doit-il étendre son rayonnement ? Bien sûr. Y aura-t-il des désaccords ? Bien sûr. Cela ne pose pas de problème tant que les gens sont disposés à travailler ensemble et à être constructifs.

JCK : J’entends souvent dire que l’objectif du groupe est d’effectuer certains contrôles préalables. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

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Mme Orbach : Il s’agit de la transparence dans la chaîne d’approvisionnement : savoir d’où viennent vos marchandises, s’assurer que les minéraux que vous achetez n’alimentent pas un conflit ou ne contribuent pas à des abus des droits de l’homme ou à une dégradation de l’environnement. Pour l’essentiel, il s’agit de s’interroger sur l’origine de l’approvisionnement, l’identité du fournisseur et de s’informer sur le trajet de la marchandise dans la chaîne d’approvisionnement pour voir s’il existe des zones à risques.

Il existe déjà plusieurs programmes facultatifs : le Responsible Jewellery Council, le Diamond Source Warranty Protocol. Les directives de l’OCDE s’appliquent à tous les minéraux. Elles comprennent des instructions spécifiques sur les trois « T » et des suppléments sur l’or. Ces directives ont été développées en tenant compte des aspects uniques de ces chaînes d’approvisionnement, en partenariat avec les États membres de la [Conférence internationale sur la région des Grands Lacs]. Ce sont des directives facultatives que les sociétés choisissent d’appliquer à leurs chaînes d’approvisionnement et qui doivent être adaptées à chaque industrie. Certaines sociétés américaines les appliquent déjà et nous attendons leurs commentaires sur leur expérience.

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« La transparence dans la chaîne d’approvisionnement : savoir d’où viennent vos marchandises, s’assurer que les minéraux que vous achetez n’alimentent pas un conflit ou ne contribuent pas à des abus des droits de l’homme ou à une dégradation de l’environnement. »

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JCK : Beaucoup considèrent que, s’il s’agit de directives facultatives, il sera plus facile de les rendre permanentes. 

Mme Orbach : Je reconnais que c’est un problème de l’industrie. Le revers de la médaille, c’est que lorsque vous avez une directive facultative, la réglementation n’est peut-être pas nécessaire. Au Département d’État, nous ne sommes pas des législateurs. Je ne me prononce pas quant à savoir si la réglementation est ou non nécessaire. Une chose est sûre, le groupe de travail n’a défendu aucune loi. Nous nous sommes concentrés sur des normes facultatives et des contrôles préalables.

JCK : Pouvez-vous nous expliquer l’étude que le groupe est en train de préparer ?

Mme Orbach : Nous espérons qu’elle sera finalisée. Quand ce sera le cas, elle pourra faire l’objet d’un débat public. Nous espérons recueillir des réactions très diverses. Pour nous, il ne s’agit que d’une donnée. Nous avions espéré qu’elle serait terminée avant que nous allions à Paris [pour la prochaine réunion en juin], mais ça ne devrait pas être le cas. Il y a beaucoup d’autres choses à évoquer à Paris. Nous devons dresser le bilan et établir ce qu’il nous faut pour l’avenir. Lorsque l’étude sera terminée, elle pourra faire l’objet d’un débat public et devrait faire naître une certaine discussion.

JCK : Certains pays craignent que l’étude ne les marginalise. 

Mme Orbach : Le but de l’étude n’est pas d’observer la chaîne d’approvisionnement mondiale. Ce n’est pas de pointer les pays qui présentent des risques. Elle met en avant des initiatives en cours de développement et observe quelles pourraient être certaines des lacunes et ce qui pourrait être résolu.

JCK : De nombreux spécialistes des pierres de couleur sont mécontents de cette initiative, peut-être parce qu’elle a moins d’expérience dans ce domaine.

Mme Orbach : Je ne parlerais pas en ces termes. Lorsque je me suis rendue à Tucson, en Arizona, je me suis rendue compte que l’industrie des pierres de couleur s’implique dans de nombreuses initiatives et dispose de connaissances uniques sur la question de l’extraction minière artisanale et à petite échelle.

L’industrie du diamant dispose du KP depuis plus de 10 ans. Le KP a réuni ses intervenants d’une façon particulière. Il n’existe aucune plate-forme de ce type pour les pierres de couleur. Nous avons découvert que ces professionnels sont assez ouverts à la discussion. Pour certains, le fait de travailler dans un secteur aux multiples facettes est nouveau. Nous les accueillons avec plaisir et nous espérons qu’il y en aura beaucoup d’autres et qu’ils donneront leurs avis – positifs comme négatifs –, dans la mesure où cela est constructif. 

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Je pense que l’industrie ressent des craintes légitimes et veut s’assurer qu’on entende son appel. Tout d’abord, il faut prendre en compte la mesure des défis imposés aux patrons de petites entreprises et de petites industries sur le marché mondial actuel. Les sociétés doivent prendre des décisions difficiles pour savoir où concentrer leur énergie et leurs ressources. Vu la nature de l’industrie des pierres de couleur, ces problèmes sont très concrets. Toutefois, ce que nous disent plusieurs négociants, détaillants et autres, c’est que l’approvisionnement responsable présente des avantages et que les consommateurs de nombreuses industries en tiennent compte. 

Deuxièmement, le parcours des pierres de couleur dans la chaîne d’approvisionnement présente des caractéristiques particulières. Nous devons le reconnaître et ne pas nous contenter d’extrapoler d’après notre expérience, par exemple. 

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« Ce que nous disent plusieurs négociants, détaillants et autres, c’est que l’approvisionnement responsable présente des avantages et que les consommateurs de nombreuses industries en tiennent compte. »

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Enfin, je sais que plusieurs professionnels des pierres de couleur travaillent sur des projets ou soutiennent des pratiques responsables depuis de nombreuses années, mais ils ne connaissent pas bien le jargon des Nations Unies ou de l’OCDE. C’est un fait et nous devons nous attacher à mieux expliquer ce que sont ces organisations multilatérales et ce qu’elles ne sont pas. 

JCK : Le groupe de travail cherche-t-il à supplanter le Kimberley Process ?

Mme Orbach : On m’a déjà posé cette question. Je ne vois pas bien comment cela pourrait se produire. Le Kimberley Process est mis en place par une loi nationale. Or, nous recherchons des contrôles préalables volontaires. Les directives facultatives ne remplaceront pas le Kimberley Process. Le KP est très compétent dans son domaine mais, de par sa nature, il ne peut pas s’occuper de toutes les questions relatives à l’approvisionnement responsable. 

JCK : Vous supervisez également certains aspects de l’application de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank, qui aborde ce qu’on appelle les minéraux du conflit. Cette législation pourrait-elle être étendue aux diamants ? 

Mme Orbach : Pour l’instant, elle a été adaptée à quelques minéraux. Son application pourrait être élargie, mais je n’ai pas connaissance de discussions qui iraient dans ce sens en ce moment.

JCK : Y aura-t-il une prochaine législation qui pourrait concerner l’industrie ? 

Mme Orbach : Je ne suis pas en mesure de commenter ce que pourraient ou ne pourraient pas faire les législateurs. Nous encourageons tous les membres de l’industrie à se conduire de façon responsable et à effectuer un contrôle préalable sur la chaîne d’approvisionnement. Je pense que l’industrie est capable d’évaluer ses propres risques. Mais je pense aussi que nous devrions envisager la façon dont elle peut profiter de ces initiatives. 

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JCK : Vous êtes arrivée dans l’industrie et au KP il n’y a pas si longtemps. Pourriez-vous me donner vos impressions sur ces deux instances ? 

Mme Orbach : Tout cela est très intéressant. Et je suis très reconnaissante envers les membres de cette industrie. J’ai trouvé des gens très ouverts avec qui travailler. Ils se sont montrés vraiment patients face à mes nombreuses questions, dans mon exploration de l’industrie de la joaillerie. L’accueil a été très chaleureux.

Le KP repose sur un triumvirat : gouvernement, industrie et société civile. Il s’est montré très efficace dans la régulation du commerce des diamants du conflit, qui est passé d’un niveau maximum estimé à 15 % à moins de 1 %. Le KP est l’un des premiers modèles dans lequel l’industrie, la société civile et le gouvernement collaborent. Ce succès donne matière à réflexion.

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« Le KP repose sur un triumvirat : gouvernement, industrie et société civile. Il s’est montré très efficace dans la régulation du commerce des diamants du conflit, qui est passé d’un niveau maximum estimé à 15 % à moins de 1 %. »

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JCK : Avez-vous un message à faire passer à l’industrie ?

Mme Orbach : Nous sommes là pour nous engager auprès de tous ceux qui veulent construire avec nous. Nous sommes là pour évoquer les différents sujets et apprendre de votre expérience. Nous continuons à encourager les entreprises à rester des leaders, une chose que l’industrie a toujours faite. 

Au final, l’industrie axera son effort vers l’avenir, comme cela a déjà été le cas. Il suffit de regarder les différents salons qui ont mis cette question à l’ordre du jour. Nous encourageons tous les secteurs de l’industrie à envisager un approvisionnement et une chaîne de traçabilité responsables, en appliquant des contrôles préalables.

Source JCK Online


Photo DDI. Kono District (Sierra Leone), mineurs artisanaux.