Une fois de plus, une fuite massive de données confidentielles s’est produite en provenance de territoires offshore. Cette affaire, la plus importante à ce jour, a été baptisée les Pandora Papers. Et une fois de plus, ces données contiennent les noms de plusieurs membres de l’industrie diamantaire.
La plupart des noms de l’industrie transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont ceux de Beny Steinmetz et Nirav Modis, sont censés avoir détenu des holdings offshore. (Beny Steinmetz a déclaré que toutes les holdings étaient parfaitement légales.)
En 2016, lors de la publication des Panama Papers, le journal belge Knack écrivait : « La liste des Panama Papers, rassemblant 732 citoyens et résidents belges, n’inclut pas moins de 65 négociants de diamants. Après le secteur financier, l’industrie diamantaire est la catégorie professionnelle la plus fortement ancrée dans des territoires offshore. »
Avec les Pandora Papers, la situation était à peu près identique ; d’après un autre journal belge, De Tijd :
Les diamantaires […] continuent de travailler dans des paradis fiscaux […]. Ils disposent souvent d’une société à Anvers mais, grâce à des sociétés sous-jacentes aux Émirats arabes unis, nous arrivons à un entremêlement de constructions de boîtes postales opaques et exotiques. Un classique du genre concerne un groupe diamantaire qui n’indique sur son site Internet que ses bureaux à Mumbai et Anvers. La société anversoise du groupe a annoncé un chiffre d’affaires officiel d’à peine 25 millions d’euros pour l’année dernière. Les négociants diamantaires ont alors réglé la taxe carat belge, se montant à plusieurs centaines de milliers d’euros.
Mais le groupe dispose aussi – sous le même nom – d’une boîte postale aux Îles vierges britanniques. Cette société offshore sert de holding pour toutes les activités diamantaires, y compris à Anvers, pour une valeur d’à peu près 90 millions de dollars. Dans les Îles vierges, paradis fiscal par excellence, il ne se passe rien d’important : on note juste la présence d’une boîte postale, mais la paperasse se fait à Dubaï.
Il faut remarquer, comme l’affirme l’ICIJ sur son site pour la base de données des fuites offshore : « Il existe des utilisations légitimes, faites par des sociétés et des fiducies offshore. Nous ne voulons pas suggérer ou laisser entendre que toute personne, société ou organisme figurant dans la base de données des fuites offshore de l’ICIJ a enfreint la loi ou agit de façon préjudiciable. »
Toutefois, l’Indian Express fait remarquer que les « fiducies offshore sont aussi utilisées par certains comme des outils secrets pour conserver de l’argent mal acquis, masquer des revenus à des fins d’évasion fiscale, protéger un patrimoine de la mise en application de la loi, l’isoler des créanciers à qui d’énormes sommes sont dues et, parfois, l’utiliser pour des activités criminelles. »
Au titre des directives du Patriot Act, les institutions financières – au sein desquelles figurent les bijoutiers – qui font affaire avec des sociétés disposant de holdings offshore doivent mener une « due diligence renforcée ».
(Les fuites montrent également que ce que l’on appelle les territoires offshore ne sont pas le seul problème. Les lois financières laxistes du Dakota du Sud ont fait de l’État « un havre pour l’argent sale », indique le rapport.)
L’année dernière, le Congrès a adopté une nouvelle loi sur la transparence financière dans le cadre de la loi dite National Defense Authorization Act.
La loi créerait « un registre central sécurisé et privé, devant être géré par FinCen [le réseau de répression des crimes financiers du Trésor américain] pour suivre la propriété bénéficiaire des entreprises constituées ou enregistrées aux États-Unis », déclare Sara Yood, conseil adjoint du Jewelers Vigilance Committee.
« Pour autant que je sache, la réglementation qui applique cette loi n’a pas encore été rédigée ni proposée mais, à l’évidence, le gouvernement américain sait déjà que des sociétés écrans sont utilisées pour conserver de l’argent d’une manière susceptible de donner lieu à un blanchiment d’argent ou à un financement du terrorisme, explique-t-elle. Il sera intéressant de savoir quelle sera la mise en application et l’effet qu’elle aura sur l’utilisation de ces sociétés écrans à l’avenir. »
Les autorités agissent également dans d’autres domaines. En janvier, 14 personnes associées à l’industrie diamantaire ont été traduites en justice à Anvers, « accusées d’utiliser des comptes bancaires suisses et des sociétés fictives offshore pour blanchir des millions d’euros de bénéfices issus du négoce de diamants, afin d’éviter de régler des impôts », d’après le Brussels Times. (Le JCK n’a pas pu déterminer l’issue de ce procès.)
Mais ces sujets ne sont pas uniquement liés à la conformité juridique. Il s’agit également de protection financière. Bailey Banks & Biddle aurait détenu un fonds de couverture basé aux Îles vierges britanniques. Les fournisseurs n’ont pas eu beaucoup de recours lorsque le bijoutier a brusquement été dissous.
Et aujourd’hui que l’industrie fait l’objet d’une surveillance accrue de la part des banques, des gouvernements et des consommateurs et qu’elle est confrontée à des demandes pour plus de transparence, ce type de situation fait mauvais genre.
Comme l’a récemment indiqué dans The Guardian Oliver Bullough (dont l’ouvrage Moneyland mérite d’être lu) :
Au cœur de ces fuites figure un seul outil : la société-écran, qui a été utilisée à maintes reprises par des personnes puissantes pour masquer leurs activités aux autres citoyens, aux autorités fiscales et aux agences de répression. C’est peut-être la chose la plus dommageable qui ait jamais été inventée, puisqu’elle permet le vol de centaines de milliards de livres chaque année, tout en trompant les enquêteurs – peu importe leur détermination ou la puissance du pays, la cause ou la corporation qu’ils représentent.
Et d’ajouter :
Il ne devrait pas être nécessaire de le dire, mais cela est mauvais. Les démocraties ne survivent que parce que la loi s’applique de manière égale à tous. S’il persiste un système de l’ombre qui permet aux riches et aux puissants d’éviter de se soumettre aux mêmes règles que le reste de la population, la confiance qui sous-tend notre système va disparaître. Sans confiance, la démocratie ne peut survivre.
Nous avons beaucoup entendu parler ces derniers temps de « la responsabilité sociale des entreprises ». Y a-t-il responsabilité sociale plus élémentaire que celle de payer ses impôts ?