Nombreux sont ceux dans notre industrie à se méfier des ONG, qui ne dépeignent pas toujours un portrait des plus flatteurs de notre secteur. Mais certaines, notamment celles installées dans les pays africains, font généralement leur travail confrontées à des menaces considérables.[:] Ce sont des personnes courageuses.
J’ai interrogé deux militants d’ONG qui ont été arrêtés. Le premier, Farai Maguwu, responsable de l’ONG zimbabwéenne Centre for Research and Development, a été accusé en 2010 d’avoir communiqué des secrets du gouvernement à l’organisme de suivi du Kimberley Process. Il a passé 40 jours en prison où il a frôlé la mort. Lorsque le KP a autorisé des exportations limitées de Marange, la libération de Farai Maguwu faisait partie des conditions, en partie grâce aux efforts du World Diamond Council.
Quant à Rafael Marques de Morais, auteur et militant angolais, qui a écrit et s’est souvent exprimé sur les problèmes des droits de l’homme dans les champs diamantifères du pays (y compris auprès du JCK), il a été accusé de diffamation par sept généraux liés au gouvernement pour son livre Blood Diamonds: Corruption and Torture in Angola[1]. Il attend actuellement son procès dans son pays, où la diffamation est apparemment un délit pénal. (Il avait été poursuivi pour diffamation au Portugal pour les mêmes raisons ; les charges ont été abandonnées.) Lorsqu’il s’est présenté à son procès le 24 mars, le tribunal a fini par ajouter de nouvelles accusations.
Exemples typiques de l’effet Streisand, l’arrestation et le procès de Rafael Marques de Morais ont attiré une attention sans précédent sur les problèmes des champs de diamants en Angola (voir les articles ici, ici et ici.) Et même si cette affaire n’a pas de lien direct avec le mandat du KP, elle aura forcément des répercussions. En effet, par un malheureux hasard du calendrier, cette année, l’Angola préside le KP. Il semble tout à fait malencontreux que la sentinelle qui contrôle les diamants du conflit soit dirigée par un pays qui pourrait avoir emprisonné un militant des diamants du conflit.
Le Kimberley Process a été constitué pour mettre un terme aux diamants du conflit, mais il apparaît, au mieux, comme un forum où les ONG, les fonctionnaires des gouvernements et l’industrie diamantaire peuvent débattre de manière ouverte et approfondie, grâce à sa structure tripartite tellement vantée. Des affaires comme celle-ci frappent le KP au cœur même de ses tentatives d’action.
La légère différence entre cette affaire et celle de Farai Maguwu est que ce dernier était – et reste – membre de la coalition des ONG du KP. Vous avez donc un bras du KP qui tente de mettre l’autre en prison. Rafael Marques de Morais ne fait pas partie du groupe d’ONG (il a refusé d’y adhérer) mais ses collègues des ONG affirment qu’ils sont tout à fait informés de son cas.
« C’est un éléphant dans un jeu de quilles, explique Alan Martin, directeur de recherche chez Partenariat Afrique Canada et membre de la coalition des ONG. Nous le soutenons totalement. Son affaire fait effectivement l’objet de conversations individuelles et sera rendue publique à un moment ou un autre. »
Selon Alan Martin, tous les services du gouvernement ne sont pas sur la même longueur d’onde. « D’un côté, vous avez le bureau du KP, qui tente de travailler avec sa structure tripartite, explique-t-il. De l’autre, les généraux poursuivent une vendetta personnelle contre celui qui les a mis dans l’embarras. »
L’Angola a été l’un des premiers pays où circulaient des diamants du conflit et il a beaucoup progressé depuis la fin de sa guerre civile. Sa demande pour présider le KP en 2014 n’a bizarrement soulevé que très peu de controverses – étant donné l’histoire compliquée du pays en matière de droits de l’homme dans ses champs diamantifères et le refus d’une précédente demande. Alan Martin met le doigt sur un rapatriement réalisé l’année dernière avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, chose qu’il estime susceptible de donner de l’espoir aux ONG. L’Angola « a fait beaucoup d’efforts pour accepter les défaillances que des gens avaient relevées précédemment, y compris certaines des choses dont Rafael a parlé », explique-t-il.
Ce qui nous ramène aux charges portées contre lui. La plupart des éléments que Rafael Marques de Morais a rapportés concernent la corruption et la violence hors des groupes rebelles, deux sujets qui sortent sans conteste de la charte du KP (quoi qu’on en pense). Pourtant, si l’industrie en Angola est aussi peu contrôlée que ce qu’il indique, cela pourrait bien concerner le mandat du KP et suggérer que l’industrie diamantaire du pays doit faire l’objet de contrôles supplémentaires.
Tout cela ajoute à l’embarras de l’Angola – et peut-être aussi du système de certification qu’il dirige désormais.
[1] Diamants du conflit : corruption et torture en Angola