Voici la transcription intégrale du discours prononcé par Eli Izhakoff, président du World Diamond Council, à la réunion intersessions du Kimberley Process, qui s’est ouverte à Washington DC le 4 juin.
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Mesdames et Messieurs,
C’est avec beaucoup de fierté que je m’adresse à vous aujourd’hui, dans ce décor et dans cette grande ville, témoin depuis des siècles de nombreux faits marquants de l’Histoire. Certains d’entre eux ont changé le cours de l’humanité.
C’est ici, à Washington DC, qu’en août 1963 le Dr Martin Luther King a prononcé son discours intitulé « I have a dream ». Il s’exprimait au nom de son peuple et du mouvement américain pour les droits civiques, demandant que tous les individus soient égaux en termes de liberté et d’épanouissement.
Cet instant a été décisif et a résonné non seulement aux États-Unis, mais aussi partout dans le monde. Ce message universel fait toujours écho aujourd’hui. Le discours de Martin Luther King a été repris à de très nombreuses reprises, sous une forme ou sous une autre, partout dans le monde, par des personnes et des nations réclamant la liberté, l’égalité des chances et le droit de profiter équitablement des fruits du travail et de la propriété.
Martin Luther King avait eu l’intuition d’une vérité que beaucoup d’entre nous dans le secteur du diamant apprécient désormais plus pleinement grâce à notre participation au Kimberley Process. Il s’agit du fait que nous dépendions tous les uns des autres et concerne, dans notre secteur d’activité, non seulement la chaîne d’approvisionnement, mais aussi notre capacité à exercer avec succès sur le long terme.
« Ce qui concerne directement l’un d’entre nous nous concerne tous indirectement », a déclaré un jour Martin Luther King. « Je ne serai jamais ce que je dois être si vous n’êtes pas ce que vous devez être. C’est la trame de la réalité. »
Nous sympathisons avec nos partenaires de la chaîne de distribution, car c’est elle qui nous définit en tant qu’êtres humains moraux et en tant que professionnels. Il est toujours possible de faire des profits rapides, sans tenir compte des conséquences éthiques de nos actes, mais est-ce vraiment une attitude juste ? Et quand je dis « juste », je parle à la fois en termes d’éthique et d’économie.
Ces dix dernières années, nous avons appris que si nous voulions créer un secteur durable, notre environnement devait être dépourvu de problèmes éthiques.
Cependant, la définition large du défi éthique n’est pas figée et, nous l’avons tous découvert, l’éventail des activités du KPCS a également évolué. Le public comprend mieux ce qu’est un diamant du conflit ; les circonstances dans lesquelles le KPCS a dû réagir ont été changeantes, même si la définition d’origine apparaissant dans les Pré-requis du KP n’a pas été modifiée.
Lors de la réunion annuelle du World Diamond Council, qui a eu lieu à Vicence, en Italie, il y a deux semaines à peine, notre assemblée générale a adopté une résolution appelant à un débat : le but est, au sein du Kimberley Process, d’élargir la définition des diamants du conflit dans les Pré-requis, pour l’adapter à l’époque dans laquelle nous vivons.
Comme l’a déclaré l’ambassadeur Gillian Milovanovic quand elle s’est adressée à notre assemblée, il est arrivé bien souvent qu’une définition plus large ait été appliquée de facto. Il est temps pourtant de codifier cela dans les statuts du KP.
Dans notre résolution, nous avons adopté une position claire afin de protéger la sécurité et le bien-être de tous les intervenants de notre industrie. Dans le même temps, nous définissons les paramètres qui permettent de s’assurer que nous ne sommes pas entraînés de façon cynique dans des situations dans lesquelles nous ne jouons aucun rôle.
Le World Diamond Council propose d’élargir la définition initiale des diamants du conflit pour y inclure les marchandises associées à la « violence liée aux diamants dans les zones de production et d’échange de brut. »
En d’autres termes, nous suggérons explicitement que les diamants entachés par la violence soient considérés comme des acteurs du « conflit », et donc soumis à des sanctions du KP, ce que le World Diamond Council aidera à contrôler, en faisant la promotion de son système de garanties tout au long de la filière. Mais nous précisons que la violence doit être associée à des activités liées à l’industrie dans les régions de production ou d’échange de diamants.
Il est évident qu’il ne faut absolument rien négliger, mais, compte tenu de notre histoire, je suis convaincu que nous trouverons un terrain d’entente. Il faudra, bien sûr, la convergence de vues de la plupart des personnes de l’assistance. Mais ce sont de bonnes nouvelles, parce que même si nous ne sommes manifestement pas d’accord sur tout, notre simple présence ici témoigne de notre engagement collectif envers un même principe : débarrasser le monde des diamants du conflit.
À Vicence, j’ai évoqué deux doctrines distinctes au sein du KP, et j’ai souligné que toutes deux sont légitimes et doivent être abordées.
L’une regroupe de nombreux membres des marchés occidentaux développés, qui mettent l’accent sur l’influence cruciale de la confiance des consommateurs.
L’autre est adoptée principalement par des membres de pays producteurs de brut, extrêmement sensibles au rôle que les diamants doivent jouer dans la promotion d’opportunités économiques durables à la base.
Il faut souligner que ces points de vue ne sont pas divergents, ni même les faces opposées d’une même pièce. Les membres du KP dans les pays producteurs doivent comprendre que le succès de notre industrie est étroitement lié à la confiance des consommateurs. Par ailleurs, les détaillants et autres participants à la chaîne de distribution doivent être conscients que la stabilité de l’approvisionnement dans la filière exigera une répartition équitable des revenus et de la valeur ajoutée dans les régions productrices.
Lorsque nous nous sommes rencontrés il y a deux semaines en Italie, lors de l’assemblée annuelle du WDC, j’ai eu le privilège d’être entouré de deux personnes très influentes, deux femmes qui imposent leur style dans notre secteur traditionnellement dominé par les hommes. Chacune vient d’un pays lié à l’une ou à l’autre de ces doctrines, mais toutes deux ont, avec un sens aigu de l’écoute, pris conscience du point de vue de l’autre, ainsi que de la nécessité de permettre à l’industrie de poursuivre son travail de manière efficace et productive.
À ma gauche, se trouvait l’ambassadeur des États-Unis Gillian Milovanovic, la présidente du KP, qui a longuement parlé de la nécessité de modifier la définition des diamants du conflit, de sorte qu’elle englobe des situations déjà rencontrées et traitées de manière ad hoc par le KP. Elle a suggéré que le terme de « diamants du conflit » couvre « les diamants bruts utilisés pour financer les conflits armés ou d’autres situations de violence, ou directement liés à eux », une description que l’assemblée générale du WDC a jugée comme une bonne base pour poursuivre les discussions.
Mais nous saluons également l’ambassadeur Gillian Milovanovic pour son étude du rôle du KP dans une perspective plus large, ayant suggéré que le Kimberley Process adopte comme objectif la promotion d’un développement économique durable. Nous nous identifions clairement avec cette approche.
Le KPCS n’est pas une fin en soi, c’est un moyen et son objectif est un développement économique et social durable.
À ma droite à l’assemblée de Vicence, se trouvait Son Excellence Mme Susan Shabangu, ministre des Ressources minérales de la République d’Afrique du Sud, le pays qui est le vice-président du Kimberley Process et qui en assumera la présidence à partir du 1erjanvier 2013.
Mme Shabangu a parlé très élégamment du potentiel économique du brut dans les pays africains producteurs, et indiqué, je cite : « Comment transformer l’image de cette matière première, aujourd’hui celle d’un symbole d’oppression, de violence et d’inégalité, en un message d’espoir et de prospérité pour tous ? La seule solution est de permettre aux citoyens de ces pays producteurs de profiter d’une juste part des revenus générés par leurs possessions. »
Toutefois, Mme Shabangu a également souligné la promesse de la communauté professionnelle d’aider à atteindre l’objectif de développement économique durable, en mettant en avant le rôle des technologies, des compétences et des marchés bien établis des pays développés, qui pourraient être associés avec les systèmes africains pour développer la chaîne de valeur du diamant.
Cette double approche des affaires responsables qui vise, d’une part, à imposer des règlementations destinées à éviter l’entrée des diamants du conflit dans la filière légitime et, d’autre part, à faire la promotion de programmes destinés à faire avancer la cause du développement durable, montre bien que le KP est, à la base, une entreprise en faveur des droits de l’homme.
N’oublions pas que la Déclaration universelle des droits de l’homme comprend à la fois l’article 3, qui déclare que tout le monde a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, et l’article 25, qui établit le droit de chacun à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé et son bien-être, ainsi que ceux sa famille.
Nous ne devrions pas avoir peur de la question des droits de l’homme. Ce que nous n’avons pas précisé, c’est que, comme l’ambassadeur Gillian Milovanovic l’a dit elle-même, le KP se concentre sur des questions qui concernent le commerce des diamants. Nous compatissons avec toutes les souffrances, mais nous ne pouvons agir que dans des domaines que nous contrôlons.
À ce sujet, nous avons trouvé un terrain d’entente avec la Civil Society Coalition en ce qui concerne l’incorporation d’une mention du respect du droit international des droits de l’homme dans la décision administrative du KP sur les contrôles internes. Aux termes de l’accord conclu entre la Civil Society Coalition et le WDC, « l’administration des mesures de sécurité et de la mise en œuvre des contrôles internes au sein du KPCS dans l’industrie du diamant, applicable aux participants, doit être compatible avec le droit international des droits de l’homme. »
Le WDC appuie fermement les efforts en cours pour intégrer la réforme interne dans l’institution du Kimberley Process, et nous avons participé aux deux réunions qui ont eu lieu ici à Washington DC, ainsi qu’à Bruxelles.
Nous attendons avec impatience la mise en place d’un mécanisme de soutien administratif permanent, qui assurera la continuité et améliorera l’efficacité des organes de travail du KP. Nous aimerions également que le système d’examen par les pairs soit renforcé afin d’améliorer le respect des exigences minimales du KPCS et l’échange d’informations avec les organismes internationaux d’application de la loi.
Mesdames et Messieurs, nous célébrerons l’année prochaine les 10 ans du système de certification du Kimberley Process. La mission a été difficile, mais étonnamment gratifiante pour tous ceux d’entre nous qui s’y sont impliqués, avec des hauts et des bas, de longues négociations et beaucoup de nuits blanches. Au final, nous pouvons être fiers de nos nombreuses réalisations.
Sur ce, je vais conclure par une autre citation de Martin Luther King : « La véritable grandeur d’un homme ne se mesure pas aux moments de confort et de commodité, mais bien à ceux faits de défis et de controverses. »
Je vous remercie.
Eli Izhakoff