Le secteur de l’extraction de diamants a été durement touché par la crise du coronavirus. La demande a connu une forte baisse – alors que des ventes de brut pouvaient avoir lieu –, obligeant des miniers à repenser leur programme de production pour 2020. Toutefois, Lucara Diamond Corp. affiche une confiance prudente et estime disposer du bilan, de la plate-forme commerciale et du bon assortiment de produits dans sa mine Karowe de grande valeur, au Botswana, pour traverser la crise.
Dans un entretien du 16 juin, issu de la série de webinaires de Rapaport consacrés à la reprise, sa PDG, Eira Tomas donne son évaluation du marché diamantaire et évoque les projets de la société. Cet entretien est l’épisode 29 du podcast de Rapaport à cette adresse.
En quoi la Covid-19 a-t-elle pesé sur les opérations de Lucara ?
Nous avons la chance d’être un très petit producteur, obtenant environ 400 000 carats par an, que nous vendons lors de quatre tenders trimestriels et par le biais de Clara, notre plate-forme de vente numérique.
Nous avons été déclarés « service essentiel » par le gouvernement du Botswana. Notre mine Karowe a donc pu fonctionner tout au long de cette période. Nous avons dû mettre en place plusieurs protocoles nouveaux en matière de distanciation sociale et d’hygiène et près d’un tiers de notre personnel est en télétravail. Mais nous avons ainsi pu, plus ou moins, atteindre nos perspectives de production pour 2020.
Le gouvernement nous a également autorisés à organiser des ventes en dehors du Botswana et nous avons pu exporter à Anvers. Nous avons terminé notre tender du premier trimestre début mars, juste avant que la crise de la Covid-19 n’éclate vraiment. Les résultats nous ont paru assez confortables. Les prix étaient en baisse mais pas de façon considérable. Nous avons décidé de reporter notre vente du deuxième trimestre qui était prévue pour mai ; nous sommes d’ailleurs en train de l’organiser en ce moment [l’entretien a eu lieu le 16 juin].
Comment appliquez-vous la distanciation sociale dans une mine ?
Certains aspects de nos activités minières sont tout à fait compatibles avec la distanciation sociale. Cela devient plus compliqué dans notre usine, dans la fabrique et dans les sections d’extraction. Nous avons dû vraiment réfléchir à ces protocoles avec soin et engagé de nombreux efforts pour les planifier et les programmer. Ainsi, par exemple, nous avons changé d’approche en matière de sécurité et appliquons une grande part de surveillance à distance, au lieu d’avoir une présence sur site.
Nous avons beaucoup appris et avons pu créer un fonctionnement réellement efficace, ce qui nous sera profitable à l’avenir.
Comment avez-vous approché les relations avec les communautés au cours de cette période ?
La principale volonté de Lucara, dans son engagement auprès des communautés, est effectivement d’accéder à ces communautés et d’écouter leurs besoins. Nous avons appris que le but n’est pas vraiment de signer des chèques mais de trouver des opportunités prioritaires pour la communauté et de rechercher des façons innovantes de les mettre en place.
Nous avons bien sûr contribué au fonds de secours pour la Covid-19 du gouvernement. Mais, chose tout aussi importante, nous avons lancé plusieurs initiatives sur le terrain, par exemple en participant à la construction d’un abri pour les femmes et en finançant un centre de test communautaire.
Et puis, bien entendu, nous avons notre programme de développement durable habituel, qui ne s’est pas interrompu, pas même pendant la crise. Nous ciblons très fortement nos objectifs sociaux, ainsi que la gouvernance. Nous sommes membres du Pacte mondial des Nations unies et appliquons ses objectifs de développement durable. Nous publions également notre rapport sur le développement durable.
Nous sommes en train de bâtir des installations sportives pour les communautés et une école associée, des projets qui ont été retardés pendant la période de la Covid-19. Mais nos autres initiatives d’investissements communautaires se poursuivent. Nous recherchons toujours des façons d’aider à diversifier l’économie et de laisser un héritage durable au Botswana, au-delà de la durée de vie de nos opérations minières.
Quelle sera selon vous la dynamique de l’offre et de la demande en 2020 ?
Nous nous intéressons à la Covid-19 en ce sens qu’elle vient interrompre la reprise du marché diamantaire. Mais elle ne va pas l’empêcher. Nous avions commencé à constater un renforcement des prix pendant la deuxième partie de 2019 et nous pensons que les bases de l’offre et de la demande vont s’améliorer puisque les mines vieillissent et parce qu’il n’y a pas de nouveaux approvisionnements sur le marché.
De plus, même si nous avons travaillé au cours de cette période, de nombreuses mines ont été mises à l’arrêt. De grands miniers comme Dominion Diamond Mines au Canada et Debswana au Botswana ont réduit leur production. Il y a donc un cumul de stocks mais en même temps, de nombreux carats sont sortis de la filière.
À mon avis, cela n’est pas aussi fort que l’effet de la demande. Nous recevons des signes encourageants d’Asie, même si je pense que le plus gros problème vient des États-Unis. Et nous commençons à constater le retour de ventes de brut à Anvers.
En quoi cela affecte-t-il Lucara ?
L’année 2020 va bien évidemment être difficile pour nous. Nous avons débuté l’année avec un bilan propre, des liquidités à disposition et une absence d’endettement, ce qui nous a assuré une grande flexibilité. Nous n’avons pas besoin de vendre de diamants tout de suite mais nous pensons que le marché commence à se reprendre et qu’il est maintenant possible de vendre à prix raisonnable. C’est la raison pour laquelle nous avons maintenu notre tender, qui se concentre sur de petites marchandises, de moins de 10,8 carats.
Plus de 120 sociétés se sont inscrites pour consulter nos marchandises, ce qui est un signe positif. Nous recevons aussi bien davantage d’appels téléphoniques de la part de clients qui recherchent du taillé de grande qualité et de grande valeur à des fins d’investissement, ce qui est intéressant dans le contexte de la Covid-19.
Quels ont été les résultats de la plate-forme Clara au cours de la période, alors que le monde s’est tourné vers le numérique ?
L’intérêt pour Clara a pris une ampleur considérable tout au long de la Covid-19, puisque les déplacements ont été limités. Notre clientèle a augmenté de 20 %.
Ce que nous avons vraiment apprécié avec Clara, dès le départ, c’est qu’elle visait l’innovation et a montré que la façon dont nous vendons des diamants n’a pas vraiment changé depuis plus de 100 ans. Le but est de transformer toute la chaîne d’approvisionnement, qui passe d’un système de ventes poussées, dans lequel les diamants sont vendus par assortiments ou lots, à un système de ventes par attraction, dans lequel nous demandons au client la pierre taillée qu’il aimerait voir et trouvons la pierre brute qui lui correspond.
Notre objectif était de commercialiser la plate-forme et de montrer qu’elle fonctionne avec des diamants issus de Karowe, puis de l’ouvrir à d’autres producteurs. Notre défi a été d’intégrer la production de tiers. Deux grands essais que nous avions programmés ont été reportés en raison de la crise. La difficulté a vraiment concerné la logistique et il est difficile de véritablement changer la façon dont vous vendez un produit en période de crise.
La Covid-19 a-t-elle eu un effet sur vos projets d’expansion souterraine à Karowe ?
Nous avons retardé nos projets pour 2020, ce qui signifie qu’une grande part du travail qui était programmée pour cette année sera repoussée à 2021. Nous voulions passer le premier semestre et voir comment traiter les ventes de diamants.
La majeure partie du travail sur la structure souterraine était prévue pour le quatrième trimestre, il nous reste donc du temps. Notre objectif est toujours de produire du minerai en souterrain d’ici la fin 2025 ou début 2026. Nous avons la possibilité de faire vivre cette mine jusqu’en 2040, et c’est un gros atout économique pour nous.
Quelles seront les conséquences du développement souterrain sur vos chances de trouver de grosses pierres ?
Nous savons que le Lesedi la Rona, de 1 109 carats, faisait partie d’une plus grosse pierre et cela nous a incités à mettre à niveau notre fabrique. Nous avons la possibilité d’extraire un diamant jusqu’à 5 000 carats. Je ne sais pas à quel moment cela se produira mais je crois vraiment que nous allons battre notre record actuel, qui est de 1 758 carats.
N’oubliez pas que tous ces gros diamants proviennent d’une unité géologique positionnée au-dessus du souterrain. Pour le moment, celle-ci ne représente qu’un volume relativement réduit de notre mine à ciel ouvert. Mais si l’on descend à 800 mètres sous la surface, cette proportion change : près de 80 % de la kimberlite se situent dans cette unité.
Quel impact aura la fermeture de la mine Argyle sur le marché ?
Les conséquences seront importantes car Argyle représente 10 % de la production mondiale en volume. Nous avons vécu quelques revirements assez sérieux sur le marché du brut ces dernières années provoqués par les gros volumes de petits diamants issus de nouvelles mines au Canada, en particulier Renard et Gahcho Kué. Je ne pense pas que quiconque ait réellement prévu l’impact que cela aurait sur le prix des petits diamants. Je pense que la fin de la production d’Argyle constituera un gros avantage pour les producteurs de petites marchandises. Nous sommes moins touchés puisque 70 % de nos revenus proviennent de diamants de plus de 10,8 carats.
Envisagez-vous un retour de rentabilité dans le secteur de la fabrication ?
Nous l’espérons, effectivement. Nous voulons aboutir à une filière saine et nous devons tous travailler ensemble pour y arriver. Je pense vraiment que nous allons constater un plus fort écrémage, l’accent va se porter sur les entreprises les plus solides, qui ont accès à du capital et desservent des marchés actifs et résistants.
Que ce soit le secteur de la fabrication ou le secteur minier, ils ne seront probablement plus les mêmes qu’avant la Covid-19. Nous avons vu de nombreuses sociétés confrontées à de graves difficultés et l’accès au capital est difficile.
Êtes-vous en quête d’opportunités de fusions et d’acquisitions qui pourraient ressortir de la crise ?
Je pense que le temps est à la consolidation et que les fusions et acquisitions ont toujours intéressé Lucara. Elles sont aussi incroyablement difficiles à faire car on traite avec différentes personnalités et les actifs sont rares. Le moment est important pour nous car nous aimerions le bon actif qui viendrait compléter Karowe. Nous avons beaucoup travaillé à protéger notre bilan, sans trop nous endetter pour rester flexibles. Nous continuons à chercher et je pense qu’une crise comme celle-ci devrait faciliter les choses.
On trouve plusieurs sociétés sur le marché qui rencontrent des difficultés car elles sont surchargées de dettes difficiles à rembourser lorsqu’il n’y a aucune certitude sur les flux de trésorerie. La période est donc très difficile, en particulier pour certains des petits producteurs.
Quel est votre message pour l’industrie en cette époque de crise ?
Nous devons rester concentrés sur le long terme. Les perspectives pour cette activité restent très positives mais nous traversons une période très difficile. Nous devons rechercher des façons d’être plus efficaces et réfléchir de manière originale dans notre approche des activités. C’est en tout cas ce que nous essayons de faire, en particulier avec Clara.
Et il est très important de travailler tous ensemble. Nous faisons tous partie d’une même industrie et participons tous à différents aspects de cette chaîne d’approvisionnement. Pour réussir, nous devons nous assurer d’avoir des entreprises qui prospèrent tout au long de cette chaîne d’approvisionnement.