Alors que la présidence du Kimberley Process travaille à faire progresser les forums sur l’évaluation du brut, des interrogations demeurent quant au propre commerce diamantaire des EAU.[:]
Dès le départ, la présidence émiratie du Kimberley Process (KP) a suscité d’importantes controverses ; la société civile et plusieurs États membres ont exprimé leurs craintes de voir la présidence de 2016 s’installer à Dubaï.
Au final, la coalition de la société civile – le pilier non-gouvernemental du KP – a boycotté les sessions de cette année, affirmant que les EAU n’étaient pas parvenus à répondre à quatre problématiques d’avant sa désignation. Les sujets cités sont : la surévaluation des réexportations de brut, l’absence de mise en place d’une coopération avec les principaux partenaires commerciaux, l’absence de vigilance sur les diamants importés à Dubaï depuis des régions qui posent problème et l’engagement effectif auprès de la société civile.
Huit mois après le début de la présidence, Ahmed bin Sulayem, le président 2016 du KP, désigné par les EAU, réfute toutes ces craintes, affirmant qu’elles masquent les réalisations du KP cette année. L’objectif des derniers mois de son mandat est double, a-t-il expliqué dans un entretien avec Rapaport News : faire progresser l’initiative d’évaluation du brut mise en place en mai et renforcer les liens du KP avec les États africains.
Un temps pour l’Afrique
Son récent déplacement dans certains pays africains était porteur d’un certain sens car il passait par la République Centrafricaine, peu de temps après que le pays a repris ses exportations de brut, mettant ainsi fin à un embargo de trois ans imposé par le KP. Ahmed bin Sulayem a été le premier président du KP à se rendre dans ce pays et il a joué un rôle dans la levée de cette interdiction qui, a-t-il affirmé, aura un effet notable sur le pays, considéré comme l’un des plus pauvres au monde.
« Du fait de l’embargo, les travailleurs n’étaient plus payés, ils se sont donc naturellement tournés vers d’autres façons de nourrir leurs familles, a-t-il expliqué. Parfois, le fait de faire disparaître un moyen de subsistance devient une raison de conflits, c’est un scénario dont je ne veux pas. »
Ahmed bin Sulayem estime que ces visites placent les EAU dans une position unique pour faire le lien entre les membres africains et occidentaux du KP. Les tensions entre les deux groupes se sont enflammées par le passé pour des questions telles que l’extension de la définition des diamants du conflit. Bien que la discussion sur cette définition ne soit pas actuellement à l’ordre du jour, c’est une chose dont Ahmed bin Sulayem souhaiterait discuter à l’avenir. Il considère que les EAU peuvent servir d’intermédiaire efficace dans ce genre de délibérations.
La valeur du brut
Cette année toutefois, son attention s’est portée sur l’ouverture de forums sur l’évaluation du brut, après qu’il a accueilli le premier du genre à Dubaï au mois de mai. Une deuxième réunion est prévue à Anvers, le 21 septembre. Une troisième se tiendra à Dubaï, juste avant la session plénière du KP, en novembre.
L’objectif de ces forums est de développer un ensemble de normes internationales destinées à tarifer le brut. Ahmed bin Sulayem considère que cela aiderait les miniers artisans à fixer la valeur de leur production et à négocier les prix.
« Nous voulons être certains que toute l’industrie profite de cette initiative, a-t-il expliqué. Les étapes suivantes consistent à impliquer les participants du KP et les experts de l’industrie, dont, a-t-il insisté, ceux de la société civile. »
Le différend continue
Les forums pourraient même servir de moyen pour faire à nouveau participer la société civile au KP, a suggéré Ahmed bin Sulayem, ajoutant que la « porte restait ouverte » lors de la prochaine session plénière prévue en novembre.
Toutefois, les relations entre les deux parties restent tendues, comme l’a montré l’absence de la coalition à la réunion intersession de mai. Il est peu probable que les organisations assistent à la session plénière puisque la médiation a échoué, a expliqué Offah Obale, chercheur sur les minéraux du conflit au Partenariat Afrique Canada (PAC), qui gère la communication pour la coalition de la société civile du KP.
La coalition, qui dispose d’un statut d’observateur lors des réunions du KP, se réunira de nouveau en octobre afin de réfléchir à sa position et d’envisager diverses solutions, a indiqué Offah Obale.
Ahmed bin Sulayem a avancé que les questions de la société civile avaient obtenu des réponses ou qu’elles n’étaient ni claires ni raisonnables au départ. Le KP a mené une mission d’examen des EAU qui aurait dû atténuer ces craintes, a-t-il ajouté, même si le rapport définitif n’a pas encore été publié.
L’écart de valeur à Dubaï
Parmi les questions les plus pressantes, figurent les pratiques d’évaluation du brut des EAU, avec des hausses inexplicables de la valeur des réexportations issues du pays, a expliqué Offah Obale. En 2015, le prix moyen du brut importé aux EAU était de 88 dollars par carat, alors que le prix moyen des exportations était de 119 dollars par carat, d’après des données publiées récemment par le KP.
De tels écarts ont soulevé des questions sur le statut de paradis fiscal de Dubaï pour l’industrie, grâce aux prix de transfert (le prix auquel des divisions d’une même société font affaire l’une avec l’autre). Ce que l’on a appelé la « route de la soie », qui permet d’importer du brut d’Afrique vers Dubaï et de le réexporter avec des prix gonflés vers l’Inde, par exemple, permet à des sociétés de transférer leurs bénéfices à Dubaï, là où ils ne sont pas imposés.
Les prix de transfert entraînent d’importantes difficultés éthiques et de respect de la loi pour le secteur diamantaire de Dubaï, a écrit le PAC dans un rapport. Le statut de zone franche de Dubaï expose son commerce diamantaire aux abus des réseaux criminels et terroristes, a-t-il ajouté, citant une étude du Groupe d’action financière (GAFI).
Les progrès
Interrogé à propos de ces écarts, Ahmed bin Sulayem a expliqué à Rapaport News que les bureaux du KP aux EAU n’évaluent que les exportations de brut et qu’ils ne sont pas mandatés pour s’intéresser aux importations, puisque celles-ci ont déjà été authentifiées par les pays exportateurs. Par conséquent, la question devrait plutôt être adressée à l’industrie, car les marchandises sont expédiées à un prix convenu à l’avance, principalement en provenance d’Europe et d’Inde, puis réexpédiées à un prix établi par les sociétés concernées, a-t-il souligné. Les EAU étudient la question et communiqueront leurs conclusions en temps voulu, a assuré Ahmed bin Sulayem.
Il espère au moins que les objections de la société civile relatives aux EAU n’auront pas d’effet sur le KP à long terme, puisque l’Australie devrait reprendre la présidence en 2017. En fait, le rapport de mi-mandat du président du KP, publié au cours de la semaine du 22 août, ne citait absolument pas la société civile, tout en soulignant l’activité de l’organisation au cours du premier semestre du mandat des EAU.
« Je considère que les déclarations faites [par la société civile] l’année dernière les empêchent d’avancer et je ne peux que les inciter à dépasser cela dans l’intérêt de la famille du KP, a indiqué Ahmed bin Sulayem. Je pense que nous avons eu une année très productive et réalisé d’importants progrès sur de nombreuses questions. »