Dubaï travaille activement à voler la vedette à Anvers, qui détient la place de premier centre d’échange de brut au monde. [:]Plus d’une fois ces dernières semaines, nous avons évoqué ici la façon dont les centres de négoce font la promotion de leur avantage concurrentiel par rapport à d’autres… ou n’y parviennent absolument pas. Certains, comme les États-Unis et la Chine, disposent d’un atout unique, celui d’une importante clientèle. D’autres investissent dans la technologie ou font pression sur leurs gouvernements afin qu’ils adoptent des lois en faveur de l’industrie locale.
À Dubaï, les négociants profitent de nombreux avantages. Ils bénéficient d’une amnistie fiscale de 50 ans et d’un taux d’imposition nul pour les particuliers et les entreprises. Les sociétés sont ainsi encouragées à ouvrir un établissement dans le petit émirat. Or, la plupart du brut est produit en Afrique et la majeure partie du taillé provient d’Inde. Dubaï se situe à mi-chemin entre les deux et devient donc une alternative logique à Anvers, plutôt excentrée.
Pour promouvoir ce parcours, surnommé la « nouvelle route de la soie », le Dubai Multi Commodities Centre (DMCC) a invité cette semaine les banquiers qui financent l’industrie et les ministres des mines des pays africains producteurs. Ils ont pu s’exprimer ainsi qu’écouter et rencontrer les négociants du monde entier.
Les participants à cet événement de deux jours évoquaient souvent un même sujet en coulisses : Dubaï, comme alternative à Anvers. Beaucoup conviennent que Dubaï ne fera que gagner en importance. Deux hommes ont œuvré en ce sens : Ahmed Bin Sulayem, président du DMCC, et Peter Meeus, président du Dubai Diamond Exchange.
Les 39 milliards de dollars de diamants commercialisés par Dubaï en 2011 (contre 35 milliards de dollars en 2010) témoignent aussi du changement. Il faudra pourtant encore combler l’écart avec les 56,5 milliards de dollars échangés à Anvers cette année-là. Dubaï n’a pas encore publié ses chiffres pour 2012 ; ceux de la Belgique étaient en baisse, à 52 milliards de dollars en 2012.
En plus des marchandises et des allégements fiscaux, tous les centres ont besoin d’un financement favorable. ABN AMRO, la principale banque de financement, n’est pas encore pleinement installée à Dubaï, pas plus que les autres. Néanmoins, cela changera si, ou plutôt quand le besoin s’en fera sentir.
La progression de Dubaï n’est pas seulement due à ses propres efforts, mais également au rôle qu’a joué la Belgique. Par le passé, le gouvernement belge se montrait très favorable pour l’industrie. Cependant, au fil des ans, sa léthargie, son incompétence et sa complaisance ont abouti à une baisse de ce soutien.
Il aura fallu une série de descentes chez les diamantaires (et les atermoiements des autorités policières qui ont suivi) pour obtenir le premier vrai point de rupture.
Les diamantaires ont alors commencé à déménager tout ou partie de leurs activités d’Anvers pour sortir de cette situation défavorable. Les sociétés appartenant à des Juifs ou des Israéliens ont déménagé en Israël ou y ont ouvert des succursales. Quant aux sociétés appartenant à des Indiens, et elles étaient nombreuses, elles ont choisi de transférer leurs activités à Dubaï.
Ajoutez à cela une presse hostile et une fiscalité élevée en Belgique et comparez à la météo clémente et à l’offre sociale de qualité à Dubaï. Les tendances ont commencé à s’inverser. Les vaillants efforts d’Ari Epstein et de Stephan Fischler, respectivement PDG et président du Antwerp World Diamond Centre, pour promouvoir Anvers lors d’une série de manifestations commerciales et tisser des liens commerciaux avec la Chine, ont ralenti l’exode. Ils n’ont pourtant pas pu l’inverser totalement.
Enfin, la Diamond Trading Company (DTC), le bureau de commercialisation de la De Beers, se trouve à Londres. Aisément accessible par avion depuis Anvers, elle a aidé cette ville à devenir la plaque tournante du brut. Son déménagement à Gaborone, au Botswana, prive la cité belge de ce soutien crucial.
Le déménagement à Gaborone symbolise non seulement le rôle croissant de l’Afrique dans le destin des diamants de la société, mais aussi le déclin de l’Europe pour elle.
N’y voyons pas là seulement une leçon d’économie et d’évolution. Nous devons aussi apprendre en termes d’humilité. Cette histoire comporte une composante souvent ignorée mais importante : celle de la race et des relations interraciales. Pendant extrêmement longtemps, les Africains ont été méprisés par les sociétés minières. Aujourd’hui, ils prennent leur destin en main et préfèrent traiter avec des non Européens.
Nous vivons un virage pour la fabrication. En termes culturels et linguistiques, l’industrie va bientôt dire au revoir et s’entraîne dorénavant à bien prononcer ahlan[1].
[1] Signifie « bienvenue» en arabe.