Il n’y a quasiment rien qui vaille les mauvaises nouvelles, surtout si elles regorgent de sang et d’horreur. Face à un accident de voiture, tout le monde se presse pour constater les dégâts. Une épave sérieusement abîmée nous fait ralentir, nous voulons observer plus longtemps la catastrophe.[:]Les mauvaises nouvelles sont une mine d’or, surtout pour les médias. Une attaque terroriste attire les lecteurs vers les sites d’information mieux qu’aucune autre actualité. Certains sont attirés par la crainte et l’inquiétude, sans doute, mais le besoin de voir l’horreur reste une motivation de premier plan. Je ne montre personne du doigt. Je suis agacé par ceux qui, devant moi, ralentissent la circulation en passant devant un accident mais je ne peux pas non plus m’empêcher de me tordre le cou pour évaluer la quantité de tôle froissée. Les gros titres attirent plus vite mon attention s’ils sont porteurs de mauvaises nouvelles.
Dans cette rubrique, nous avons publié notre part de mauvaises nouvelles. Plus l’article nous concerne, lorsque les personnes impliquées nous sont connues, plus il attire notre attention. Et plus les détails sont juteux, plus les éclaboussures de sang sont « tendance », plus le carnage est sanglant et plus le choc est retentissant. Tout le monde adore ces détails mais personne ne l’admet, du moins pas en public ou à grande échelle.
Les articles qui abordent les thèmes d’éthique attirent moins de lecteurs que les histoires au caractère plus scandaleux. Malgré de légers effluves de sang – après tout l’éthique aborde de mauvaises nouvelles – l’effet n’est pas vraiment au niveau d’autres actualités juteuses.
Nous nous présentons comme des requins habillés d’une peau de mouton. J’ai bien dit des requins, et non des loups, qui, eux, tenteraient de tromper le troupeau par leur déguisement ; les requins rôdent, attirés par l’odeur du sang. Plus il y a de sang dans l’eau, plus nous réagissons rapidement. La peau de mouton ne sert pas à se rapprocher des victimes, elle habille notre conscience lorsque nous nous regardons dans le miroir ; ce mécanisme devrait faire l’objet de toute notre attention.
L’éthique est ennuyeuse, grise, elle ôte tout plaisir à un sujet intéressant ; les articles sur ce sujet restent donc trop souvent lettre morte. Cela peut sembler paradoxal, mais les appels à « faire le bien », qui attirent moins d’attention, génèrent davantage de commentaires.
De toute évidence, la soif de sang fait partie intégrante de notre système, tout comme la bienveillance fait partie de l’être humain. Renifler le sang nous permet de rester en vie, satisfaits ; la bienveillance nous tire vers le haut et nous pousse à aller de l’avant, elle nous permet de nous améliorer en tant que société. Là est la dualité, inutile de la nier, mais considérons l’équilibre entre les deux. Nous vivons une lutte interne, parfois digne de Sisyphe, mais les événements extérieurs nous obligent à y faire face.
Les thèmes d’éthique qui caractérisent l’industrie, par exemple, ne sont pas seulement des « problèmes », ils nous représentent tous ; ils sont la réflexion du miroir à laquelle nous devons nous confronter, la barrière croissante entre l’offre et la consommation, le fossé qui se creuse entre créer et vivre de ses créations. Nous ne devons pas fléchir, au risque de devenir le sang dans l’eau qui attire les requins.