Dorothée Gizenga – « Les diamants du conflit sont apparus dans les exploitations minières artisanales »

Marianne Riou

Directrice exécutive de la Diamond Development Initiative depuis 2008, Dorothée Gizenga mène chaque jour un combat de longue haleine pour améliorer les conditions de vie et d’exercice des mineurs artisanaux. [:]Rubel & Ménasché a eu envie de la rencontrer et de vous en apprendre un peu plus sur son parcours et les missions qu’elle entend mener au  sein de la DDI.

Dorothée Gizenga, pourriez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours professionnel ?

J’ai commencé des études de chimie à l’Université Agostinho Neto en Angola. Je les ai terminées à l’Université du Saskatchewan, à Saskatoon. J’ai ensuite étudié l’économie à l’Université de York, à Toronto. Bien que je n’exerce pas directement dans l’un de ces domaines, une grande partie de ce que j’ai appris m’aide dans mes activités actuelles.

Lors de mon séjour à Toronto, j’ai travaillé pour le gouvernement provincial de l’Ontario. J’en suis partie après 8 ans d’exercice. Je me suis alors engagée auprès d’organismes communautaires faisant la promotion du bien-être et de l’intégration des immigrants au Canada, mais aussi celle des échanges entre femmes d’affaires africaines et canadiennes, par le biais d’une organisation (CAABWA), co-fondée avec cinq autres femmes, d’origine africaine et canadienne.

Plus tard, j’ai déménagé à Ottawa et j’ai fait un stage d’un an aux Affaires étrangères du Canada, au sein du Centre for Canadian Foreign Policy, qui n’existe plus.

J’ai découvert les diamants lors de mon arrivée à l’organisation Partenariat Afrique Canada (PAC). J’étais responsable de programme pour divers projets liés aux diamants, y compris le Kimberley Process, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, ainsi que la prévention de la violence contre les femmes dans la partie est de la RDC.

Comment en êtes-vous arrivée à travailler pour la DDI (Diamond Development Initiative) ? Quelles sont exactement vos fonctions ?

Le PAC a été l’un des membres fondateurs de la Diamond Development Initiative (DDI). M’étant personnellement impliquée dans son concept même, j’ai postulé dès que l’initiative a été fonctionnelle et que le poste de directeur exécutif a fait l’objet d’une annonce. Et j’ai obtenu la place.

Pourriez-vous nous présenter la DDI ? Quelles sont ses actions ? Ses missions ? Ses objectifs ?

La DDI a été créée pour seconder le Kimberley Process. Elle visait à aborder les questions de développement des mineurs artisanaux, de leurs familles et des communautés. Ces questions sont étrangères au mandat du KP, celui-ci vise à empêcher que les diamants du conflit ne contaminent le commerce légitime. Pourtant, la prévention durable des conflits ne pourra être garantie que par le développement. Les diamants du conflit sont apparus dans les exploitations minières artisanales. L’extrême pauvreté, la surpopulation, l’exploitation financière et la contrebande qui y règnent ont offert aux armées rebelles l’environnement idéal pour des opérations « diamants contre armes ». Le KP ne pouvait pas tout faire ; la DDI a donc été créée pour l’aider, en proposant des solutions de développement.

Notre plus grande tâche, qui s’aligne sur notre mandat, consiste à réunir les intervenants et les parties intéressées : une industrie multi-facettes (de la production à la vente au détail, en passant par la fabrication), la joaillerie, le secteur bancaire, les gouvernements, la société civile, les universitaires, les bailleurs de fonds. Tous doivent aborder la question de l’exploitation artisanale des diamants et trouver des solutions appropriées pour le développement du secteur et des personnes. Les mineurs artisanaux sont évidemment aussi l’objet du travail de la DDI. Elle s’engage avec eux pour trouver et appliquer des solutions; c’est une tâche énorme.

Très concrètement, comment travaillez-vous au quotidien pour améliorer les conditions de travail et de vie des mineurs artisanaux ?

En tant que directrice générale, je suis responsable de la pérennité de l’organisation. Je passe beaucoup de temps à assurer la liaison avec l’industrie, les donateurs et les gouvernements, pour faire connaître et comprendre notre mission et trouver divers types de soutiens. Il s’agit notamment de lever des fonds pour nos programmes d’aide aux mineurs artisanaux. Du fait de nos contraintes budgétaires, notre effectif est réduit. Je collabore aussi à la conception, à la livraison, au suivi et à l’évaluation des projets et des programmes. Je voyage donc beaucoup à cet effet, mais aussi pour assurer les relations publiques et assister à différents forums et y participer.

Grâce à ces programmes sur le terrain, conçus pour améliorer les conditions de travail des mineurs artisanaux ou créer une fondation, la DDI entend changer la donne pour les mineurs.

Qui sont vos donateurs ? Est-il difficile de fédérer les acteurs de l’industrie autour de votre cause ?

Nous sommes financés par l’industrie, les gouvernements, les fondations et les organismes donateurs. Nous avons également obtenu un budget de la Belgique, du Canada, de l’Union européenne, de l’Allemagne (GIZ), de la Suède et du Royaume-Uni. Nous sommes soutenus par des sociétés minières – la De Beers, Rio Tinto et Harry Winston (anciennement BHP Billiton) –, des détaillants comme Cartier, mais aussi des acteurs de taille moyenne, comme Brilliant Earth en Californie, Todd Reed Inc. au Colorado ou Halloway Diamonds en Australie. Des prestataires de services aux détaillants, tels que Rubel & Menasché, ou encore des fondations, comme l’Anglo-American Group Foundation et la Tiffany & Co. Foundation, ont également participé. J’en oublie… Nous avons récemment reçu des fonds de deux gouvernements africains, une première pour une ONG internationale.

Notre tâche est gigantesque. Nous devons assurer la continuité de tous nos programmes et concevoir de nouvelles solutions pour maintenir une certaine pertinence dans le domaine du développement. L’appui que nous recevons est inestimable. Mais nous avons toujours besoin de plus, il y a tant à faire. Le développement est un processus, généralement lent. Les bailleurs de fonds doivent nous rester fidèles pour que nos objectifs durent et que les délais raccourcissent.

Comment pouvez-vous  agir pour influencer les politiques des gouvernements des pays producteurs notamment ?

Nous organisons des discussions à propos des politiques, soit sur une base bilatérale avec les pays, soit par l’intermédiaire du Groupe de travail du Kimberley Process chargé de la production alluvionnaire artisanale (KP WGAAP). Ce groupe représente tous les pays membres, dans lesquelles a lieu une extraction alluvionnaire artisanale.

Quelles sont, selon vous, les perspectives et les enjeux à venir pour l’industrie du diamant en matière d’éthique ?

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En raison de la question sensible des diamants du conflit, l’industrie est sans cesse observée. Aujourd’hui, à une époque où l’information est quasi-instantanée, les diamants du conflit ont été remplacés par d’autres préoccupations, comme la protection de l’environnement, la violence conflictuelle entre mineurs artisanaux et grandes compagnies minières, notamment les violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité, les violations des droits de l’homme des forces gouvernementales, la violence entre mineurs artisanaux, le travail des enfants et les questions de santé et de sécurité.

L’industrie doit faire preuve d’éthique tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Ce n’est qu’ainsi qu’elle recevra l’approbation du public en général, et des consommateurs de bijoux en particulier. Les grandes sociétés doivent donc aider les plus petites et les ouvriers. Quant à ceux qui ne sont pas impliqués dans le secteur du détail, directement associé aux clients, ils ont aussi leur rôle à jouer pour soutenir l’industrie. Ils ne doivent plus se cacher derrière leur absence de contact avec la clientèle. Les diamants ne sont pas essentiels, mais ils apportent du plaisir. Il est primordial, pour l’avenir de l’industrie, que cela reste ainsi. Et c’est là que l’éthique a sa place.

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« Les diamants ne sont pas essentiels, mais ils apportent du plaisir. Il est primordial, pour l’avenir de l’industrie, que cela reste ainsi. Et c’est là que l’éthique a sa place. »

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Quelles seront vos prochaines missions ?

•    Faire rédiger un statut juridique pour les mineurs artisanaux et la professionnalisation du secteur ;
•    L’apport d’un soutien au développement pour les mineurs et leurs communautés, dans le but de combattre la pauvreté, d’aider à « légaliser » le secteur et d’y inciter les acteurs ;
•    Développer et intensifier les normes de développement, mises en place en Sierra Leone dans un projet pilote ; elles visent à construire et renforcer, de façon systématique, les capacités des mineurs artisanaux à appliquer les normes environnementales et sociales. Ils pourront ainsi s’intégrer parfaitement à une chaîne d’approvisionnement éthique.

Et vous-même, avez-vous des projets dont vous voudriez nous parler ? Un rêve ?

Je suis née en RDC et mon poste m’amène aussi à y travailler. J’aimerais que les conflits disparaissent de ce pays. Ils ont apporté et continuent d’apporter des souffrances extrêmes au peuple congolais. Je veux voir une véritable reconstruction en marche et la fin de toute violence contre les femmes congolaises.

Rendez-vous sur le site de la DDI