M. Antonio Carlos Sumbula, président d’Endiama, honorables gouverneurs et ministres, votre excellence le Dr Francisco Queiroz, M. l’ambassadeur Nhlapo, honorable Susan Shabangu, [:]honorable Isak Katali, M. Fyodor Andreev, président d’Alrosa, M. Ahmed Bin Sulayem, président exécutif du DMCC, mesdames et messieurs.
Hier, notre président M. Ahmed Bin Sulayem vous a fait part de l’incroyable croissance que connaît la ville où je vis depuis 8 ans, Dubaï, autrefois appelée la ville d’or. C’est aujourd’hui l’un des trois plus importants centres d’échange de diamants au monde. Voici un aperçu fascinant de JLT, la zone libre à la croissance la plus rapide du Moyen-Orient où j’ai le privilège de travailler avec son président exécutif Ahmed Bin Sulayem.
Je ne vais pas vous conter une nouvelle fois l’histoire que vous avez entendue hier dans la bouche de notre président.
Vu le cercle prestigieux réuni ici à Luanda, je vais donc évoquer un autre point qui a récemment attiré notre attention : les travers croissants du Kimberly Process après dix années d’existence. Bien qu’il ait été démontré qu’il s’agit du mécanisme de contrôle le plus performant pour les matières premières, certains pays occidentaux et certaines ONG s’interrogent sur son efficacité.
Comme Mark Van Bockstael vous l’a peut-être dit, je fais partie du club des anciens qui se sont réunis à Kimberley en 2000, et plus particulièrement le 12 mai 2000. Je m’en souviens bien car c’était mon premier voyage en Afrique du Sud. J’étais étourdi par l’atmosphère du continent, le rythme de la musique, la chaleur des autochtones.
J’étais alors PDG de ce qui s’appelait encore le HRD, ou en néerlandais, le Dutch Hoge Raad voor Diamant, connu aujourd’hui sous le nom d’Antwerp World Diamond Council. C’était bien entendu avant que je ne m’installe à Dubaï. C’était le début d’une période de sept ans où je me suis trouvé à la tête de cette organisation.
Robert Fowler, l’ambassadeur canadien, est venu nous voir à Anvers. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il nous a expliqué que nous allions avoir des problèmes. C’était un an avant cette réunion à Kimberley en 2000.
En septembre 1999, j’ai officiellement pris mes fonctions de PDG. À peine deux semaines plus tard, deux gamins entrent dans mon bureau. Il s’agissait de Charmian Gooch et Alex Yearsley, les activistes de Global Witness.
C’était la première fois qu’ils venaient à Anvers. Ils nous ont expliqué que d’après leurs sources, tous les diamants « sales » qui alimentaient les conflits africains étaient vendus à Anvers. La situation en Sierra Leone les préoccupait particulièrement.
J’ai tout de suite compris que la situation était grave. Je l’ai expliqué à mon conseil d’administration. Personne ne m’a écouté, ils pensaient que j’étais dingue. Je leur ai dit : « Les gars, ça va nous exploser à la figure avec une puissance que vous ne pouvez même pas imaginer. Il nous faut une équipe spéciale pour s’en charger. Et je vais recruter un spécialiste pour en prendre la tête. Il s’appelle Mark Van Bockstael. »
C’est ainsi que Mark a pris le poste qu’il occupe toujours aujourd’hui avec le même brio, d’abord au HRD, puis en tant que responsable technique du WDC dès sa création en juillet 2000. Il n’aura pas fallu longtemps avant que tout ne parte à vau-l’eau. En quelques semaines, nous sommes devenus des pestiférés. Le gouvernement belge ne voulait plus rien avoir à faire avec ces histoires de diamants sales, les médias nous attaquaient de tous les côtés, et le marché lui-même ne comprenait rien à ce qui se passait.
Pendant ce temps-là, Mark prenait ses marques. Et nous avons compris que le seul moyen de nous sortir indemnes de cette tempête, c’était de trouver des solutions. C’est à ce moment-là également que j’ai compris qu’il y a un temps pour les solutions, et un temps pour jouer les trouble-fêtes. Et que nous étions toujours dans la phase des problèmes. Personne ne voulait entendre parler de solutions.
Mais nous devions faire ce qu’il y avait à faire. Nous sommes donc partis en Angola, où le boycott de l’ONU exigeait une solution sur-mesure. C’est là, et plus tard en Sierra Leone, après la fin de la guerre civile, que nous avons expérimenté nos premiers mécanismes de livraison de diamants dans des conteneurs à l’épreuve du trafic, avec des bons de confirmation pour nous assurer que tout le contenu de départ était bien arrivé à bon port.
C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le vice-ministre aux Mines et à la Géologie de la République d’Angola, qui avait été chargé par le Président Dos Santo de trouver des solutions pour lever l’embargo qui handicapait le pays. C’est ce même vice-ministre, Carlos Sumbula, qui nous accueille aujourd’hui, et avec qui nous avons alors posé les premiers principes de ce qui deviendrait la certification du KP.
C’est pour cela aussi que je suis fier de me trouver devant vous aujourd’hui. Parce que l’Angola est, avec Kimberley, le berceau du KP. On se souvient souvent de tout ce qui s’est passé après une certaine date, et non ce qui a déclenché ces événements, ni les acteurs majeurs de leur succès. Deux d’entre eux, M. Van Bockstael et M. Sumbula, sont présents dans cette pièce, et eux aussi méritent nos applaudissements en ce dixième anniversaire du KP.
C’était bien sûr une autre époque. Mais c’était une époque où nous étions heureux de travailler tous ensemble, toute l’industrie main dans la main avec les ONG. Elles se battaient pour une juste cause, et en Afrique particulièrement, on sait très bien ce que cela signifie. Dès le début, elles ont eu le soutien des Africains. Et cela a marché. Aujourd’hui, en 2013, les diamants sont la matière première la mieux contrôlée au monde. L’industrie diamantaire n’a pas besoin de prendre exemple sur les autres secteurs. Plus de 99,5 % des diamants produits dans le monde relèvent d’un système de certification. La République centrafricaine, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Venezuela ne représentent même pas 0,5 % de la production mondiale, tout au plus 0,2 %.
Mais dans le même temps, nos relations avec les ONG se sont sérieusement dégradées. Et cela empire à une vitesse vertigineuse. Alors posons-nous une question simple : pourquoi ? Pourquoi les ONG sont-elles soudain si mécontentes des réalisations du KP et de l’industrie diamantaire ?
Certainement pas parce qu’il y a plus de diamants du conflit qu’il y a douze ans en arrière. Alors, pourquoi ?
Serait-ce parce que les ONG sont elles-mêmes devenues une petite industrie, que les fonds disponibles sont moins importants, que la concurrence pour obtenir des fonds se fait par conséquent plus féroce, et qu’il faut donc raconter des histoires toujours plus terribles ?
Serait-ce que les ONG se battent pour leur propre pertinence ?
Serait-ce qu’il s’agit là de l’une des raisons pour lesquelles nous sommes aux prises avec ce que je ne peux pas nommer autrement que des chimères – certains diraient des mensonges – qui ne dépareraient pas dans un film d’horreur, mais n’ont en fait aucune substance ? Comme cette histoire, il y a deux ans, d’un centre de torture à Marange. Ou cette histoire de meurtres quotidiens dans la province de Lunda, en Angola ?
Des histoires diffusées auprès des médias d’actualité du monde entier, parfaites pour la publicité et pour lever des fonds. Et néanmoins des mensonges patents. Quelqu’un peut-il m’expliquer pour quelle autre raison les ONG ne font pas preuve des mêmes exigences de vérification envers leurs sources qu’envers les acheteurs de brut ?
Est-ce là toute la diligence voulue de la part des ONG ? Les entreprises devraient rendre des comptes. Les politiciens doivent rendre des comptes. Ne serait-il pas temps que les ONG rendent-elles aussi des comptes ?
Ce n’est que lorsqu’on a été confronté à ce genre de chimères que l’on peut comprendre que les relations sont devenues glaciales. Parce qu’il y a des limites à ne pas franchir quand on veut atteindre son objectif. Même pour les ONG.
Mesdames et messieurs, si je pensais un seul instant qu’il y a deux ans, les militaires de Marange géraient un centre de torture, je ne mettrais plus un pied au Zimbabwe. Comme nombre d’entre vous.
Je ne serais pas celui qui avait travaillé avec le président Gooch, Alexander Yearsley, Carlos Sumbula et Mark Van Bockstael si j’avais douté une seule seconde que toute cette histoire de centre de torture dénoncée par la BBC ne soit pas autre chose que les divagations terribles et somme toute impardonnables, élaborées par des membres de la société civile ayant quitté les intersessions de Kinshasa frustrés. Des fables qu’ils ont été conter à la BBC et au monde entier, et que beaucoup ont crues. Jusqu’où devrons-nous aller, mesdames et messieurs, avant de dire NON?
Il est donc temps que nous arrivions à un nouvel accord au sein du KP. Il est temps de revenir à ce dont il était question à l’origine. Laissez-moi vous proposer une solution au lieu que nous continuions à nous repasser la patate chaude, comme nous le faisons depuis le début de la présidence américaine.
Il est évident que les droits de l’homme sont précieux. Ils devraient être défendus par les plus hautes instances possibles, comme l’a de nouveau souligné hier le Dr Rui Mangueira, ministre de la Justice angolais. Mais ils devraient aussi être étudiés par des instances à même de juger au-delà du doute raisonnable. Je ne peux pas accorder le droit de juger si les droits de l’homme ont été violés à des organisations qui m’ont accusé à tort de l’existence de centres de tortures, ou plus récemment, de prétendus meurtres quotidiens dans la province de Lunda.
Il existe dans le monde des organes qui peuvent juger ces graves problèmes en toute impartialité. Des institutions qui portent en elles l’expérience et le souvenir institutionnel du jugement. Des institutions que nous pouvons respecter. Des institutions qui ne dépendent pas des fonds de gouvernements étrangers pour qui ces questions ont des implications économiques.
Si nous pouvons nous mettre d’accord sur ce point, nous n’avons pas besoin de tout le blabla de l’OCDE qui part en guerre contre les diamants du conflit au moment même où les diamants sont probablement la matière première la plus éloignée du conflit au monde. N’est-il pas temps d’en finir avec cette impression d’être une activité « sale » ? Quelle activité est parfaitement propre ? Qui est parfait à 100 % ? 99,9 % ne sont-ils pas déjà une belle réussite ? Parce qu’aujourd’hui, il n’y a pour ainsi dire plus de diamants du conflit.
Pourquoi créer des structures et dépenser des millions pour quelque chose qui n’existe pas ? S’il y a des violations des droits de l’homme, elles doivent être jugées par des institutions indépendantes, vraiment indépendantes, et respectées pour cela. Qui n’élucubrent pas de folles histoires pour assurer leur propre survie.
C’est ce que nous avons proposé l’an dernier à l’ancienne présidente du KP. De toute évidence, le message n’est pas passé. C’est pourquoi nous le réitérons. Laissons le KP faire ce que Mark, moi et d’autres avions prévu qu’il fasse, il y a douze ans. Un programme de certification est un programme de certification, pas un organe de contrôle du respect des droits de l’homme. Laissons les juges faire ce qu’ils font le mieux. À savoir juger des infractions. Juger des violations. Au-delà du doute raisonnable. En toute objectivité. Sans parti pris.
Je vous remercie de votre attention.
Peter Meeus
Luanda, le 21 juin 2013