Entre financement des hôpitaux et éviction des pierres du conflit hors de la filière, l’industrie investit dans l’avenir de ses communautés minières.[:]
Debout à l’entrée de l’hôpital Kiran à Surat, en Inde, Govindbhai Dholokia rayonne de fierté en présentant la liste des donateurs qui ont permis de fabriquer cette infrastructure. « Tout le monde ici travaille avec son cœur, explique Govindbhai Dholokia, président du conseil du fabricant de diamants SRK Exports et cofondateur de l’hôpital. Ce projet symbolise le cœur de l’industrie diamantaire. »
Jusqu’à l’ouverture de l’hôpital en avril 2017, Surat n’offrait que de rares possibilités aux patients ayant besoin de soins spécialisés, explique le Dr ST Shrivastav, responsable de l’unité d’oncologie de l’hôpital. Aujourd’hui, cette structure met à disposition des traitements pour des dizaines de milliers de personnes qui n’y avaient pas accès jusqu’à présent, explique-t-il.
Et c’est bien le secteur de la fabrication diamantaire de Surat – qui représente 80 % à 90 % environ de la production de taillé mondiale – qui l’a financé, apportant la majeure partie des 75 millions de dollars nécessaires pour le construire et le mettre en service.
« Nous avons ici la concrétisation des actes de cœur de la communauté diamantaire de Surat, affirme un dirigeant étranger qui envisage de réaliser un don. Je ne pense pas que l’industrie diamantaire mette suffisamment en avant ses actes de bienfaisance. »
Insister sur le positif
Il y a un peu plus de dix ans, Nelson Mandela, ancien président d’Afrique du Sud, insistait pour que Russell Simmons endosse un mandat, celui de souligner l’impact positif de l’industrie diamantaire sur ses communautés. Russell Simmons, célèbre producteur de musique qui, à l’époque, réfléchissait à une ligne de bijoux de son cru, s’était engagé dans une mission exploratoire pour comprendre en quoi les diamants pourraient profiter aux populations d’Afrique australe.
L’industrie continuait à se défendre contre les idées négatives entourant les diamants du conflit après la sortie de Blood Diamond, le film de 2006 montrant le rôle de l’industrie dans la guerre civile en Sierra Leone. Mais après avoir visité les opérations d’extraction et de fabrication en Afrique du Sud et au Botswana et avoir vu les écoles, les hôpitaux et les infrastructures qui aident ces communautés, Russell Simmons a reconnu les possibilités qui se présentaient.
Il a répondu à l’appel de Nelson Mandela en mettant sur pied le Diamond Empowerment Fund (DEF) afin que les jeunes des communautés où l’industrie diamantaire est présente reçoivent des avantages en retour.
Charger le récit
Après 10 ans d’activité, le DEF a distribué des millions de dollars pour des bourses étudiantes et des organisations qui facilitent l’accès à un meilleur enseignement, au renforcement des compétences et aux formations professionnelles, indique le fonds. L’objectif est d’inciter les étudiants à rentrer et contribuer au développement économique de leur pays, explique Nancy Orem Lyman, directrice exécutive du DEF.
Les bénéficiaires actuels de l’organisation comprennent l’African Leadership Academy basée à Johannesburg, le programme Botswana Top Achievers et Veerayatan, une organisation à but non lucratif proposant des services éducatifs, sociaux et médicaux en Inde. Par le passé, il a également soutenu l’Initiative diamant et développement (DDII) en mettant sur pied des écoles itinérantes dans les communautés d’extraction minière artisanale en République démocratique du Congo (RDC).
Bien que le DEF compte sur les dons des sociétés de toute la filière diamantaire, Nancy Orem Lyman souligne que l’organisation ne se contente pas de soutiens financiers. « Nous voulons changer le récit autour de l’industrie diamantaire, explique-t-elle. Les gens doivent savoir le bien que font les diamants, mais aussi que les miniers, fabricants et joailliers contribuent à améliorer la vie des moins fortunés. »
Ce champ d’application s’étend au travail que font les joailliers dans leurs propres communautés. Le DEF a lancé le site Internet Diamonds Do Good, une plate-forme sur laquelle les sociétés peuvent relater l’impact positif qu’ont les diamants sur leur environnement immédiat.
Une logique commerciale
Pour beaucoup, ces projets n’ont pas pour seul but d’agir de manière juste. Ils sont aussi profitables pour l’activité, puisque les clients les demandent.
« Les consommateurs recherchent des produits fabriqués de façon responsable et qui assurent un niveau de vie équitable pour les personnes qui les extraient et les produisent, explique Ernie Blom, président de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB) lors de la Dubai Diamond Conference en octobre. Nous devons continuer à montrer que c’est aussi ce que nous voulons. »
En fait, les représentants du minier De Beers et du détaillant Signet Jewelers ont indiqué que l’intérêt des consommateurs est l’un des principaux fondements de leurs programmes de responsabilité sociale des entreprises.
De tels programmes peuvent aussi bien comprendre un soutien aux communautés que des efforts pour préserver l’intégrité des produits de la société, d’après les déclarations de participants à la conférence.
Stéphane Fischler, président en poste du World Diamond Council (WDC), a affirmé que l’industrie avait engagé un gros travail depuis la création en 2003 du Système de certification du Kimberley Process (KP) qui vérifie que la production de brut d’un pays est exempte de conflits. Toutefois, a-t-il continué, de nombreuses personnes extérieures à l’industrie restent sceptiques sur les efforts de l’industrie pour accroître la transparence et appliquer les normes éthiques que les consommateurs recherchent.
Le Système de garanties
Stéphane Fischler, dont l’organisation représente l’industrie diamantaire au KP, reconnaît qu’il est nécessaire d’actualiser le système de certification – c’est pourquoi le KP vérifie actuellement s’il remplit bien sa mission de base.
Cette discussion a pour objectif d’élargir le champ d’application du système, au-delà de sa définition étroite des diamants du conflit, notamment pour inclure la violence associée aux mineurs de diamants et à leurs communautés, explique Stéphane Fischler dans un entretien avec Rapaport Magazine. La DDII par exemple, qui a été créée il y a 10 ans sous l’égide du KP, applique des programmes pour encourager l’extraction minière responsable et sans violence dans le secteur artisanal.
Lors de la conférence, Stéphane Fischler a qualifié le KP de « meilleur exemple dont nous disposons aujourd’hui » pour valider l’engagement de l’industrie envers l’intégrité. Il a ajouté qu’un effort conjoint était nécessaire pour garantir la mise en œuvre continue du système.
Entre autres choses, cela implique de respecter le système de garanties du WDC et les normes d’autorégulation qui exigent que les fournisseurs de diamants et fabricants de bijoux rédigent une déclaration de garantie à chaque fois que des diamants changent de mains, pour assurer l’acheteur que les marchandises sont bien passées par le système du KP.
Le WDC révise également le système de garanties pour trouver des façons d’élargir la sensibilisation et d’introduire une due diligence plus solide.
Les objectifs de développement durable
Une autre organisation qui travaille en faveur de l’intégrité du marché est le Responsible Jewellery Council (RJC) qui compte plus de 1 000 sociétés membres engagées en faveur de son code de pratiques pour les diamants, l’or et les métaux du groupe platine. Le code aborde les droits de l’homme, les droits du travail, l’impact environnemental, les pratiques minières et les déclarations de produits, entre autres choses.
Au-delà du RJC, un effort a été engagé dans toute l’industrie pour que les sociétés s’alignent sur les 17 Objectifs de développement durable des Nations unies. Des sessions spéciales organisées à la Dubai Diamond Conference et lors de la Conférence diamantaire de De Beers à Gaborone en octobre ont incité les entreprises à utiliser ces Objectifs comme guide pour leurs programmes de responsabilité sociale.
L’industrie diamantaire est capable d’influencer tous ces Objectifs de développement durable, étant donné son échelle internationale et ses opérations diversifiées, a expliqué De Beers dans un rapport plus tôt cette année. « Le succès à long terme des sociétés diamantaires dépendra de la prise de responsabilité dans toute la chaîne de valeur sur le plan du développement durable. »
« Dans l’ADN de l’industrie »
Le programme de De Beers comprend, comme élément central, ses principes de meilleures pratiques qui aident la société à déterminer si ses opérations – et celles de ses clients – respectent les meilleures normes éthiques en termes de commerce.
Mais elle a également engagé d’autres projets. Ainsi, en 2017, un accent fort a été mis sur l’égalité des genres, indique Katie Ferguson, la responsable de l’impact social pour la société.
De Beers s’est alors associée à ONU Femmes et s’est attelée à offrir des opportunités aux femmes aussi bien dans sa propre organisation que dans les communautés où elle exerce. Les questions environnementales sont également en bonne place dans son ordre du jour. De Beers souhaite en effet parvenir à une extraction neutre en carbone d’ici cinq à dix ans.
Quant à Ernie Blom, de la WFDB, il regrette que ces efforts ne soient que très peu remarqués. Le problème réside en partie, suggère-t-il, dans le fait que ces histoires ne sont pas connues du grand public. « Il nous faut juste trouver un moyen de faire parvenir ces informations aux consommateurs », affirme-t-il.
Nancy Orem Lyman, du DEF, en convient, ajoutant que les grandes sociétés ne sont pas les seules engagées dans de tels programmes. « L’industrie est principalement constituée d’entreprises familiales et ce sont ces familles qui restituent aux communautés, fait-elle remarquer. Les gens ne sont pas au courant mais faire le bien, c’est dans l’ADN de l’industrie. »