Les poires, princesses et autres tailles de diamants parent des mains célèbres et mettent à mal la position des rondes sur le marché. Mais qu’ont-elles de si attrayant ?
Quel est le point commun entre les bagues de fiançailles de l’actrice Meghan Markle, du mannequin Emily Ratajkowski et de la chanteuse Ariana Grande ? Toutes trois ont reçu des bagues en cadeaux et toutes trois arboraient des diamants taille fantaisie. Le prince Harry a offert à Meghan Markle une pierre centrale taille coussin pour sa demande en mariage en 2017. Emily Ratajkowski affichait une taille princesse et une taille poire en 2018. Quant au cadeau de fiançailles d’Ariana Grande en 2020, il contenait un grand diamant taille ovale à côté d’une perle.
Impossible de dire si ces célébrités ont lancé une tendance ou si elles n’ont fait que la suivre mais ce qui est certain, c’est que les tailles fantaisie se sont multipliées ces dernières années. D’après les négociants, la catégorie s’installe tranquillement sur le marché américain du bridal.
Les prix de gros ont augmenté, tandis que l’indice RapNet (RAPI™) pour les tailles poire de 1 carat a pris 11 % sur la période de 12 mois close le 1er septembre. L’indice des tailles princesse a augmenté de 7 %. Quant au RAPI pour les rondes de 1 carat, il a augmenté d’un impressionnant 18 % sur ces 12 mois, sur fond de rebond des dépenses de retail. Ainsi, la croissance des tailles fantaisie ne tient pas seulement à une tendance dans l’industrie en général.
Les tailles fantaisie ont tout raflé face aux rondes de grosseur inférieure : l’indice des 0,30 carat a bondi de 16 % pour les poires et de 10 % pour les princesses sur la période, alors que les prix des rondes sont restés stables. Dans la catégorie des 0,50 carat, les prix des poires ont bondi de 21 %, ceux des princesses de 18 % et les rondes n’ont gagné qu’un petit 5 %.
Des pénuries de l’offre
L’écart entre les rondes et les fantaisies s’est principalement accru au cours des quatre derniers mois, notamment pour les poires. Cette trajectoire est intimement liée à celle de la reprise post-pandémie, explique Nir Goldman, directeur des ventes chez le négociant Avlas Diamonds, installé en Israël.
Au départ, la demande de rondes a bondi après la crise de la Covid-19 en 2020, incitant les fabricants à se concentrer sur cette catégorie, dans l’espoir de capitaliser sur les prix élevés du taillé, explique-t-il. Les tailles fantaisies ont depuis rattrapé leur retard mais l’offre est faible car les tailleurs n’en ont pas produit.
La situation pousse donc les prix vers le haut mais il reste encore au marché à trouver « un équilibre qui permettra un meilleur approvisionnement de tailles fantaisies », explique-t-il.
Le bond de la demande est le résultat, en partie, de l’arrivée à maturité du marché américain du bridal, d’après Nilesh Chhabria, directeur opérationnel de Finestar Jewellery & Diamonds, un fabricant installé à Mumbai. Les fiancées américaines ont accepté depuis longtemps le concept des bagues de fiançailles et délaissent désormais les rondes en faveur de choix plus distinctifs, affirme-t-il.
« Elles en sont arrivées au point où elles veulent quelque chose de différent », indique Nilesh Chhabria, évoquant la pierre d’Ariana Grande comme exemple de design original. Finestar se concentre désormais davantage sur les tailles fantaisie pour répondre à la demande. Cette catégorie représente aujourd’hui environ 60 % de sa production, contre seulement 5 % en 2015.
Affiner la taille
Les tailles fantaisie attirent également les consommateurs soucieux de leur budget, étant moins chères que les rondes par carat, et ce principalement parce qu’elles offrent un meilleur rendement du brut pour le fabricant. Par ailleurs, elles ont un meilleur « étalement » : à poids-carat égal, la table paraît plus grande.
Même si les tailles fantaisie paraissaient généralement plus fades que les rondes car elles avaient moins de facettes, explique Nilesh Chhabria, les tailleurs affinent la qualité de la taille pour tenter de rendre ces alternatives aussi jolies que les rondes, un facteur qui aiguise l’appétit des acheteurs.
« Pour que le diamant brille plus encore, les fabricants ont dû se réinventer, explique-t-il. Ils ont donc trouvé, au fil du temps, des façons d’améliorer le scintillement et le brillant du diamant. »
Ainsi, les clients se plaignaient d’un aspect « glace pilée » sur certaines tailles coussin, se rappelle Nilesh Chhabria. Sa société a fortement investi dans la recherche et le développement afin de modifier la taille et d’obtenir une meilleure réalisation, qui se vendait mieux. D’autres clients souhaitaient des tailles coussin plus longues, Finestar a donc créé une version allongée qui « se vend désormais comme des petits pains », annonce-t-il.
En ce qui concerne les ovales, une difficulté récurrente consiste à éviter l’effet de nœud papillon, une section noire apparaissant au milieu de la pierre. La société a travaillé pour l’atténuer autant que possible en ajustant la taille.
L’émergence de grands fabricants indiens a de nouveau bouleversé le monde des tailles fantaisie. Les petites sociétés ont dû travailler avec les matériaux à disposition, « forçant » certaines tailles sur les pierres brutes, explique Nilesh Chhabrai. Toutefois, les grandes sociétés qui achètent du brut en gros volumes ont tout loisir pour déterminer la taille idéale d’une pierre donnée.
« De nos jours, on voit bien plus de diamants Flawless sur le marché des tailles fantaisie, alors qu’ils étaient rares il y a cinq à dix ans », explique Nir Goldman, dont la société est spécialisée dans les tailles fantaisie de couleur F et de pureté VS ou mieux. « Et l’on voit aussi beaucoup plus de XX », le terme qui désigne un score « excellent » pour le polissage et la symétrie.
Des demandes spécifiques
Les bijoutiers appliquent de plus en plus souvent des spécifications précises à leurs tailles fantaisie, explique Hertz Hasenfeld, président du fabricant new-yorkais Hasenfeld-Stein, principalement spécialisé dans les tailles protégées par des marques.
Auparavant, chaque détaillant appliquait des exigences claires aux rondes qu’il achetait mais il avait tendance à choisir les tailles fantaisie en fonction de l’aspect, explique-t-il.
« Aujourd’hui, on me donne des spécifications pour les tailles fantaisie. Les gens commencent à comprendre qu’il existe une grande différence entre une pierre bien fabriquée et une pierre mal fabriquée. Ce que l’on observe, c’est une appréciation des prix car, si vous souhaitez une pierre XX ou le meilleur rapport pour un ovale, cela se paie. »
Cette tendance apparaît clairement depuis la reprise de l’activité économique l’année dernière, affirme-t-il. Comme les niveaux de stock baissent après le marasme induit par le virus, les bijoutiers sont de retour, prêts à se réapprovisionner, en s’assurant qu’ils disposent de ce que veulent leurs clients.
« La relance de l’activité diamantaire a coïncidé avec une demande de tailles fantaisie plus jolies », explique-t-il, remarquant un élan particulièrement fort vers les tailles coussin, ovale et princesse.
L’arrivée en Chine
La prochaine étape de croissance concerne l’Asie, où les préférences vont encore largement vers les rondes. La situation est contraire à celle des États-Unis, où les négociants estiment que les tailles fantaisie représentent à peu près la moitié du marché du bridal.
« Les tailles fantaisie vont être de plus en plus connues en Extrême-Orient car les Chinois ont toujours considéré les Américains comme des modèles, explique Digesh Shroff, cadre commercial senior chez le fabricant indien Venus Jewel. Les pierres autres que les rondes représentent entre 65 % et 70 % de la production totale de Venus. Chez la plupart des sociétés, c’est à peu près l’inverse. »
« Ainsi, tout ce qui se passe d’abord en Amérique arrive en Chine plus ou moins rapidement », affirme Digesh Shroff.
Cela ouvre des perspectives notables pour les négociants, d’après Hertz Hasenfeld. « Il existe un vaste territoire vierge là-bas, prêt à être occupé par de belles tailles fantaisie. Elles commencent tout doucement à s’y implanter. Je vends quelques tailles coussin et princesse en Extrême-Orient. Je pense que l’opportunité de croissance des tailles fantaisie, en Extrême-Orient particulièrement, est énorme. »
Encore un « X » pour être parfaite Avec la croissance de la demande de tailles fantaisie et le fait que les fabricants travaillent pour rendre leurs pierres plus scintillantes, une difficulté se présente : le Gemological Institute of America (GIA) ne leur attribuera pas de grade de taille. Les tailles fantaisie peuvent obtenir un score pour le polissage et la symétrie mais le repère des triple-Ex ne concerne que les rondes tailles brillant. Et même s’il est difficile d’identifier les meilleures pierres, le GIA ne pourrait adopter une autre posture, étant donné la subjectivité de la tâche et le manque de cohérence sur le marché. « Il nous faut maintenant un grade pour la taille car tout le monde veut connaître la différence entre une bonne taille et une taille excellente, explique Nilesh Chhabria de Finestar Jewellery & Diamonds. Le seul problème, c’est que la taille fantaisie se fait au fil des improvisations. Et il existe un nombre incalculable de caractéristiques pour définir ce qu’est une bonne taille. » Le GIA affirme travailler depuis un certain temps sur la manière de quantifier et de mesurer la qualité et l’attractivité d’une taille. Toutefois, la création d’un système de certification « est infiniment plus difficile » que pour les rondes, explique un porte-parole. Alors qu'il existe 38,5 millions de combinaisons possibles de caractéristiques mesurables pour établir le grade de taille d'un diamant rond taille brillant, le GIA en a jusqu’à maintenant identifié plus de 14 milliards pour les tailles fantaisie. Des alternatives, comme des scores de performances à la lumière et des certifications internes, ont aidé à faire la distinction entre les diamants, fait remarquer Devansh Rajesh Shah, associé chez Venus Jewel. Quant à l’American Gem Society (AGS), elle propose un grade de taille pour les fantaisies mais son action fait exception et devrait rester isolée pendant encore un certain temps.
Article from the Rapaport Magazine – October 2021.
Photos © The Clear cut, Ariel Gordon, Michelle Oh.