Les dépenses des consommateurs en matière de diamants ont dépassé les attentes au quatrième trimestre 2020 et se sont maintenues début 2021, d’après un grand expert de l’industrie.
Lors d’un entretien avec Mathew Nyaungwa, de Rough&Polished, Paul Zimnisky, analyste de l’industrie, a affirmé que la tendance, entamée il y a plusieurs années et qui consiste à éliminer les excès de stocks sur le marché, a été mise en évidence par la pandémie de Covid-19, étant donné les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les arrêts temporaires des mines.
Il envisage une volatilité du marché à court terme, même s’il considère que l’industrie est dans la meilleure position possible, du point de vue de l’offre.
Voici quelques extraits de l’entretien.
Les sociétés diamantaires sont d’avis que l’industrie est maintenant bien repartie depuis le quatrième trimestre 2020, après les bouleversements dus à la pandémie de Covid-19 à partir du deuxième trimestre. Quelles sont vos prévisions pour sa situation à venir ?
Ces derniers mois, la demande de diamants a aisément dépassé l’offre disponible. Les dépenses des consommateurs ont été supérieures aux attentes pour le 4e trimestre civil 2020 et se sont maintenues début 2021. La tendance, entamée il y a plusieurs années et qui consiste à éliminer les excès de stocks sur le marché, a été accélérée par la pandémie, étant donné les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les arrêts temporaires des mines. Bien que l’on puisse s’attendre à une certaine volatilité du marché du brut à court terme, l’industrie est sans conteste mieux positionnée, du point de vue de l’offre, qu’elle ne l’a été depuis plusieurs années, ce qui devrait continuer à soutenir les bases tarifaires. En matière de demande, je constate des risques associés à l’environnement macro-économique international. Au niveau micro-économique, une consommation de luxe plus exponentielle pourrait advenir, par exemple pour des voyages, une fois que les implications associées à la pandémie commenceront à se normaliser.
De Beers a récemment révisé ses perspectives de production pour 2021. Qu’en pensez-vous, étant donné la reprise que l’on observe sur le marché ?
De Beers a réduit ses perspectives de production en décembre, puis de nouveau en janvier. La deuxième baisse était davantage liée à des raisons opérationnelles. L’industrie diamantaire a, selon moi, au moins en partie, appris des erreurs commises dans un passé récent, par exemple dans le cas de l’offre excédentaire dans la chaîne d’approvisionnement, ce qui est visible dans les actions entreprises par la filière amont et la filière intermédiaire de l’industrie l’année dernière. Je pense que les décisions relatives à l’approvisionnement, prises par les deux leaders de l’industrie, De Beers et ALROSA, dans un passé récent devraient être bien accueillies par l’industrie.
Que pensez-vous des récents articles affirmant que De Beers et ALROSA ont relevé les prix du brut ?
Le marché commence à constater que la demande dépasse l’offre, un environnement propice à des hausses de prix. Les grands miniers ont abaissé les prix dans le cadre des confinements, je considère donc cette décision récente comme une inversion de tendance, liée à l’amélioration des conditions de marché. D’après mon Indice international des prix du brut Zimnisky, les tarifs ont atteint un plus haut sur un an en janvier et il me semble que les prix sont maintenant revenus aux niveaux d’avant la pandémie, ce qui est encourageant.
Nous entendons beaucoup parler du retour des prix du brut aux niveaux d’avant la pandémie. Qu’en est-il des prix du taillé, se sont-ils également repris ?
Le taillé a été un très bon indicateur des prix ces derniers trimestre et a dépassé le brut pendant la majeure partie de l’année dernière. D’après mon analyse, l’écart entre brut et taillé, ou la divergence entre les prix du brut et du taillé, s’est élargi jusqu’à atteindre en 2020 des niveaux qui n’avaient pas été atteints depuis plusieurs années. Je pense que cela était cohérent avec la réticence des bijoutiers, et d’autres vendeurs de diamants en B2C, à abaisser les prix du taillé et à une absence d’achats de brut par les fabricants et d’autres participants de la filière intermédiaire, étant donné les craintes liées aux excès de stocks cumulés. Il y a aussi, tout simplement, l’incapacité d’acheter du brut en raison des restrictions de déplacements et des fermetures de frontières. Toutefois, au cours des dernières semaines, l’écart a commencé à se normaliser, en même temps que la chaîne d’approvisionnement. Je pense que la relation entre le brut et le taillé va trouver un niveau plus symbiotique, à condition qu’il n’y ait plus de perturbation majeure dans la chaîne d’approvisionnement. Mais pour répondre plus précisément à votre question, j’estime qu’un panier de diamants taillés, allant de 0,5 carat à 3 carats, étaient en progression de près de 5 % l’année dernière par rapport à 2019, ce qui, on peut le dire, dépasse quasiment toute les attentes, étant donné ce que nous avons traversé.
Quel est le niveau des stocks détenus par les grands miniers, étant donné l’afflux de la demande au quatrième trimestre 2020 ?
Je pense que la transition des stocks de diamants, qui sont passés de la filière intermédiaire aux miniers ces dernières années, est l’un des développements les plus importants et les plus forts de la chaîne logistique. Pour rappel, j’estime que la position des stocks extraits des sols chez les grands miniers a augmenté, passant d’environ 3 milliards de dollars en 2017 à environ 4,5 milliards de dollars fin 2020, tandis que les stocks de la filière intermédiaire ont baissé, d’environ 40 milliards de dollars à 30 milliards de dollars, au cours de cette période. Comme indiqué plus tôt, les miniers se sont montrés prudents en termes de perspectives de production, ce qui devrait leur permettre de se décharger des stocks sans inonder le marché cette année. À plus long terme, je pense qu’il est préférable que les excès de stocks soient aux mains des grands miniers, qui sont bien capitalisés, plutôt que dans la filière intermédiaire, plus fragmentée et indépendante.
Quel est l’impact d’un excès de stocks sur le marché du brut ?
Je pense que la saturation de la chaîne d’approvisionnement a été le plus gros facteur des mauvaises performances de l’industrie pendant la majeure partie de la dernière décennie. Les prix qui ont atteint un plus haut historique en 2011, en ont été le principal catalyseur, entraînant selon moi un excès de stocks. Actuellement, nous constatons l’effet inverse. Une décennie de prix bas a entraîné une baisse de l’offre.
Quelles sont vos prévisions pour le volume de production de diamants naturels dans le monde cette année ?
Après le point culminant de 2017, la production mondiale de diamants a ensuite baissé en 2018, 2019 et 2020 et devrait rester sous les niveaux de 2017 dans un avenir proche car plusieurs mines vont bientôt être épuisées et la nouvelle production, très faible, compense les baisses. En 2020, les suspensions et baisses de production liées à la pandémie dans l’industrie ont accéléré cette tendance baissière de l’offre et je pense que le volume de production mondiale a perdu plus de 20 %, jusqu’à atteindre 118 millions de carats, ce qui, pour rappel, serait le chiffre le plus faible depuis les années 90. En 2021, j’estime que la production atteindra environ 115 millions de carats.
Quelle a été la différence entre les diamants et d’autres marchandises de luxe l’année dernière ?
Il est certainement juste de dire que le luxe matériel a dépassé le luxe expérientiel, étant donné toutes les restrictions de déplacements et les interdictions de rassemblement mises en place partout dans le monde l’année dernière. En ce qui concerne le choix de bijoux en diamants par rapport à d’autres objets de luxe, les bijoux ont été la deuxième meilleure catégorie pour LVMH au 4e trimestre civil. Rappelons que LVMH est la plus grande société de luxe au monde. Les bijoux ont obtenu les meilleurs résultats chez Richemont, le deuxième plus grand groupe de luxe au monde. D’autres informations du même ordre circulent. Ainsi, en général, les bijoux ont connu une assez bonne année 2020 et le rythme s’est accéléré en fin d’année et pendant les fêtes ; il semble se poursuivre en 2021.
Comment s’est comporté le secteur des diamants synthétiques l’année dernière, en pleine période de pandémie ?
D’après mes données et les analyses, l’écart entre les diamants naturels et synthétiques a continué de s’élargir l’année dernière, à peu près au même rythme que celui constaté ces dernières années. Pour rappel, un diamant synthétique taillé de 1 carat, d’une qualité légèrement supérieure à la moyenne, se vend environ 65 % à 70 % de moins que son équivalent naturel. Il y a un an, l’escompte était d’environ 50 %. En ce qui concerne l’actualité dans ce secteur, la nouvelle peut-être la plus importante l’année dernière a été le lancement de la production dans la nouvelle installation de Lightbox aux États-Unis et le partenariat de Lightbox avec Blue Nile, qui distribue actuellement le produit partout dans le monde, à un tarif de 800 dollars par carat. Autre point à surveiller, Charles & Colvard, la société de bijoux intégrée verticalement, connue pour sa moissanite synthétique, une imitation du diamant, qui a introduit une gamme de diamants synthétiques de marque à la fin de l’année dernière, ce qui en fait la plus grosse société de diamants synthétiques cotée en bourse. Sa capitalisation de marché actuelle est d’environ 50 millions de dollars. Je pense qu’il faut aussi rappeler qu’il y a à peine quelques semaines, la Bharat Diamond Bourse, la plus grande bourse de diamants au monde, a approuvé les échanges de diamants synthétiques sur place, sous réserve d’un ensemble de directives destinées à appliquer une séparation nette entre ces marchandises et les diamants naturels.
NB : Paul Zimnisky publie un rapport mensuel pour ses abonnés appelé State of the Diamond Market. Il fournit une observation régulière du marché international des diamants, en couvrant les principales tendances de l’industrie, ainsi que des données, des analyses et des prévisions actualisées.