En décidant d’introduire des contrats de vente à terme sur sa plateforme d’enchères, la De Beers frappe un grand coup sur le marché du brut. [:]L’annonce survient 11 mois après qu’Anglo American est devenu actionnaire majoritaire à 85 % de l’entreprise, et c’est à ce jour l’initiative la plus marquante de la société mère.
Pour le secteur du diamant, il s’agit là d’une nouvelle étape dans la création de marchés compétitifs, justes et ouverts pour le brut. Si le fonctionnement des contrats n’est pas encore clair, cette annonce n’en est donc pas moins une bonne nouvelle pour les tailleurs et les négociants de brut.
Par définition, les contrats à terme donnent à l’enchérisseur le droit et l’obligation d’acheter un lot donné à un prix et une date spécifiés à l’avance. Dans notre cas, les tailleurs sauront donc quels diamants ils achèteront à une date future pour un prix qui aura été préalablement fixé. Ce qui réduit les risques auxquels ils sont exposés tout en leur permettant de mieux planifier leurs opérations.
Avec le programme actuel de « supplier of choice » (SOC), les sightholders, qui ont indiqué leurs intentions de vente (ITO) au début de leur contrat, ont une estimation précise de la quantité de marchandises qu’ils vont obtenir à chaque sight, mais ils ne savent pas à quel prix la De Beers va les leur vendre. Par exemple, le sight de juillet la semaine prochaine devrait être assez important, mais les sightholders ne savent pas si les prix vont diminuer ou augmenter pour une catégorie donnée. La différence, avec un contrat à terme, c’est que le prix aura déjà été fixé.
Mais le diable se cache dans les détails. Après le communiqué de presse de la De Beers et ses échanges de messages avec Rapaport News, il reste davantage de questions que de réponses.
Les questions clés concernent le déroulé des achats par le biais de ces nouveaux contrats à terme. Quels seront les délais de paiement pour ces ventes ? Jusqu’à quelle date future la De Beers est-elle prête à vendre ? Comment procédera-t-on pour les enchères ? Comment l’enchère gagnante sera-t-elle déterminée ? Comment le prix du contrat à terme sera-t-il défini ?
Selon ses porte-parole, l’entreprise dévoilera davantage de détails dans les mois à venir. Ils ont expliqué que ce serait De Beers Auctions, le département commercial dédié aux enchères (anciennement Diamdel) de la De Beers qui offrirait ces contrats, et qu’il continuerait d’acheter 10 % du stock disponible à la De Beers Global Sightholder Sales (anciennement Diamond Trading Company – DTC).
Lynette Gould, la responsable des relations médias, a ajouté que si ce département n’était pas en mesure d’offrir la régularité et la stabilité recherchées par les acheteurs de brut, il pourrait désormais mettre aux enchères de manière cyclique et régulière des assortiments spécifiques sur la base de la demande et des attitudes des acheteurs lors des enchères précédentes.
Elle a insisté sur le fait que ces contrats n’auront pas d’incidence sur l’approvisionnement des sightholders.
Mais les sightholders devraient s’inquiéter. Alors que les spéculations sur le futur du programme SOC vont bon train, cela marquerait-il le début de la fin du système de sightholders ? Les contrats à terme suggéreraient plutôt une réorientation qui éloignerait Anglo American du système de vente préférentiel que les sightholders représentent aujourd’hui.
On a toujours suspecté qu’Anglo American, considéré comme l’un des cinq plus importants conglomérats miniers et de matières premières, s’intéressait davantage à la croissance de ses bénéfices qu’aux stratégies commerciales de ses clients, qui impliquent le SOC. Il est logique que ses dépenses marketing soient concentrées sur la marque De Beers Forevermark, qui dégage un chiffre d’affaires croissant).
Le système est à même d’améliorer la trésorerie et l’efficacité opérationnelle de la De Beers.
L’entreprise pourrait bientôt vendre et être payée pour des diamants qui n’ont pas encore été extraits. Si la De Beers vend suffisamment de marchandises par le biais de ces contrats, elle pourrait en théorie planifier sa production sur la base des ventes qui ont déjà été payées. Les contrats lui permettraient également de verrouiller un prix fixé par le marché quelles que soient les évolutions qu’il puisse connaître entre la signature du contrat et la livraison. Ces prix seront certainement, mais pas obligatoirement, plus élevés que les évaluations actuelles du marché ; les tailleurs se montrent souvent optimistes quand il s’agit d’anticiper les prix. Voilà un coup d’éclat pour quiconque exerçant une activité en ces temps incertains, à plus forte raison pour une société minière aussi vulnérable face à un marché subissant des baisses régulières.
Mais nous devrions voir là une situation gagnant-gagnant pour la De Beers et pour ses clients. Pour l’industrie, les contrats représentent une avancée vers une manière plus efficace et plus juste d’acheter des diamants. On peut s’attendre à ce que ce soit le marché plutôt que la De Beers qui fixe les prix, puisque les enchérisseurs indiqueraient le prix qu’ils seraient prêts à payer pour des diamants qui seraient livrés plus tard. Et pour le marché diamantaire, cela compte beaucoup.
Cela comptera d’autant plus si la De Beers publie les prix de ces contrats à terme.
Ainsi, la transparence s’accentuerait encore et faciliterait encore l’expansion d’un marché secondaire pour ces biens. En l’état actuel des choses, un marché secondaire basé sur ces contrats à terme se développera certainement : les gagnants des enchères vendront le brut qu’ils livreront plus tard, ou vendront les potentielles marchandises taillées résultant de ces ventes pour une date future, en fonction du brut qu’ils auront acheté grâce à ces contrats à terme.
Les possibilités sont infinies, et largement positives.
Mais ne nous emballons pas. Il faudra certainement du temps pour mettre en place ces contrats à terme, et l’entreprise commencera sans doute doucement.
Après tout, l’année de la De Beers est chargée. L’entreprise est en train de transférer ses principaux sights de Londres au Botswana pour le quatrième trimestre. Elle y a déjà transféré ses activités de tri et d’assemblage. Elle a également annoncé cette semaine que le siège de ses enchères déménagerait à Singapour en novembre 2013. Une décision surprenante au sein d’un communiqué par ailleurs encourageant.
La De Beers est de plus en train de lancer sa nouvelle identité de marque, afin d’unifier ses activités d’enchères et de sightholders sous la marque De Beers. Cette initiative a été mise en place au début de l’ère Anglo American. Les filiales Diamdel et DTC seront respectivement renommées De Beers Auctions et De Beers Global Sightholders Sales. Le nouveau président de la société, qui sera nommé dans les deux semaines à venir, sera très probablement le directeur général d’Anglo American, Mark Cutifani.
Et croyez-le ou non, mais la De Beers commencera bientôt à négocier de nouveaux contrats avec les sightholders pour remplacer les actuels contrats de trois ans, qui doivent expirer en mars 2015. Les sightholders se demandent avec qui ils vont négocier, voire s’ils vont simplement négocier, et si tout cela en vaut bien la peine.
Frustrés par le peu de profits dégagés par leurs marchandises issues des sights, et par le brut en général, les sightholders devraient apprécier ce nouveau moyen d’acheter du brut à la De Beers, même s’ils sont limités au début. S’ils sont correctement mis en place, les contrats à terme annoncés par la De Beers cette semaine devraient rapidement faire des adeptes. Espérons qu’ils arriveront à créer un marché du brut plus compétitif, plus juste, et plus efficace.