C’est en 1947 que Frances Gerety a écrit « A Diamond Is Forever », pour une campagne de publicité de la De Beers. Elle a ensuite réalisé toutes les publicités de la société pendant 25 ans.[:]
Peggy Olson, cet emblème de la femme publicitaire est un personnage de la série télévisée « Mad Men » ; pionnière dans un monde d’hommes, elle aurait eu 8 ans en 1947. Cette même année, au cours d’une nuit, la vraie rédactrice, Frances Gerety, a inventé le slogan « A Diamond Is Forever ».
Melle Gerety se remémore l’histoire dans un entretien de 1988 avec un collègue, Howard Davis : elle venait de terminer une série de publicités et allait se mettre au lit quand elle se rendit compte qu’il lui manquait encore un slogan. Épuisée, elle s’est dit : « Mon Dieu, donnez-moi un slogan », puis a griffonné quelque chose sur un bout de papier. Quand elle s’est réveillée et a vu ce qu’elle avait écrit, elle a jugé que cela ferait l’affaire. Quelques heures plus tard, elle présentait son idée lors d’une réunion. Selon elle, « personne n’a sauté de joie. »
Lorsque Melle Gerety a postulé à l’agence de publicité de Philadelphie N. W. Ayer & Son en 1943, le moment était idéal : l’agence venait de perdre une rédactrice. À l’époque, les femmes ne travaillaient généralement que sur des produits féminins. Son principal client serait donc la De Beers. Pendant 25 ans, elle rédigea toutes les publicités de la société.
Son homologue dans la publicité était Dorothy Dignam, une brune courageuse, qui conservait dans le tiroir, sous sa machine à écrire, la liste des questions que ses collègues masculins lui posaient. Il s’agissait de sujets qu’elle était censée connaître en tant que femme : « Peut-on mettre un nid d’oiseau sur un chapeau d’hiver ? », « Macy’s, est-ce singulier ou pluriel ? », « Qu’offre-t-on à une jeune fille diplômée d’un couvent ? », « Est-ce cela qu’on appelle un pli rond ? »
Ni Melle Gerety ni Mlle Dignam ne se sont jamais mariées. Pourtant, leur plus grande réussite professionnelle a sans aucun doute contribué à faire naître un sentiment d’attachement émotionnel pour la bague de fiançailles en diamants.
Difficile d’imaginer une époque où la bague de fiançailles en diamants n’était pas un standard ; aujourd’hui, même après quinze ans de mauvaise presse, entre diamants du conflit et conditions de travail dans les mines notamment, 75 % des jeunes mariées aux États-Unis en portent une, selon Kenneth Gassman, président du Jewelry Industry Research Institute.
L’année dernière, les Américains ont dépensé près de 7 milliards de dollars pour des bagues. Or, en 1938, un représentant de la De Beers a écrit à N. W. Ayer pour demander si « l’emploi de la propagande, sous diverses formes » pourrait stimuler la vente de diamants aux États-Unis. Leur popularité était alors sur la pente descendante, en partie à cause de la dépression.
N. W. Ayer a mené de vastes études de marché relatives à l’attitude des consommateurs. Les résultats ont montré que la plupart des Américains considéraient les diamants comme un luxe réservé aux ultra-riches. Les femmes voulaient que leurs compagnons dépensent de l’argent pour « une machine à laver ou une voiture neuve, tout sauf une bague de fiançailles », a expliqué Melle Gerety en 1988. « On considérait que c’était de l’argent jeté par les fenêtres. »
Pourtant, l’agence s’est fixé un objectif ambitieux : « Faire que la quasi-totalité des personnes prévoyant de se marier se sentent obligées d’acheter une bague de fiançailles en diamants. »
Étant donné que la De Beers contrôlait l’approvisionnement mondial de brut, les lois antitrust lui ont interdit de vendre aux États-Unis. Les publicités ne pouvaient pas non plus mettre en avant la société, ni même montrer des photos de bijoux. L’agence a donc commandé des peintures audacieuses auprès d’artistes comme André Derain et a acheté des œuvres préexistantes de Dali et de Picasso.
« Le sentiment est essentiel dans une publicité, comme pour un produit, a-t-elle écrit à la De Beers dans une note, la connotation émotionnelle du diamant est le seul avantage concurrentiel qu’aucun autre produit ne pourra revendiquer ni contester. »
Melle Gerety avait parfois la main lourde dans le premier jet de ses textes. Une annonce ordinaire en temps de guerre était rédigée ainsi : « Star of Hope, le diamant de fiançailles à son doigt est lumineux comme une larme, mais sans tristesse. Comme ses yeux, il fait vivre une promesse : de fraîches aurores, une vie devenue riche et remplie et tranquille. Sa belle assurance transparaît à travers toutes les heures d’attente, pour s’enflammer avec joie et traduire la valeur du début de leur nouvelle vie future. »
Pendant ce temps, Melle Dignam s’assurait que les consommateurs lambda voient des diamants en toutes occasions. Selon sa théorie, « les grands vendent les petits. »
Exploitant la toute nouvelle obsession du pays, elle écrivait une lettre mensuelle aux journaux, décrivant les bijoux en diamants portés par les actrices d’Hollywood. Elle a parfois été invitée comme chroniqueuse dans les pages de magazines féminins, sous le pseudonyme de Diamond Dot Dignam (« Le cadeau de Saint-Valentin de Jimmy Durante à la femme de ses rêves, Margie Little, était une bague en diamants époustouflante. Dans « Coupable ou non coupable», Rosalind Russell ne porte que deux tenues mais l’une d’elle se compose de 1,7 kg de diamants, contre seulement 1,1 kg de mousse de tulle, de mailles et de paillettes. »)
Dans les années 50, N. W. Ayer a commencé à prêter des bijoux aux mondaines et aux starlettes à l’occasion des Academy Awards et du Kentucky Derby. Dès le début, la campagne a été un succès. Après deux ans seulement, la vente de diamants aux États-Unis a augmenté de 55 %. Dans son rapport annuel de 1951, N. W. Ayer écrivait que, « depuis plusieurs années, nous constatons que la tradition des bagues de fiançailles en diamants connaît une croissance forte et constante. Les joailliers affirment aujourd’hui « qu’une fille n’est pas fiancée si elle n’a pas de bague de fiançailles en diamants« . »
La société a également réussi à diffuser des idées comme les quatre C, qui sont nés à l’occasion d’un excédent de très petites pierres. Les acheteurs avaient assimilé que les meilleures pierres étaient les plus grosses et ils ne juraient plus que par elles. N. W. Ayer a alors ajouté un encadré intitulé « Comment bien acheter un diamant » à chaque publicité produite. Il contenait les instructions suivantes : « Renseignez-vous sur la couleur, la pureté et la taille, ce sont les aspects qui déterminent la qualité d’un diamant et contribuent à sa beauté et à sa valeur. Choisissez une jolie pierre, vous en serez toujours fier, quelle que soit sa grosseur. » (Le dernier C désigne le carat.)
Dans les années 80, l’agence a lancé une série de publicités. Elles fixaient un nouveau point de référence arbitraire, mais qui a paru faire autorité : « Deux mois de salaire, n’est-ce pas un petit prix à payer pour quelque chose d’éternel ? »
Certaines des initiatives qui avaient pour but de faire évoluer les habitudes culturelles ont mieux réussi que d’autres. L’agence a, pendant un temps, tenté de convaincre les hommes de porter des bagues en diamants. Une publicité représentative montre un couple hirsute en pyjama, jouant aux dames au lit : « Elle a sa propre personnalité. Elle m’a offert un diamant. »
La campagne « Women of the World, Raise Your Right Hand » de 2003 a également provoqué l’étonnement. Elle découlait pourtant d’une série de 1965 de Melle Gerety qui présentait « des filles célibataires, divorcées, veuves ou des femmes d’affaires réalisant « elles-mêmes » leurs achats, mais aussi certaines femmes mariées », d’après sa version. « Ces femmes qui, pour une raison ou pour une autre, sont très peu, voire pas du tout convaincues par des arguments publicitaires liés à l’amour. »
Deanne Torbert Dunning, la première vice-présidente de N. W. Ayer du pôle création, a rédigé un compte-rendu pendant les années de troubles de 1968 à 1970.
« Vous avez eu Betty Friedan et« The Feminine Mystique », vous avez eu la pilule et, en 1970, vous avez eu un mouvement féministe à part entière, a-t-elle rappelé par téléphone récemment. Le sentiment était de vouloir renverser l’establishment. De rejeter tout ce qu’avaient pu avoir nos mères. Les publicités ont donc adopté une approche plus ordinaire, moins formelle. Le message était le suivant : « Bien sûr, vous pouvez vous marier pieds nus sur une plage, mais allez-vous dire non à une magnifique bague ? »
Une chose, au moins, a perduré : le slogan « A Diamond Is Forever ». Il est apparu dans toutes les publicités de la De Beers liées aux fiançailles depuis 1948. En 1999, deux semaines avant le décès de Melle Gerety, à l’âge de 83 ans, Advertising Age l’a qualifié de slogan du siècle.
Par J. Courtney Sullivan