Jeudi 27 juillet, De Beers a publié des résultats financiers pour le premier semestre, montrant combien l’entreprise a été mise à mal par la Covid-19. Le total de ses revenus a été établi à 1,2 milliard de dollars, soit un recul de 54 % par rapport à l’année précédente, laquelle n’avait pas non plus été exemplaire.
Dans un entretien avec le JCK, Bruce Cleaver, son président-directeur général, évoque la façon dont la société envisage de transformer son activité, le consommateur post-Covid et le moment où l’activité diamantaire sortira de son marasme actuel.
JCK : Nous lisons sans arrêt des articles sur la façon dont De Beers change son modèle d’activité. À quoi cela aboutira-t-il ?
Bruce Cleaver : Le modèle reste le même. Il s’agit simplement d’agir de manière plus efficace et plus rentable. Jusqu’à présent, nous étions axés sur un processus de transformation. Aujourd’hui, nous cherchons à accélérer la transformation de De Beers. Et cela concerne tous nos secteurs, de l’exploration au retail. Il s’agit véritablement d’accroître l’efficacité de l’exploration, de l’extraction, d’accentuer la rentabilité et de rendre nos marques en aval [De Beers Diamond Jewellers et Forevermark] plus rentables. Il ne s’agit donc pas vraiment d’une nouvelle stratégie. Il s’agit d’agir plus vite qu’auparavant, plus efficacement et d’utiliser davantage les données et la technologie que par le passé. Nous avons bien conscience qu’il est nécessaire d’intégrer les activités en amont, en aval et celles de la filière intermédiaire de façon plus efficace, de mieux les relier aux données et à la technologie dans chaque aspect de l’activité. Ainsi, lorsque nous sortirons de la Covid-19, nous serons en bonne position pour aborder l’avenir.
Des rumeurs courent selon lesquelles vous allez changer le système des sights.
Nous allons bien sûr continuer à vendre des marchandises dans le cadre de contrats à long terme avec nos clients. Nous ne cessons de faire évoluer ce contrat. C’est ce que nous faisons de toute façon et nous allons en parler à nos clients tout au long de l’année. Nous souhaitons évidemment travailler avec eux pour tenter de les relier plus efficacement à toutes sortes de données sur la demande de retail quant à ce que nous leur vendons et ce que nous extrayons. Nous n’allons pas du tout nous éloigner du système des sights. Il nous convient bien et restera tout à fait opportun.
Que signifiera tout ceci dans la pratique ?
L’un des aspects les plus importants dans la filière intermédiaire consiste à connaître le délai nécessaire à un diamant pour sortir du sol et arriver à la boutique. Pouvons-nous raccourcir ce délai au profit de tous ? Pouvons-nous davantage travailler avec les clients, avec les données, afin d’y parvenir et d’obtenir de meilleurs signaux de la demande ? Nous saurons ainsi ce qui se vend le plus vite et appliquer les résultats aux boîtes que nous vendons, à la façon dont nous les assemblons et à qui nous les vendons.
Pour résumer, pouvons-nous, tous ensemble, mieux utiliser les données de la demande dans l’espace du retail et agir plus vite pour vendre le brut plus efficacement et aussi, espérons-le, accélérer la chaîne de valeur ? Peut-être même pourrions-nous extraire de façon à mieux répondre à la demande et aux signaux de la demande. Les délais sont importants entre le moment où une pierre brute sort de terre et celui où elle arrive dans une boutique. Les modèles de la demande peuvent avoir considérablement changé entretemps. Si nous pouvons raccourcir les échéances, nous agirons au profit de tous dans la chaîne de valeur et nous améliorerons la rentabilité.
Quelles seront les conséquences pour votre activité en aval ?
Nous devons la rendre plus rentable, l’améliorer, et vous pourrez le constater dans les prochains mois. Nous allons également travailler à rendre notre activité de retail plus rentable.
Lorsque l’on parle d’efficacité, cela implique généralement de supprimer des emplois. Pensez-vous que cela arrivera ?
Nous avons engagé un travail important en 2020, simplement pour réduire les coûts. Vous l’avez vu, nos perspectives de production ont baissé, nous allons réduire les coûts, ralentir les projets nécessitant des capitaux, baisser les dépenses en capitaux et réduire les frais généraux. C’est donc un travail que nous avons déjà réalisé. En ce qui concerne votre question, nous allons maintenant entamer un processus de consultation formelle de notre personnel dans le monde entier à ce propos et il est probable qu’il y ait des suppressions de postes. Je ne peux pas vous dire à l’heure actuelle quelles en seront les modalités car nous sommes dans l’obligation de passer par cette consultation et nous allons le faire de façon honnête et transparente. Les règles en la matière sont très différentes selon les pays. Certains nécessitent des procédures assez longues. Nous allons agir de façon juste et correcte mais il est probable que nous perdions des emplois.
Pensez-vous continuer à organiser des sights physiques ?
Il est vrai que nous avons réussi à organiser des ventes virtuelles et nous nous sommes montrés assez souples pour le moment sur nos ventes de marchandises car il est tout simplement impossible de se rendre au Botswana. Nous pouvons vendre certaines boîtes à l’aveugle et nos sightholders nous font suffisamment confiance pour cela. Mais je pense que nous continuerons à réunir les grands représentants de l’activité 10 fois par an afin qu’ils voient physiquement les marchandises. Reste à savoir si nous associerons cela à davantage de transactions virtuelles. Mais je ne pense pas que nous puissions totalement nous passer de faire venir des gens aux sights, pour observer les marchandises en personne. Je ne pense pas qu’il soit possible de procéder à des ventes virtuelles pour les volumes de marchandises que nous proposons. Et rencontrer ses clients de façon régulière présente aussi beaucoup d’autres avantages.
Vous n’avez toujours pas de nouveau contrat avec le Botswana, alors qu’il était attendu l’année dernière. Y a-t-il quelque chose qui bloque ?
Cela est dû à la Covid-19 et à l’impossibilité de nous réunir dans une même pièce avec nos interlocuteurs. Pour l’instant, il est impossible de se rendre au Botswana ou d’en sortir. C’est pourquoi nous avons cherché à mener des sights virtuels. Mais cela est principalement dû à notre incapacité à tous nous réunir dans une même pièce. Dès que nous pourrons le faire, nous accélérerons. Je suis sûr que ce problème sera résolu à temps. Nous y arrivons toujours.
De Beers a évoqué le fait que les consommateurs veuillent davantage de cadeaux en rapport avec les émotions. Comment l’industrie peut-elle profiter de cette situation ?
La bonne nouvelle, c’est que, si vous regardez le rebond en Chine, vous voyez qu’il adopte une courbe en V. Certaines personnes sur place ont affirmé avoir vendu davantage en mai et juin qu’en 2019. C’est encourageant car cela laisse penser que les gens n’ont pas oublié le produit malgré la crise de la Covid-19. C’est donc une donnée intéressante.
Toutes les données dont nous disposons et toutes les études menées auprès des consommateurs indiquent que, pour les gens, les cadeaux qui ont du sens vont maintenant être plus importants que les autres et je pense que les diamants entrent dans cette catégorie. D’après les études, 90 % des consommateurs américains affirment qu’ils envisagent d’offrir un cadeau qui conserve sa valeur. Il y a donc sûrement de très bonnes opportunités à saisir à l’issue de la crise. Je pense également que l’un de nos plus grands concurrents dans ce domaine, les voyages de luxe, ne devrait pas atteindre un niveau significatif pour le reste de l’année. Nous pouvons donc peut-être récupérer quelques dollars des portes-monnaies des consommateurs qui seraient partis ailleurs. Évidemment, à la fin de l’année 2020, les gens auront moins d’argent à dépenser. Nous devons donc les aider à le dépenser dans l’industrie diamantaire.
Lors du deuxième trimestre, nos publicités étaient moins axées sur des aspects spécifiques du produit et davantage sur le développement durable et le bien que font les diamants. Pour moi, l’une des plus grandes opportunités se situera au niveau de la génération Y et de la génération Z, plus intéressées par les marques qui affichent un objectif social durable. Nous avons effectué un formidable travail à ce sujet au fil des années.
Selon moi, le Natural Diamond Council nous réserve beaucoup de choses pour le second semestre. Cette période de l’année nous promet effectivement de nouveaux éléments et nous sommes prêts à travailler en partenariat avec d’autres acteurs du secteur aval pour tenter de rentabiliser au mieux nos dépenses.
Comment envisagez-vous le second semestre ?
C’est une question très difficile car tout dépendra de la vitesse et de la pérennité de la reprise de l’économie américaine. D’autres confinements, une deuxième vague de Covid-19, tout cela peut être très préjudiciable. Étant donné le peu que nous avons extrait et vendu, il est certain qu’une petite partie du stock commence à entrer dans la filière intermédiaire. Il y a certainement quelques ventes de bijoux en diamants en train de se conclure. Une partie de la reprise que nous avons constatée en Amérique a été assez solide. Il me semble que certains indépendants s’en sont assez bien tirés et que le bridal a obtenu d’assez bons résultats. Je ne pense pas que le pire soit derrière nous mais il est toujours assez difficile de savoir à quel moment nous connaîtrons un véritable retour de la demande. Tout dépendra véritablement de ce qui se passera au quatrième trimestre aux États-Unis.
Nous avons vu que certaines mines de diamants rencontraient de graves difficultés financières et que certaines fermaient. Pensez-vous que l’offre va chuter dans les années à venir ?
Pour moi, c’est un point tout à fait positif. Certes, ce n’est peut-être pas très bon pour de nombreuses sociétés mais l’offre actuelle ne devrait pas revenir aux niveaux d’avant. L’offre aurait chuté de toute façon, après 2018 et 2019, même si tout le monde avait continué à produire à plein régime. Et je ne pense pas que les mines reprendront bientôt leur pleine production, si elles reprennent. Je pense que cela est assez positif pour ceux qui sont toujours là. C’est dur pour les personnes concernées, bien évidemment. Mais notre modèle laisse penser que l’offre va baisser au cours des cinq à dix prochaines années par rapport à ce que nous imaginions il y a encore un an. Bien sûr, Argyle ferme, nous le savions, mais je pense qu’avec certaines des mines canadiennes et d’autres en Tanzanie, il est peu probable que l’offre arrive au niveau que nous imaginions précédemment.
De Beers pourrait-elle être intéressée par le rachat de l’une des mines actuellement sur le marché ?
Nous ne nous exprimons pas sur des dossiers particuliers mais nous sommes toujours intéressés lorsque nous constatons de la valeur. Nous avons un bilan solide.
Une réflexion sur les diamants synthétiques ?
D’après les données que j’ai vues, la période a également été difficile pour eux. Nous continuons à nous y intéresser par l’intermédiaire de Lightbox. Il est vrai que notre installation de Portland a été perturbée. Nous n’aurions pas pensé que ce serait le cas mais, pour l’instant, l’activité se poursuit. Actuellement, nous sommes en train de mettre en service des réacteurs. La structure sera en fonctionnement d’ici la fin de cette année ou le premier trimestre de l’année prochaine. C’est positif pour nous car nous aurons davantage de volume à vendre.
Une dernière réflexion ?
Cette époque est incroyablement difficile pour tout le monde dans l’industrie mais je pense que tous les acteurs ont accompli un travail formidable afin d’aider les communautés dans lesquelles se trouvent nos mines et les personnes qui travaillent pour nous. Je pense vraiment qu’un avenir lumineux attend l’industrie diamantaire. Cela ne sort pas de nulle part et tout dépend vraiment de l’Amérique. Mais il est temps maintenant de penser de façon positive et de commencer à préparer une bonne saison. Je pense que nous pouvons nous attendre à une année 2021 bien meilleure.