Le Dr Benjamin Chavis Jr est présent dans l’industrie des bijoux depuis 2007, année au cours de laquelle il a co-fondé Diamonds Do Good (anciennement Diamond Empowerment Fund), l’organisme à but non lucratif de l’industrie qui soutient les œuvres caritatives des communautés dans lesquelles les diamants sont extraits et taillés.
Il demeure membre du comité exécutif au conseil d’administration du groupe.
Ben Chavis est également activiste de longue date du mouvement en faveur des droits civiques. Membre de l’équipe préparatoire de Martin Luther King Jr, il est connu dans le monde entier pour avoir été membre des Wilmington Ten, condamnés à tort pour incendie criminel et association de malfaiteurs en 1971. L’affaire a été infirmée en appel et les charges ont été abandonnées après que des témoins clés ont retiré leurs témoignages. (Il parle de son expérience dans une vidéo consultable ici, en anglais).
Ben Chavis a ensuite été administrateur exécutif de la NAACP et directeur national de Million Man March. Il poursuit ses activités encore aujourd’hui : lui et ses enfants ont participé aux manifestations Black Lives Matter qui ont fait suite à la mort de George Floyd, tué par la police de Minneapolis.
Dans ce document, Ben Chavis évoque sa réaction face aux récents événements, la façon dont l’industrie de la bijouterie devrait agir et il nous dit si l’industrie a un problème de diversité. Cet entretien a lieu à l’occasion du Juneteenth qui commémore la journée du 19 juin 1865, celle où les esclaves de Galveston, au Texas, ont appris qu’ils étaient libres.
JCK : vous avez assisté à de nombreuses manifestations au fil des années. Certains affirment que la série d’événements récents est différente. Est-ce aussi votre avis ?
Ben Chavis : si vous comparez ce qui se passe en 2020 à ce qui se passait dans les années 60, sachez qu’à l’époque, vous aviez, parmi les participants, quelques juifs américains, quelques latinos mais ces marches rassemblaient principalement des Afro-américains. Les manifestations d’aujourd’hui sont véritablement multiraciales, multiculturelles et multilingues. Cela fait une grosse différence. Elles sont aussi intergénérationnelles et transcendent les strates socio-économiques. Je considère que c’est une évolution. On constate une indignation, un appel à l’égalité qui transcende les races, qui transcende les genres, qui transcende les classes. Le spectre est bien plus large.
Il est possible que nous assistions à un moment déclencheur, un moment d’inflexion. Cet appel désespéré pour une justice égale et à une justice raciale ne s’arrêtera pas tant qu’il n’y aura pas de changements structurels et systémiques dans la société américaine. Et il ne s’agit pas uniquement d’un mouvement dans la population des États-Unis. Cela se passe partout dans le monde. Il y a des gens en Afrique qui manifestent pour un changement social en Amérique.
Après avoir été condamné à tort pour un crime et avoir été emprisonné, trouvez-vous désolant qu’il y ait toujours des problèmes avec les forces de l’ordre ?
Vous vous en souvenez peut-être, en 1968, la commission Kerner a publié son rapport relatif aux troubles urbains. C’était il y a 50 ans. Que s’est-il passé au cours de ces 50 années ? Nous avons appris, il me semble, qu’il s’agit d’un problème systémique et que nous devons appliquer des changements systématiques. Nous n’avons pas besoin de changements en surface ou de façade.
Je ne pense pas que la police soit à elle seule tout le problème. Je pense que la police est devenue le point de mire en raison des vies qui ont été perdues et des incidents qui ont été filmés. N’oubliez pas que dans les années 60, nous n’avions pas les réseaux sociaux. Nous n’avions pas les téléphones portables. Nous n’avions pas d’enregistreurs vidéo comme peut en avoir tout un chacun aujourd’hui.
Il faut bien sûr une réforme de la police mais nous devons aussi réformer la santé, l’éducation. Un grand nombre de nos quartiers sont toujours ghettoïsés. La Covid-19 a mis au jour non seulement des problèmes de santé préexistants aux États-Unis mais également des problèmes systémiques qui existent depuis cinq décennies.
De nombreux salons commerciaux et événements de la bijouterie n’affichent pas de grande diversité. Comment toucher davantage de personnes de couleur pour les impliquer dans l’industrie ?
Je suis allé aux dix derniers salons du JCK. Au fil du temps, j’ai vu un nombre croissant de personnes de couleur. C’est positif mais il reste du chemin à faire. Je pense que l’avenir de l’industrie des diamants et des bijoux dépend non seulement d’une hausse du nombre de personnes de couleur en qualité d’employés mais aussi, espérons-le, d’une meilleure représentation dans les équipes managériales des grandes sociétés.
Il faut se regarder dans le miroir. Les sociétés et les entreprises doivent chercher ce qu’elles peuvent faire pour éviter par exemple ces tragédies raciales mais aussi pour aider à faire naître un monde plus juste, un monde plus égalitaire et plus équitable.
Y a-t-il une chose précise que vous aimeriez voir dans l’industrie ?
J’aimerais que l’industrie fasse pression sur la législation maintenant, avant que le projet de loi Justice in Policing Act ne soit présenté au Congrès. Il semble qu’il ait été adopté par la Chambre mais on ne sait pas s’il sera adopté par le Sénat. Ce projet de loi serait un pas dans la bonne direction. Je pense que l’opinion de l’industrie des bijoux est attendue pour défendre un changement social continu, une inclusion constante en Amérique.
On parle beaucoup de responsabilité sociale des entreprises. Toutes les entreprises ont maintenant une page, sur leur site Internet, consacrée à tout le bien qu’elles font. Et c’est une bonne chose. Ce que l’on veut maintenant, c’est plus d’ampleur, plus de diversité, plus d’inclusion.
Lorsque De Beers a déménagé son activité de tri de Londres au Botswana, elle a pris une décision très importante. Celle-ci a eu un impact positif, non seulement sur l’économie du Botswana, qui est une démocratie très stable, mais également sur toute l’Afrique australe et cela devient un modèle pour l’extraction de diamants naturels.
Nous entendons souvent dire qu’il nous faut des « conversations plus ouvertes » et du dialogue à propos de la question de la race. Parfois, ces conversations peuvent être difficiles. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
Au quotidien, je suis responsable de l’association nationale des éditeurs de journaux (National Newspaper Publishers Association). Vous seriez surpris d’apprendre que, même dans le monde du journalisme, il n’existe pas le genre de dialogue qui devrait avoir lieu. Les gens craignent d’avoir des discussions honnêtes à propos de la race et l’abordent d’un point de vue systémique.
Ce sur quoi nous devrions écrire, à mon avis, ce ne sont pas simplement des cas spécifiques d’injustice raciale. Nous devrions essayer de nous concentrer sur les solutions, sur la voie que nous empruntons et sur la façon d’aller là où nous devons aller. Je suis un fervent défenseur du dialogue. Je pense qu’il devrait y avoir des webinaires dans l’industrie de la bijouterie, des réunions virtuelles en mairie à ce sujet, menées par l’industrie.
Le dernier ouvrage de Martin Luther King Jr était intitulé « Where Do We Go from Here: Chaos or Community? » (Où aller à partir de maintenant : le chaos ou la communauté ?) Et je pense que presque partout dans le monde, les gens préféreraient une communauté au chaos. N’oubliez pas qu’après sa sortie de prison en Afrique du Sud, la première chose qu’a faite Nelson Mandela a été de constituer la Commission sur la vérité et la réconciliation. Beaucoup en ont été choqués. Mais il a compris que pour faire avancer la société, à un moment donné, il faut se réconcilier. Et je pense qu’en ce moment, les États-Unis recherchent une solution rapide. Nous n’allons sûrement pas la trouver. Tout comme il n’y a pas de solution rapide à la pandémie de Covid-19, je ne pense pas qu’il y ait de solution rapide à l’épidémie d’injustice raciale. Nous allons finir par découvrir un vaccin à la Covid-19. Aurons-nous un vaccin pour l’injustice raciale en Amérique ? Ce que j’entends par vaccin, c’est la façon de corriger les discriminations et les stéréotypes bien ancrés et d’éliminer les systèmes d’oppression. Je dois dire que je suis optimiste, je crois que nous travaillons en ce sens. Je pense vraiment que le nouveau projet de loi qui a été présenté au congrès est un pas en avant.
Parlons un peu de la police. Comme vous le savez, notre industrie est confrontée à de nombreux problèmes de sécurité. Pour cette raison, elle a toujours essayé d’entretenir de bonnes relations avec les forces de l’ordre. Pourtant, comme nous l’avons vu, tout le monde n’a pas la même idée du maintien de l’ordre.
Je pense que le mouvement ne va pas à l’encontre de l’application de la loi. Il concerne l’inégalité et l’injustice au sein des forces de l’ordre. Et je pense que pour résoudre ces problèmes, nous devons impliquer la communauté des forces de l’ordre dans ce dialogue. Je pense que l’industrie de la bijouterie est bien placée pour organiser ce genre de discussions de façon franche.
De nombreuses sociétés et groupes de bijoux ont publié des messages après les derniers événements. On a beaucoup glosé sur le bon message à diffuser, sur le ton à adopter. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
Nous devons faciliter les dialogues, avec des communautés aux États-Unis, mais également avec des communautés partout dans le monde. Nous n’allons pas changer une nation, un pays ou un problème. Il faut découvrir comment la population mondiale peut contribuer à améliorer la qualité de vie de chaque personne, où qu’elle vive, quelle que soit sa nationalité et quelle que soit sa situation actuelle. En fin de compte, nous voulons tous participer à l’amélioration de la qualité de vie de toute l’humanité.
Quels sont les projets pour Diamonds Do Good ?
Je pense que le moment est idéal pour la campagne Diamonds Do Good. Elle a l’occasion d’aider à façonner l’avenir des communautés dans lesquelles les diamants sont extraits et produits, mais aussi d’aider à transformer l’industrie des bijoux et des diamants à l’international. Je pense que Diamonds Do Good peut s’exprimer sur les sujets auxquels nous sommes actuellement confrontés, aux États-Unis mais aussi dans d’autres pays.
Une dernière réflexion ?
Il y a également la question de la génération Y. Une part de la période de transformation que nous vivons passe par l’implication de nombreux jeunes gens. Je pense que c’est très positif. Cela transcende la race et les critères socio-économiques. Les jeunes Américains se passionnent pour la création d’une société meilleure. L’industrie des bijoux doit s’intéresser à cette envie de la génération Y, à leur appel déchirant pour plus d’inclusion et de diversité.
Je suis optimiste. Je suis d’accord avec ce que disait Martin Luther King il y a des années : « L’arc de l’univers moral est long mais il tend vers la justice. » Et je pense vraiment que l’arc tend aujourd’hui dans cette direction.