Depuis que l’industrie s’est déchirée à propos de la réadmission de Marange au Kimberley Process en 2010 et 2011 – sachant qu’elle reste divisée sur le sujet – la tendance est de tirer à boulets rouges sur le World Diamond Council.[:]
Sous la précédente présidence, certains groupes américains ont sérieusement envisagé de quitter le groupe. Tiffany s’est éclipsée en raison d’un désaccord politique (en silence), tout comme l’a fait Martin Rapaport (de façon un peu plus fracassante).
Le remaniement de l’organisation supposait une nouvelle structure managériale tournante plus représentative et plus intégrante. Et pourtant, cette semaine, huit groupes de l’industrie ont boudé l’assemblée annuelle à Anvers, se plaignant que l’organisation avait changé d’orientation sans les consulter.
Le problème réside en partie dans le nouveau règlement, qui exige que les membres paient au moins 10 000 dollars de cotisation. (C’était nécessaire, les fonds de l’organisation étaient à sec.) Tous les organismes de l’industrie ne disposent pas d’autant d’argent. Alors, pour consolider la situation financière, les miniers ont pressé les gros clients de les rejoindre, notamment certains qui n’avaient jamais montré beaucoup d’intérêt pour les diamants du conflit ou la politique de l’industrie en général. Et tous bénéficient d’une voix, la même que celle des groupes qui représentent des milliers de personnes.
Parfois, les communiqués de presse de l’industrie nécessitent une grille de décodage. Celui de la WFDB, annonçant le désistement, affirme que les huit groupes du boycott représentent « 98 % de l’industrie ». Vous vous demandez peut-être d’où vient ce chiffre. D’après ce que l’on m’a dit, lorsque l’on ajoute les membres du Gem & Jewellery Export Promotion Council indien, de la World Federation of Diamond Bourses et du CIBJO, on obtient 98 % de l’industrie diamantaire. Ce calcul est toutefois contestable ; tient-il compte des mineurs artisans ? Des détaillants ? Des membres faisant partie de plusieurs groupes ? Pourtant, la WFDB et le GJEPC représentent indubitablement de grands groupes d’adhérents et leurs dirigeants acceptent mal d’avoir le même poids que certains sightholders, dont le seul mérite est d’avoir réuni 10 000 dollars.
« Si les organisations représentatives sont mises de côté, s’est plaint Gaetano Cavalieri, le président du CIBJO, dans un e-mail adressé au conseil du WDC, et que de vraies décisions sont prises sans qu’elles le sachent, le WDC ne pourra prétendre représenter que des sociétés. »
Ce qui nous amène à l’étincelle qui a déclenché ce petit incendie : une série de séances en petits groupes sur les « facteurs de risque » pour l’industrie. Gaetano Cavalieri et d’autres considèrent qu’il s’agit d’un élargissement non officiel de la charte du WDC, au-delà des diamants du conflit, sans approbation préalable des adhérents. Les dirigeants réfutent tout élargissement du mandat, mais la question mérite d’être posée : en quoi serait-ce si important ? Les problèmes de l’industrie ne devraient-ils pas être discutés dans un forum regroupant l’ensemble du marché ?
Tout d’abord, certains craignent que, si le WDC aborde ces sujets, il n’empiète sur le territoire de groupes déjà établis, ayant des électeurs de poids et des dirigeants démocratiquement élus (même s’ils sont parfois statiques). Ajoutez à cela un facteur essentiel, la peur. Une discussion sur les risques pour la réputation aborderait forcément des sujets comme les tarifs des transferts, l’approvisionnement et les allégations de blanchiment d’argent du rapport du GAFI (Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux). Toutes les sociétés diamantaires, et tous les centres diamantaires, n’ont pas forcément envie de les voir abordés, en particulier au WDC.
En tant que président du GJEPC, Vipul Shah a demandé, dans un e-mail adressé au conseil d’administration, si « le KPCS [serait] également modifié pour englober toutes ces questions » au cas où le mandat du WDC serait élargi. Si l’on considère que le KP a force de loi, et que certains acteurs se montrent circonspects face à de nouvelles obligations, c’est jouer avec le feu.
Des sources à la direction du WDC affirment être consternées par ces objections et jurent n’avoir établi aucun ordre du jour, et ne certainement pas chercher de régulation ; ils veulent simplement discuter de sujets importants. Mais les diamantaires peuvent être des gens suspicieux, adeptes de la théorie du complot. Par exemple, certains croient véritablement que faire pression pour installer une chaîne de contrôle est un stratagème des grosses sociétés pour évincer les plus petites. Cela déconcerte les ONG, qui affirment que l’approvisionnement responsable est essentiel pour prétendre être une entreprise responsable. Ce type de réserves est étranger au conflit présent, du moins en partie. Le fait que la De Beers soutienne publiquement les séances du WDC et prévoie que son PDG s’y exprime n’a probablement pas aidé. « Ces décisions [du WDC] sont prises par des sociétés privées, qui peuvent ou non disposer d’intérêts particuliers », m’a indiqué un membre de la WFDB.
Ainsi, lorsque l’on évoque la méfiance des contestataires, et que l’on y ajoute le fait qu’ils se sentent mis à l’écart des grandes décisions, voilà ce qu’ils ressentent : vous nous forcez la main ! Et qu’y aura-t-il après ? C’est pour cela que l’étude soi-disant partiale a suscité une telle levée de boucliers ; les sceptiques ont pensé qu’elle avait pour but de produire un résultat spécifique, plutôt que d’exprimer légitimement l’avis des membres.
Espérons qu’une meilleure communication et des initiatives en matière d’informations calmeront les inquiétudes. J’ai entendu dire que des efforts sincères avaient été engagés pour calmer les tensions, notamment avec une proposition de séance de réflexion de la part du conseil d’administration du WDC en Chine, avant la séance plénière du KP. Le communiqué de fin de réunion du WDC a souligné qu’ils avaient abordé des « problèmes de l’industrie et leurs conséquences sur le KP » et affirmé avoir produit des propositions relativement anodines, comme une meilleure communication sur le KP et une aide pour les pays touchés par le virus Ebola. Ayant assisté à ce type de controverses depuis des années, je pense qu’à un certain moment, tout le monde se réunira pour un gentil communiqué de presse et une photo aux sourires convenus. Mais les différences d’opinions à l’origine de cette crise demeureront. Elles referont inévitablement surface au prochain accrochage.
La question est donc de savoir si chacun doit désormais suivre son propre chemin. La bourse diamantaire de Dubaï, la De Beers, Tiffany et les fabricants indiens exercent tous dans des environnements très différents et abordent les choses selon des points de vue distincts. S’il n’est pas possible de les réunir et qu’une simple étude suffit à mettre le feu aux poudres, peut-être faudrait-il repenser la représentation du marché auprès du KP ?
Les ONG assistent aux assemblées du KP, à la fois en tant qu’organisations indépendantes et dans le cadre de la coalition des ONG. Pendant un certain temps, certaines organisations américaines ont envisagé de s’en inspirer et de demander un statut d’observateur distinct. L’idée a été mise de côté, bien que le statut d’observateur ait été accordé à l’African Diamond Producers Association. Les autres groupes de l’industrie seront-ils les suivants ?
Le WDC va sans aucun doute continuer d’exister – il gère la fonction administrative du KP, entre autres choses –, mais il ne sera peut-être plus l’organisation fédératrice qu’il était par le passé. Dans son e-mail, Vipul Shah a prétendu que le World Diamond Council devrait essayer « d’exprimer tous les avis ». Après le tumulte de cette semaine, on peut se demander si c’est toujours possible.