Vous vous souvenez peut-être des fournisseurs privilégiés (SoC). Il s’agissait de la politique de la De Beers pour préparer l’industrie au monde post-cartel. Ils s’annonçaient comme transparents, ouverts et objectifs. [:]Avec eux, la Diamond Trading Company (DTC) ne serait plus un club fermé : toutes les sociétés pouvaient poser leurs candidatures pour devenir sightholder. (Les cadres de la De Beers tenaient même des webinaires sur la manière de postuler.)
Non pas qu’il fût facile d’obtenir le sésame de la De Beers. Tous les clients actuels et potentiels devaient remplir un long questionnaire, souvent indiscret, qui, à une époque, comportait même une dissertation. (J’ai souvent entendu des anciens de la De Beers – et avec les SoC, ils étaient nombreux –, devenus sightholders, soupirer en secouant la tête qu’ils « n’avaient aucune idée » de ce qu’impliquait la procédure avant de passer de l’autre côté.) Les candidatures étaient ensuite jugées selon des critères « objectifs », les budgets et compétences marketing pesant lourd dans la balance. S’ils étaient sélectionnés, les clients étaient retenus pendant la période spécifiée sur le contrat, puis il fallait recommencer la procédure depuis le début.
Dix ans plus tard, plus rien de tout cela, ou presque, n’existe, et la fin est proche pour les dernières survivances. Des sources au sein de la société confient qu’ils ne sont même pas sûrs que le nom de SoC perdure. (Celui de la DTC a déjà été abandonné.)
Voici quelques détails sur le nouveau processus de sélection des sightholders (pour ceux qui tiennent les comptes, c’est au moins le troisième remodelage depuis 2000) :
– Les SoC étaient tristement célèbres pour juger leurs clients actuels et potentiels pour les sommes qu’ils investissaient dans le marketing, en partie pour combler le vide causé par le dédain de la De Beers pour la publicité générique. Résultat ? Un défilé de marques créées par les sightholders, qui pour la plupart n’existent plus. Dans la nouvelle organisation, le marketing ne fera plus du tout partie des critères. Encore que, si une entreprise se montre particulièrement adepte des activités en aval ou en milieu de chaîne, cela pourra lui faire gagner des points dans la rubrique « stratégie ».
– La De Beers étudiera les précédents achats de diamants de la société. Et pas n’importe quelles marchandises, mais celles de la De Beers en particulier. Les clients actuels seront jugés sur les pierres qu’ils demandent et, suppose-t-on, celles qu’ils refusent. Les nouveaux clients peuvent faire leurs preuves en remportant régulièrement les enchères en ligne de l’entreprise. (Cela devrait donner un sacré coup de pouce aux résultats des enchères.) Dites donc adieu aux vidéos du type « alors comme ça, vous voulez devenir sightholder ? » Pour pénétrer dans le cercle magique, il faut déjà être client.
– Les autres critères sont essentiellement financiers, à l’exception notable de l’obligation d’adhérer au code éthique des bonnes pratiques de la De Beers, un reliquat des SoC. Les clients doivent dorénavant présenter des bilans financiers sains, comptant peu de dettes, et les faire approuver par des commissaires aux comptes indépendants, bien au-delà des procédures d’audit et de validation qu’ils ont déjà pu engager. Il s’agit, selon des sources au sein de la société, de prouver leur solidité financière aux banques et de ramener l’industrie dans les petits papiers des prêteurs. Bien sûr, le manque de transparence pose problème, mais de nombreux banquiers déclarent également, comme récemment dans Businessweek, que le secteur est peu attrayant à cause des faibles marges engendrées par le rapprochement du brut et du taillé. Mais nous reviendrons sur cette question.
– Les profils, appelés CPQ, sur lesquels les entreprises trimaient parfois pendant des mois, ont disparu. Personne ne les pleurera.
– Autre élément se dirigeant vraisemblablement vers la sortie : l’idée même des contrats à durée déterminée. Les accords actuels courent sur trois ans, mais la De Beers a la possibilité de les prolonger. La société ajoutant régulièrement de nouveaux sightholders (10 ces deux dernières années), personne ne serait surpris que ces sélections régulières disparaissent progressivement, au profit d’évaluations annuelles réduites. Ainsi, certaines entreprises feraient leur entrée sur la liste, tandis que d’autres la quitteraient sans remous. C’est ainsi que cela s’est passé pendant des dizaines d’années, avant le début de toute cette histoire.
Puisqu’on en parle, l’importance accordée à l’historique des achats peut sembler familière à certains vétérans parmi les sightholders. Les prix pratiqués par la De Beers étouffent les marges des fabricants, lesquels refusent des boîtes à des prix historiquement élevés, et certains s’inquiètent qu’on puisse leur tenir rigueur d’avoir passé leur tour sur un assortiment. Que cela soit vrai ou non, l’idée se répand, ce qui joue certainement en faveur de la De Beers. Tout cela exhale des relents du passé, et certainement pas du bon vieux temps.
Ces dix dernières années, la De Beers a beaucoup exigé de ses clients. Elle leur a demandé l’accès à leur comptabilité. Elle leur a demandé de devenir des experts du marketing. Puis elle leur a demandé d’installer des usines en Afrique du Sud. Et la plupart d’entre eux ont courbé l’échine, non sans se plaindre.
Mais aujourd’hui, pour conserver le prestige et l’apport régulier dont bénéficient ceux qui sont consacrés par la De Beers, certains soulignent qu’ils sont contraints d’accepter régulièrement des lots peu rentables. Qui sait ? Peut-être cela les poussera-t-il à enfin poser des limites.