Absurdités chez Pandora : comment une société de breloques a manipulé les médias

Rob Bates

À peu près tous les professionnels du marché des bijoux – par opposition à la presse généraliste – s’accordent à dire que la décision de Pandora de cesser de proposer des diamants naturels et de lancer une gamme en diamants synthétiques ne revêt pas une grande importance.

Après tout, en 2018, seulement 0,04 % des pierres, quelle que soit leur sorte, utilisées par Pandora étaient naturelles. L’année dernière, la société a vendu 55 000 articles comportant des diamants naturels, sur un total de 85 millions d’articles de bijoux écoulés. Je connais au moins une dizaine de bijoutiers qui provoqueraient un véritable tsunami s’ils décidaient de ne plus vendre de diamants naturels. Ce n’est pas le cas de Pandora.

Alors, pourquoi son annonce a-t-elle fait les gros titres partout dans le monde ? Cela tient probablement à la façon dont la société a présenté sa décision. « Les diamants naturels ne seront plus utilisés dans les produits Pandora », indiquait son communiqué, sans préciser que la société n’en utilisait pas beaucoup à l’origine.

En revanche, Pandora a communiqué sur sa décision en mettant en avant les raisons éthiques. Alexander Lacik, son PDG, a précisé à la BBC que vendre des bracelets en diamants synthétiques à 350 dollars permettrait de laisser le monde en « meilleur état ». (Si seulement cela était aussi simple.)

Comprenez-moi bien : le développement durable est extrêmement important. Je pense que les préoccupations de Pandora sont sincères. Mais ce n’est pas parce que vous cherchez à atteindre un but noble que ce que vous faites est juste, que cela a été minutieusement réfléchi ou qu’il n’y aura pas d’intérêts personnels en jeu.

Sur la chaîne « sustainable jewelry Twitter », qui rassemble des personnes qui étudient ce sujet, le vivent et le respirent, rares ont été ceux qui ont été aussi impressionnés par Pandora que Pandora l’a été d’elle-même, comme l’indique ce fil :

Il y a également eu une récupération par l’industrie car Pandora n’était pas à proprement parler une société appréciée au départ. Mon ancien collègue Russell Shor a qualifié l’annonce « au mieux de fallacieuse et au pire de destructrice ». Les mots les plus gentils ont probablement été écrits par Idex, qui a qualifié l’annonce de « coup de maître des RP ».

Pourtant, on se demande comment ce coup des RP, si brillant, a été reçu par des chaînes comme Ben Bridge et Reeds, qui possèdent plusieurs boutiques franchisées Pandora mais également une activité considérable dans les diamants naturels. (Tous deux ont refusé de s’exprimer.)

Un bijoutier, Larry Sanders, propriétaire de Sanders Diamond Jewelers, à Pasadena, dans le Maryland, qui proposait des produits Pandora depuis 13 ans mais ne vend pas de diamants synthétiques, explique que le communiqué de Pandora a été « la goutte qui a fait déborder le vase » et qu’il a décidé de ne plus proposer la gamme.

« Je n’ai tout simplement pas aimé la façon dont ils ont présenté la chose, déclare-t-il. Je ne vois pas pourquoi il a fallu qu’ils rabaissent les diamants naturels. […] Aujourd’hui, ce qui compte, c’est ce qui est bon pour Pandora mais pas pour les autres. » (Il a également connu d’autres problèmes avec la marque.)

Vendredi 7 mai, le Natural Diamond Council, qui a généralement essayé de se tenir en dehors de la mêlée – mais qui, comme Al Pacino, est sans cesse ramené sur le ring – a répondu avec un communiqué co-signé par plusieurs autres associations diamantaires. (Pandora n’a pas répondu aux demandes de commentaire.)

Le signataire qui est peut-être le plus intéressant est le Responsible Jewellery Council (RJC), dont Pandora est membre. Pandora a utilisé les audits du RJC pour soutenir ses prétentions de développement durable des diamants synthétiques. Il est donc étonnant que le RJC ait participé à un communiqué qui qualifiait la rhétorique de la société de « trompeuse ». Je n’ai jamais vu le RJC citer publiquement le nom de l’un de ses membres.

Alors que les communiqués sur la guerre des diamants ne cessent d’être publiés, le NDC s’est fait assez discret. (Peut-être pouvons-nous remercier la National Advertising Division pour cela.) Il n’a pas qualifié les diamants de laboratoire de synthétiques, n’a pas laissé entendre qu’ils étaient faux et n’a pas parlé de baisse de valeur. Il a simplement remis en cause la présentation axée sur l’éthique.

L’industrie emploie des dizaines de millions de personnes dans le monde et leurs familles et communautés dépendent des revenus et de la protection sociale qu’elle offre. Ces communautés ont plus que jamais besoin du soutien de l’industrie, face à la pandémie de Covid-19. L’histoire trompeuse narrée par l’annonce de Pandora, laissant entendre que l’industrie des diamants naturels est moins éthique, […] peut avoir des conséquences inattendues mais graves sur les communautés des pays en développement.

Même si je suis d’accord avec ce communiqué, il m’a également donné des maux de tête. Faut-il vraiment continuer à débattre du sujet, année après année ?

La plupart des gens sensés dans cette industrie – un groupe plus restreint que ce que l’on pourrait espérer – ont admis que ces hostilités sont inutiles et destructrices pour les deux côtés. Il existe tant de sociétés qui vendent aujourd’hui les deux produits. L’affrontement entre ces deux parties est tout sauf logique. Si vous n’aimez pas les diamants synthétiques ou naturels, n’en vendez pas, tout simplement. Il est également insensé de réaliser des généralisations sur des industries aussi tentaculaires.

Pourtant, en mettant le sujet en avant, Pandora montre qu’elle peut profiter d’une bonne publicité. Cela pourrait faire des émules, ce que je redoute.

Il en va de même pour Lenore Fedow, qui écrit dans le National Jeweler : « Je ne veux plus entendre un seul mot sur la guerre entre diamants naturels et diamants synthétiques. Plus aucun atelier, webinaire, synthèse ou article. À l’exception de celui-ci, bien sûr. » (Et de celui-ci.)

Son article s’intitulait : « Nous devons changer la façon de parler des diamants synthétiques », mais peut-être que le problème vient de ceux qui en parlent.

Le Natural Diamond Council et le World Diamond Council pensent-ils vraiment que les médias généralistes savent qui ils sont, ce qu’ils pensent ou même qu’ils s’en préoccupent ? Il est arrivé à Nelson Mandela de qualifier l’industrie diamantaire « d’essentielle à l’économie de l’Afrique du Sud et de l’Afrique australe » et d’avertir qu’une représentation négative de cette industrie pourrait « déstabiliser les pays producteurs de diamants en Afrique et, au final, leur population ». Pourquoi ses citations n’ont-elles pas été reprises dans ce communiqué ? En termes de crédibilité auprès des consommateurs, 1 000 organisations de l’industrie n’arrivent pas à la cheville d’un seul Nelson Mandela.

Même si Madiba n’est plus avec nous, les communautés concernées existent, elles, toujours bel et bien et puisque ce sont elles que l’industrie est censée protéger, elle devrait les laisser parler. Ces dizaines de millions de personnes ne sont pas des accessoires, elles ne sont pas des boucliers humains, elles ne sont pas non plus les victimes abstraites d’une « disruption » high-tech. Ce sont des êtres humains. Ils doivent avoir voix au chapitre.

Des groupes tels que la Coalition de la société civile du Kimberley Process (KPCSC) pourraient ne pas toujours admirer tous les aspects de l’industrie diamantaire mais ils ont exprimé clairement et à de nombreuses reprises leur volonté qu’elle ne soit pas détruite. Il en va de même avec la Diamond Development Initiative. Bien sûr, l’industrie ne va pas apprécier tout ce que disent les activistes et les résidents locaux. Les ONG peuvent se montrer critiques et exigeantes et, même si certains pays ont tiré avantage des diamantsce n’est pas le cas pour tous. Les ONG ne sont pas dans le camp de l’industrie. Mais l’industrie ne devrait-elle pas écouter davantage les éléments extérieurs, au lieu de simplement se parler à elle-même ?

La plupart des personnes citées par les ONG sont des acteurs légitimes néfastes. Ils ne doivent pas jouer dans notre équipe. Certains ont fait plus de tort au marché que les diamants synthétiques. (Certains vont même jusqu’à en vendre actuellement.)

N’importe quelle stratégie de RP qui tente de disculper l’industrie est vouée à l’échec. Le marché dispose d’une pléthore d’atouts, mais malheureusement, nous ne nous sommes pas débarrassés des mauvais éléments.

Ceci dit, à peu près tous ceux pour qui ces sujets comptent vraiment et qui se sont penchés dessus – et les considèrent comme des problèmes à résoudre plutôt que comme des accroches marketing à exploiter – n’ont jamais cessé de dire que la destruction du marché diamantaire serait désastreuse. Le leitmotiv de la Silicon Valley est « avancer vite et tout casser » ; j’espère que les gens sur place y réfléchissent à deux fois avant de « casser » des millions de personnes (davantage que ce qui a déjà été fait).

Ce qui nous ramène à Pandora. La société a passé la semaine du 3 mai à se féliciter mais, à mon avis, elle n’a pas de quoi être fière. Non seulement sa présentation pourrait être trompeuse, et peut-être dangereuse, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit logique d’un point de vue commercial.

Vous souvenez-vous du film Blood Diamond ? Vous pensiez que Pandora a profité d’une forte publicité ? Sachez que ce film a bénéficié d’une couverture médiatique 10 fois plus importante. Et l’on pourrait penser que cela serait un gage de succès. Pourtant, il est arrivé en cinquième position le week-end de sa sortie en salle. Un négociant a affirmé en plaisantant que si tous les professionnels du marché n’étaient pas allés le voir, il serait arrivé en septième position. (D’ailleurs, la semaine suivante, il a chuté à la neuvième place.) Tous ces articles de presse n’ont pas dépeint le film pour ce qu’il était vraiment : un banal film d’action.

Bien sûr, la culture a changé depuis 2006 mais la plupart des gens vont au cinéma pour passer un bon moment. C’est aussi pour cela qu’ils achètent des bijoux. Ils n’imaginent pas qu’en achetant des babioles, ils vont faire une action sociale.

Alexander Lacik est un homme extrêmement intelligent et j’ajouterais qu’il est un excellent invité de podcast. Mais toute cette affaire me rappelle la guerre de Pandora contre Alex and Ani et le combat de cette société contre d’autres marques de breloques.

Je n’irais pas jusqu’à dire que ces litiges font du tort au secteur des breloques mais ce qui est arrivé à ces sociétés par la suite en dit long sur la situation. Comme je l’ai écrit à l’époque, elles étaient engagées dans une stratégie de « partage du gâteau ». Le Harvard Business Review a expliqué que cette méthode tend vers « des résultats non viables, de court terme, les sociétés se contentant de “louer des parts” ». La publication ajoutait que les stratégies « d’accroissement du gâteau » sont, pour utiliser une expression galvaudée, plus « durables » à long terme.

Le côté ironique, c’est que le fait que Pandora vende des diamants synthétiques devrait, espérons-le, accroître le gâteau dans son ensemble. C’est une bonne chose. Mais le message qu’elle fait passer actuellement risque de faire du tort à l’activité diamantaire, de la même façon que la société a dégradé le marché avec ses breloques signature.

C’est triste. J’aurais espéré que Pandora ait appris de ses erreurs. Espérons que cette fois-ci, elle va pouvoir corriger le tir.

Source JCK Online


Photos – Home : © Hanny Hilary + unsplash – Inside article : © Pandora  -© DR.