Il y a un mois à peine, nous mettions en garde nos lecteurs contre le risque que les gouvernements fixent des règlements limitant les importations et le commerce des diamants. La question était motivée par un sentiment de frustration face à la stagnation des réformes du Kimberley Process (KP) et aux craintes que des solutions alternatives ne viennent contourner cette impasse.[:]
Ces conclusions étaient issues d’un entretien avec la présidente du KP, l’Ambassadeur Gillian Milovanovic. Nous avons suggéré une chose : si les négociants refusaient l’intervention du gouvernement, craignant qu’elle ne les gêne, ils pourraient la bloquer en appliquant leurs propres règlements et en réglant les frais associés. Vendredi dernier, Jewelers of America (JA), Diamond Manufacturers & Importers Association of America (DMIA), Jewelers Vigilance Committee (JVC) et d’autres ont justement agi en ce sens.
Lors de sa publication, notre article a soulevé des inquiétudes dans certains milieux au sujet de futures restrictions gouvernementales. Elles ont été rapidement balayées (pas par moi), aucun gouvernement ne prendrait de mesures contre un marché de plusieurs milliards de dollars. Apparemment, les dirigeants de l’industrie aux États-Unis n’ont pas réagi de la même façon.
Ainsi, un groupe d’organisations américaines spécialisées dans la joaillerie, les diamants et la vente au détail a publié le Diamond Source Warranty Protocol (protocole de garantie sur la source des diamants).
Cette proposition demeure un système volontaire. Elle permet aux fournisseurs de s’engager envers les acheteurs, afin de ne pas leur vendre de marchandises provenant de pays « indésirables », comme le Zimbabwe, ou de certains organismes (personnes ou organisations), et ce à la discrétion de l’acheteur. Le mécanisme du nouveau protocole repose sur un programme de contrôle des stocks vérifié côté vendeur.
Le protocole proposé a immédiatement soulevé un tollé et fait naître des discussions animées à Mumbai où étaient réunis fabricants et négociants à l’occasion du congrès mondial du diamant. Chaim Even-Zohar l’a même qualifié de « cauchemar ».
Cette vive réaction est compréhensible. Tout d’abord, personne ne veut d’un resserrement des contrôles ; or, l’exception a été prévue grâce à une clause offrant aux acheteurs une fenêtre de trois ans pour intenter une action en dommages-intérêts contre les vendeurs.
De même, se pose le problème de la séparation des marchandises par région. Un dirigeant de la De Beers m’a dit un jour, lorsque je lui demandais si la société assurerait le suivi des pierres pays par pays : « Pas question ! ». La De Beers est très fière de la cohérence de ses boîtes, résultat d’un assemblage de marchandises du monde entier et d’un tri consécutif, le but étant de constituer des attributions cohérentes et uniformes. Autrement dit, l’assemblage est parfois bénéfique et souhaitable pour les acheteurs.
Ce suivi ne concernera pas forcément toutes les marchandises. Ainsi, les acheteurs peuvent choisir de n’appliquer la garantie qu’aux diamants d’une certaine grosseur. Les conditions devront alors être négociées entre l’acheteur et le vendeur. Cette option lui confère de la souplesse mais pourrait également se révéler préjudiciable. Un vendeur devra-t-il assurer le suivi de toutes les marchandises pour satisfaire les caprices de nombreux acheteurs ?
Ici, se pose la question du prix. Le KP a un coût, conséquence de sa charge bureaucratique, de ses activités douanières, etc., lequel est inscrit dans le prix du brut. L’ajout d’un nouveau mécanisme de contrôle des stocks au système d’un fabricant pourrait constituer un surcoût, d’autant plus que près de la moitié de la production mondiale est inférieure à 0,10 carat. Quarante-cinq pour cent supplémentaires concernent des marchandises de 2 carats maximum. Et nous parlons de brut, ce qui signifie que le taillé issu de 95 % de la production mondiale concerne de petites marchandises. Les laboratoires n’en attestent qu’une fraction, le reste s’échangeant en grande majorité dans des plis, sans qu’il y ait de suivi individuel des pierres. Le coût du lancement du suivi individuel est au premier chef prohibitif.
De surcroît, les contrôles de stock proposés doivent être vérifiés tous les ans. Beaucoup déplorent déjà le coût élevé de l’audit du RJC. C’est pourquoi la majorité des négociants et des fabricants, dont la plupart sont de taille petite à moyenne, ne l’ont pas rejoint et, dès lors, ne souscriront probablement pas non plus à ce protocole.
Tout est affaire de choix et de coût
Le mot-clé ici est le choix. Les détaillants et les acheteurs peuvent choisir d’adhérer ou non au protocole. Les vendeurs peuvent choisir de l’accepter ou non. Mais les acheteurs, qui choisissent de le demander à un fournisseur, doivent être prêts à en payer le prix.
Un fabricant affichant une marge de 3 % à 7 % devra immédiatement ajouter le coût du suivi de contrôle du stock et de l’audit à ses frais généraux, puis le répercuter aux acheteurs. Ces derniers, qui se plaignent déjà de l’érosion des marges et de la diminution des parts de marché, seront-ils prêts à payer plus cher ? La question est importante, voire essentielle.
« Seuls les détaillants prêts à s’acquitter du supplément, le cas échéant, s’engageraient dans le protocole, explique Robert Headley, directeur de l’exploitation de JA. Comme pour tous les autres aspects de leurs relations commerciales, sa mise en œuvre pratique se ferait au fil du temps et, pour être fructueuse, elle devra profiter aux deux parties. »
Un autre initié s’est montré prudent quant à l’avenir du protocole proposé, expliquant que son but n’était que d’entamer les pourparlers. « Il faut maintenir l’intégrité de l’industrie du diamant », a-t-il indiqué, ajoutant que les consommateurs n’ont pas encore manifesté de besoin pour ce système… pas encore.
La menace, cependant, vient de haut. Le Département d’état américain brandit en permanence la loi Dodd-Frank à la face de l’industrie, comme la menace du croque-mitaine qui peut surgir d’un sommeil cauchemardesque et nous reprendre le marché. Oublions tout cela, c’est du bluff.
Les auteurs du document semblent avoir commis une erreur tactique. Ils n’ont en effet pas consulté un éventail suffisamment large d’intervenants internationaux, d’où le tohu-bohu rencontré au congrès mondial.
Robert Headley explique que le protocole est nécessaire « car le KP est une machinerie très lourde ». Il est en effet très compliqué de parvenir à un consensus au KP, mais pour éviter des discussions sans fin, il y a un prix à payer : celui de la résistance. Il faut absolument parvenir à une coalition, et c’est là qu’intervient l’erreur politique. Obtenir ce consensus aujourd’hui, alors que les acteurs sont campés sur une position défensive, ne sera pas de tout repos.
Nous voilà donc confrontés à un protocole volontaire, qui doit être accepté par les deux parties. Mais qui approuvera les vérificateurs, comment le système de contrôle des stocks standard sera-t-il constitué, par qui et à quel prix ? Le système proposé présente de nombreux défauts et il a ses faiblesses, mais il peut répondre à un besoin que beaucoup dans l’industrie (retirés de la vente au détail) ne voient pas ou ne comprennent pas. Êtes-vous pour ou contre ? Pensez-vous qu’il faille faire, mais différemment de ce qui existe ? Allons, mes amis, il est temps de prendre la parole.