Quelles sont les qualités d’un bon expert en joaillerie ?

Ruth Peltason

Ces enquêteurs qui évoluent dans le monde des bijoux jouent un rôle crucial. Des experts en la matière nous font part de leurs expériences et de leurs réflexions.

Les experts qui font des évaluations sont, dans l’ombre, les garants de la bonne gestion des bijoux, qu’il s’agisse d’aspects immatériels comme la discrétion et la réputation, ou d’aspects plus quantifiables comme l’estimation d’une juste valeur marchande ou d’une valeur de remplacement. Ces enquêteurs du monde des bijoux, dotés d’un grand sang-froid – il existe environ 6 400 évaluateurs agréés à travers les États-Unis – sont respectés à la fois pour leurs connaissances et pour leur intégrité. Travaillant avec efficacité, ils appuient leurs évaluations sur tout un arsenal de documents, d’équipements et souvent des dizaines d’années d’expérience. La précision est leur fonds de commerce.

Détaillants, négociants, compagnies d’assurance, banques, clients privés, tous comptent sur les évaluateurs pour arbitrer et les conseiller sur certaines des questions les plus pointues et les plus personnelles en matière de joaillerie. Un nouveau-né dans la famille, un second mariage, une expédition volumineuse destinée aux enchères, un désaccord familial au sujet d’une succession importante sont des situations qui nécessitent de connaître des évaluateurs. Afin d’assurer la protection et la confidentialité de leurs clients, ils se font discrets, mais ne vous y méprenez pas : l’évaluateur est le professionnel le plus utile à avoir dans son carnet d’adresses.

Les évaluateurs doivent non seulement considérer les preuves sans parti pris et se montrer compréhensifs, en particulier lorsqu’ils sont porteurs de nouvelles peu agréables à propos d’une évaluation, mais ils doivent également afficher des références et des qualifications irréprochables. Ce critère devient de plus en plus important ; les certifications du Gemological Institute of America (GIA) et des Uniform Standards of Professional Appraisal Practice (USPAP) attestent qu’un évaluateur a atteint un triple niveau de connaissance, de fiabilité et de loyauté. Il s’agit de qualités inestimables dans le secteur concurrentiel et souvent isolé de la bijouterie.

Si la formation, l’expérience et les contacts demeurent des critères essentiels pour être un bon évaluateur, un certain nombre de questions se posent. Comment savoir à qui faire confiance ? Est-il sage de faire appel à l’expert employé par votre bijouterie ? Outre les activités engagées par le GIA, quelles sont les initiatives au niveau national pour réglementer le marché et établir des références universelles ? Vient ensuite évidemment la question des diamants synthétiques, une bête noire d’actualité, qui est devenue une préoccupation de taille pour les évaluateurs.

Dans cet article, des évaluateurs issus de différentes parties des États-Unis abordent les points forts et les défis liés à leur métier et imaginent ce que l’avenir pourrait nous réserver.

« C’est un vrai Far West » Yosef Caldaron

Fine Jewelry Acquisition Initiative pour le Winston Art Group, New York

Références : GG, AJP, GP, Gem-A, FGA, CMA

L’un des nombreux problèmes que Yosef Caldaron connaît bien est le manque de réglementation dans son domaine. Compte tenu de ses nombreux diplômes, de sa vaste expérience et de sa solide réputation, son opinion a du poids. En plus d’être directeur de la Fine Jewelry Acquisition Initiative pour le Winston Art Group, il est également le seul maître-évaluateur certifié (CMA) de New York.

Il n’est donc pas surprenant qu’il pense que les mesures réglementaires sont insuffisantes aux États-Unis. « Le monde de l’évaluation n’est pas réglementé au niveau national, mais État par État, explique-t-il. Ainsi, tout un chacun peut se déclarer évaluateur sans disposer de certifications, contrairement aux personnes homologuées USPAP. C’est un vrai Far West, il y a très peu de réglementation. »

Cela dit, « il revient à la personne qui demande l’évaluation de vérifier les qualifications de l’évaluateur, affirme-t-il. Je n’embaucherais un évaluateur que s’il était membre d’une société d’évaluation établie. J’aurais ainsi la garantie que cette personne suit aussi une formation continue. »

Sa légitimité passe également par ses vastes connaissances des diamants et du marché mondial des pierres précieuses, sans compter le temps passé à travailler pour le GIA en Israël. Yosef Caldaron a été témoin de l’évolution importante du marché avec l’arrivée des diamants synthétiques. Il est partisan de l’utilisation du détecteur Yehuda et estime que l’évaluateur doit avant tout repérer les pierres synthétiques. Ces diamants ont, affirme-t-il, entraîné « un changement majeur dans la façon dont nous effectuons les évaluations. »

« Suivez toujours votre instinct » Jennifer Leitman Bailey

Jennifer Leitman Bailey Ltd., New York

Références : GG, AJP, AAA, homologuée USPAP

Le rapport qualité-prix, la planification de l’avenir, l’achat des meilleurs bijoux signés : ce ne sont là que quelques-uns des principaux aspects du travail de Jennifer Leitman Bailey, une évaluatrice des évaluateurs[ef1] .

« Il faut suivre le marché, le suivre très attentivement lorsque vous faites des évaluations, estime-t-elle. La juste valeur marchande sera toujours différente de la valeur de remplacement, elle s’appuie sur le marché actuel. »

Cette approche réfléchie l’oblige parfois à communiquer des nouvelles décevantes. « C’est difficile. Il peut arriver que l’on devienne le thérapeute de son client. »

Dans l’univers de Leitman Bailey, l’instinct a aussi sa place. « Je me souviens parfaitement de tout, déclare-t-elle, ce qui est très important lorsque vous faites des évaluations. Vous devez suivre votre instinct. » Cependant, ajoute-t-elle, « l’intuition s’acquiert avec l’expérience. Ce n’est pas inné. »

Les bijoux signés, qui sont souvent la référence de certaines des plus belles collections, sont une autre de ses spécialités car elle est « formée pour penser revente ». Elle recommande à ses clients de collectionner des pièces signées, car ses études de marché prouvent qu’elles conservent leur valeur. « Je conseille toujours de placer son argent dans les bijoux. Vous pouvez en profiter, les porter, mais si, Dieu vous en préserve, vous deviez les vendre, les diamants naturels, les pièces signées, les bijoux sertis de pierres de couleur et assortis de certifications ne vous décevront jamais. »

Elle effectue elle-même une certaine quantité d’achats, uniquement d’articles signés. « J’adore mes bijoux, mais je pense toujours à ma succession, ils seront donc pour mes enfants. » Leitman Bailey prouve ainsi qu’elle applique ses propres conseils.

« La réputation est primordiale » Daphne Lingon

Daphne Lingon LLC, Charleston, Caroline du Sud

Références : GG, AAA, homologuée USPAP

Le métier d’évaluateur n’est pas réservé aux gemmologues fraîchement diplômés ou aux catalogueurs juniors soucieux de compléter leur CV. Cela concerne parfois des chefs d’entreprise prêts à changer de vie et qui veulent mettre à profit leur expérience et leurs contacts.

Comme l’a découvert Daphne Lingon, il est possible de bifurquer du monde des enchères vers celui de l’évaluation et du conseil. Ancienne responsable joaillerie pour les Amériques chez Christie’s New York, elle a occupé l’un des postes les plus en vue dans le monde des bijoux. Après 30 ans passés au sein de la maison d’enchères, elle a cependant décidé de se retirer et a déménagé dans le Sud. Depuis, elle est devenue directrice de Daphne Lingon LLC, société qu’elle dirige de manière indépendante et discrète. Le changement n’a pas été aussi radical ni aussi important qu’elle l’avait imaginé. Elle continue de travailler avec des clients et d’examiner de nombreux bijoux, bien que ses relations avec la clientèle aient changé. Tout comme les bijoux eux-mêmes.

« On ne sait jamais ce qu’un client va apporter, et c’est ce qui fait le charme de l’activité », raconte-t-elle. Elle se souvient d’une anecdote : une grosse bague en zircon cubique s’était retrouvée parmi les bijoux précieux d’une cliente. Elle a demandé à celle-ci de vérifier la trousse de bijoux de voyage de sa mère âgée et il s’est avéré que sa mère avait échangé les bagues par inadvertance. « Il s’agissait d’une bague en diamants taille émeraude d’une valeur de 400 000 dollars échangée avec une bague sans aucune valeur. »

Aujourd’hui, la vie sociale qu’elle connaissait au bureau a été remplacée par un réseau d’évaluateurs qui partagent les mêmes valeurs à travers tout le pays. Après les années enivrantes passées chez Christie’s et la supervision de successions de grande renommée – parmi lesquelles celles de Doris Duke, d’Elizabeth Taylor et d’Anne Eisenhower –, le côté plus intime du métier d’évaluateur lui convient.

« Dans l’ensemble, les évaluateurs sont une communauté de personnes qui se soutiennent. Travailler seul est une expérience très différente de celle d’un service en entreprise. Il y a des moments où vous avez besoin d’un second avis, explique-t-elle. Il peut aussi arriver que vous soyez contacté pour réaliser une évaluation dans une autre ville. Tout est affaire de collaboration. »

Il existe cependant une similitude avec les activités au sein d’une grande maison de vente aux enchères : la réputation. Au GIA, où Daphne Lingon a été formée en 1993, un conseil lui a été délivré : « Votre réputation est primordiale ». Plus de trois décennies plus tard, ce message continue de résonner : « Il a toujours été au cœur de mon activité, aussi bien chez Christie’s qu’en tant qu’évaluatrice. »

« Le changement climatique attirera des clients pour des questions d’assurance » Lea Koonce Ogundiran

Lea Koonce Ogundiran LLC, Chicago, Illinois

Références : GG, homologuée USPAP

Que réserve l’avenir pour les évaluateurs ? En ces temps de post-pandémie, l’établissement géographique a moins d’importance ; les grands collectionneurs ne vivent plus uniquement dans les métropoles, pas plus que les évaluateurs, d’ailleurs.

« Les gens n’hésitent pas à voyager dans tout le pays, par conséquent les bijoux se déplacent. Vous voyez donc des pièces tout à fait inattendues sur certains marchés, explique Lea Koonce Ogundiran. Lorsque je vivais à Charlotte, en Caroline du Nord, par exemple, on me présentait des marchandises en provenance du Moyen-Orient car nous étions proches d’un centre militaire. J’ai pu voir de nombreux ersatz de pierres réalisés en verre. Les soldats les achetaient en Afghanistan, pensant acquérir de très belles pierres. »

Lea Koonce Ogundiran estime que le changement climatique aura des conséquences importantes, en particulier au vu des récentes tempêtes aux États-Unis. « On ne sait jamais ce qui va se passer : un incendie de forêt, une inondation. Je pense que la valeur de remplacement deviendra un facteur plus prégnant, et que nous réaliserons davantage d’évaluations pour les assurances. »

Pour répondre à cette demande, l’industrie a besoin d’évaluateurs plus nombreux. Pour cela, elle doit améliorer les possibilités d’avancement de carrière. Récemment, la National Association of Jewelry Appraisers (NAJA) et la société de logiciels Instappraise ont commencé à proposer des bourses conjointes pour les personnes qui se lancent dans ce métier. Le GIA continue de recruter de jeunes professionnels accrédités dans le domaine de la bijouterie, même si Lea Koonce Ogundiran estime qu’il devrait se montrer « plus agressif » dans la promotion de ce parcours professionnel. Par exemple, affirme-t-elle, « ils ne vous apprennent pas à estimer les pièces » – une compétence importante pour les futurs évaluateurs.

« Il est primordial de connaître son produit » Edward Lewand

Consultant Appraisal Services, New York

Références : GG, ASA, AAA

Edward Lewand appuie sa carrière sur un solide sens pratique, des formations sur le terrain et l’observation de nombreux bijoux pendant plusieurs décennies. Fils de parents négociants de bijoux anciens, il est entré au GIA dès sa sortie du lycée. Il a ensuite trouvé un emploi dans le quartier des diamantaires de New York, sur la 47e rue, et a suivi des cours du soir à l’université. Sur son chemin, il a croisé des personnes influentes dans ce domaine, notamment Joyce Jonas, anciennement chez Antiques Roadshow, Anna Miller, gemmologue et experte en évaluation, et Elly Rosen, pionnière de la certification.

Edward Lewand a donc un regard d’expert sur ce secteur, il connaît à peu près tout le monde et dispose de vastes connaissances en matière de haute joaillerie.

« Il est primordial de connaître son produit », affirme-t-il. Pour lui, cela consiste à examiner la pièce sur l’endroit, mais aussi à la retourner, à vérifier son usure, à contrôler le sertissage des pierres et à savoir distinguer une pièce de fabrication italienne d’une pièce de fabrication française, par exemple. « L’estimation de la valeur réelle d’un objet doit être basée sur des preuves et des éléments comparables. Il faut comprendre l’histoire. »

Pour cet homme, autrefois consultant auprès des services fiscaux américains (IRS), les questions de responsabilité sont primordiales. Il est essentiel de se montrer prudent et d’effectuer les évaluations de manière idoine, afin d’éviter d’avoir à supporter une quelconque responsabilité. En fin de compte, explique Edward Lewand, son rôle consiste à « aider les gens à trouver la vérité sur leurs biens ».

Liste des qualifications

Brève explication des qualifications d’évaluateur.

GG : gemmologue diplômé

ASA : American Society of Appraisers (Société américaine des évaluateurs)

AAA : Appraisers Association of America (Association des évaluateurs d’Amérique)

AJP : Applied Jewelry Professional (GIA) (Professionnel en bijouterie appliquée)

GP : Graduate Pearls (Programme diplômant sur les perles)

Gem-A : Gemmological Association (Association gemmologique) de Grande-Bretagne

FGA : membre de la Gemmological Association (Gem-A)

CMA : maître-évaluateur certifié (NAJA)

USPAP : Uniform Standards of Professional Appraisal Practice (Normes uniformisées pour la pratique professionnelle de l’évaluation)

Image (dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant d’en haut à gauche) : Daphne Lingon, Jennifer Leitman Bailey, Edward Lewand, Lea Koonce Ogundiran et Yosef Caldaron.

Source : Rapaport