Le point le plus important à déterminer demeure l’orientation que les détaillants choisiront lorsque ces marchandises ne seront plus rentables.
Les discussions relatives aux diamants synthétiques s’enflamment alors que les stocks sont excédentaires et que les coûts de production baissent, ce qui ne cesse de faire reculer les prix et les valeurs de rachat, même si la sensibilisation des clients et la demande augmentent. Pour sa part, le secteur des diamants naturels, qui subit la concurrence des pierres synthétiques et ses propres problèmes d’excès de production, continue d’accuser le coup.
Quel peut être l’avenir du marché des diamants synthétiques ? Certains analystes, après avoir consulté leur boule de cristal, envisagent de nouvelles baisses de prix lors des transactions de gros et de retail, une érosion des marges bénéficiaires et, finalement, une clientèle qui se désintéresse des bagues de fiançailles en diamants synthétiques, jugées trop peu chères pour un achat qui symbolise l’engagement. Dès lors, les diamants synthétiques semblent voués à s’installer dans la catégorie des bijoux de mode et à dérober des parts de marché à la moissanite, aux saphirs blancs synthétiques et aux autres imitations du diamant.
Nous n’en sommes pas encore tout à fait là. En 2022, le marché mondial des diamants synthétiques était estimé à 24 milliards de dollars, selon Allied Market Research, qui prévoit que ce chiffre bondira à 59,2 milliards de dollars d’ici 2032, pour un taux de croissance annuelle composée (CAGR) de 9,6 %. Même si ces prévisions optimistes sont réfutées par certains analystes, il ne fait aucun doute que la demande des consommateurs restera solide, en particulier en Amérique du Nord, qui continue de dominer le segment des diamants synthétiques en termes de parts de marché.
Une progression constante, mais durable ?
Les détaillants et autres entreprises vendant directement aux consommateurs affirment que la catégorie reste solide.
« Ces trois dernières années, nous avons connu une croissance exponentielle, qui confirme la forte demande pour nos produits, indique Ornella Siso, cofondatrice et directrice marketing de la marque de bijoux en diamants synthétiques Idyl. La fidélisation de nos clients est exceptionnellement élevée. Nous constatons qu’ils reviennent sans cesse vers nous. »
Les chiffres étayent les affirmations de ce type. En juillet, les ventes unitaires de bijoux en diamants synthétiques ont augmenté de 59 % en glissement annuel et les revenus qui en sont issus ont progressé de 52 %, d’après Tenoris, un groupe d’analyse des données du marché des bijoux. Les diamants synthétiques représentent désormais jusqu’à 20 % du total du marché des bijoux en diamants, déclare Paul Zimnisky, analyste de l’industrie. Sur le marché du bridal américain, ce chiffre est encore plus élevé. Certaines estimations l’établissent à près de 50 %.
Les générations Y et Z restent les principaux consommateurs de diamants synthétiques aux États-Unis, attirés par les allégations de protection de l’environnement, les questions de droits de l’homme relatives à l’extraction des diamants naturels, et surtout le prix. Comme l’indique Amish Shah, fondateur et PDG des marques de bijoux en diamants synthétiques Altr et J’evar : « Existe-t-il une seule jeune fille qui ne voudrait pas porter au doigt ou aux oreilles un magnifique diamant encore plus gros ? »
Des hausses de volumes
Le problème demeure que les diamants synthétiques ont inondé le marché ces dernières années. La Chine en est le principal pourvoyeur. En 2022, elle a fabriqué 20 millions de carats, soit 40 % à 50 % de la production mondiale, d’après la Gems and Jewelry Trade Association of China. L’Inde est le deuxième producteur, avec environ 3 millions de carats, soit 15 % de l’offre mondiale, selon CareEdge Advisory. Parmi les autres grands producteurs, figurent les États-Unis et Singapour.
Comme avec d’autres activités technologiques, l’efficacité de production et les volumes ont également permis d’abaisser les coûts. Les prix de gros des diamants synthétiques se sont ainsi écroulés de 87 % depuis 2018, d’après Tenoris. Plus tôt cette année, au salon JCK Las Vegas, les diamants synthétiques se vendaient 99 dollars par carat.
On constate un écart notable entre les baisses des prix de gros et de retail. Les analystes prévoient donc que les marges bénéficiaires vont augmenter prochainement. Selon les derniers chiffres de Tenoris, les ventes de bagues de fiançailles en diamants synthétiques atteignent en moyenne 2 710 dollars, pour des marges brutes plus élevées que jamais, à 65 %.
« Il existe bel et bien un niveau plancher. Les détaillants profitent donc de ces marges exceptionnelles, tant que le consommateur ne connaît pas la vraie valeur du produit », explique Olivia Landau, fondatrice du fournisseur de diamants naturels The Clear Cut.
Or, ces détaillants doivent vendre beaucoup plus de diamants synthétiques pour réaliser les mêmes bénéfices qu’il y a quelques années.
Vishnu Batwara, PDG du joaillier new-yorkais GemsNY, admet le problème mais ajoute que les consommateurs achètent souvent de plus grandes quantités : « Lorsque les clients ont acheté une bague, il arrive très souvent qu’ils reviennent à plusieurs reprises. Ils complètent l’ensemble avec des boucles d’oreilles, des pendentifs et des bracelets. Les tarifs bas leur permettent également d’acheter une série complète dès le départ, ce qui renforce le total des ventes. »
Pour de nombreux détaillants cependant, « les prix des diamants synthétiques baissent plus vite que les ventes unitaires n’augmentent », a déclaré Edahn Golan, fondateur de Tenoris. « L’activité est toujours rentable mais lorsque les prix baissent de 20 %, les ventes doivent progresser de 25 %, uniquement pour permettre de générer les mêmes revenus. Les détaillants sont alors confrontés à un grand dilemme. Doivent-ils offrir aux clients ce qu’ils demandent ou protéger leurs gains ? »
Une activité en berne pour les fabricants
Plusieurs grands détaillants ont déjà quitté le navire. En juin, De Beers a pris la décision d’arrêter de produire des diamants synthétiques pour sa marque de bijoux Lightbox et de se concentrer sur les applications industrielles. Signet Jewelers réserve désormais ses diamants synthétiques au secteur de la mode et non plus du bridal, ce qui traduit une orientation plus large de l’ensemble du marché. De nombreuses boutiques indépendantes aux États-Unis s’empressent de se débarrasser de leurs diamants synthétiques, avant que les marges brutes avantageuses ne commencent à baisser.
« Selon moi, ce n’est qu’une question de temps avant que les marges en aval sur les diamants synthétiques ne se normalisent, notamment pour les marchandises génériques non serties », déclare Paul Zimnisky. Même si les coûts de production pourraient continuer à baisser, fait-il observer, les autres dépenses dans la chaîne d’approvisionnement, comme la taille, la certification et la distribution, devraient rester « stables ».
Ornella Siso, d’Idyl, en convient. « Même si les coûts de production des diamants synthétiques se stabilisent, il faudra toujours tailler, polir et expédier chaque pierre, puis la faire passer par divers autres processus, qui s’ajoutent au total des dépenses, explique-t-elle. Les seules fluctuations du coût des diamants synthétiques n’auront pas d’effet significatif sur les prix des bijoux. »
Pour les professionnels qui se contentent de fabriquer des diamants synthétiques, la chute devrait finir pas se stabiliser prochainement, soutiennent les analystes.
« Nous approchons d’un niveau où les fabricants ne pourront plus faire de profit », indique Edahn Golan. Il fait d’ailleurs remarquer que les producteurs se rapprochent du coût majoré et qu’il existe « de moins en moins de sociétés de ce type. La seule activité qui fonctionne est une association entre la fabrication et la taille. Vous pouvez continuer à réaliser des bénéfices attrayants si vous vous engagez dans des activités de taille ou de fabrication de bijoux. »
Il pourrait y avoir ici une occasion inespérée pour l’Inde, premier pays au monde dans le secteur de la taille des diamants naturels. Environ 90 % des sociétés indiennes qui taillent des diamants naturels ont désormais investi le marché des diamants synthétiques en tant que tailleurs, fabricants ou les deux, d’après le sous-comité des diamants synthétiques du Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) indien. Ces sociétés ont, elles aussi, pris en compte la baisse des prix dans leur modèle économique.
Une réorientation des activités
Aux États-Unis, affirme Paul Zimnisky, les détaillants se tournent à nouveau vers les diamants naturels ou imaginent la prochaine phase stratégique de l’activité des diamants synthétiques, à savoir la prise de parts de marché à la moissanite, aux saphirs blancs synthétiques et au zircon cubique.
Doug Meadows propose aux consommateurs le « challenge du solitaire en diamant », qui est une comparaison entre des diamants naturels, des diamants synthétiques, de la moissanite et du zircon cubique, placés côte à côte. « Nous tentons d’informer la clientèle et de lui donner le choix, explique le propriétaire de David Douglas Jewelers à Marietta, en Géorgie. En revanche, avec la baisse des prix des diamants synthétiques, nous nous intéressons de plus en plus à la façon de décrire les diamants naturels. »
En s’inspirant d’autres catégories du luxe, comme la mode des designers, certains vendeurs de diamants synthétiques ont commencé à mettre l’accent sur des attributs quantifiables comme la taille, le design et le branding. Les diamants synthétiques offrent davantage de diversité en matière de taille, par exemple les ovales, les radiants, les coussins allongés et les émeraudes, alors que les ventes de diamants naturels concernent généralement des tailles rondes. « Avec l’évolution des diamants synthétiques, les véritables entrepreneurs seront ceux qui sauront se concentrer sur la valeur issue de la créativité du bijou », explique Amish Shah.
Le joaillier Brilliant Earth met en avant l’angle du développement durable dans ses collections Capture et Renewable, toutes deux lancées l’année dernière. Les diamants synthétiques de Capture sont créés en captant les émissions de carbone avant qu’elles n’entrent dans l’atmosphère. Dans la collection Renewable, le joaillier utilise de l’énergie 100 % renouvelable pour fabriquer, tailler et polir les pierres. L’objectif est de « créer une industrie de la joaillerie plus transparente, plus durable, plus compatissante et plus inclusive », a écrit la cofondatrice Beth Gerstein dans une publication récente sur les réseaux sociaux.
Le dilemme des diamants naturels
Parallèlement, les diamants synthétiques continuent d’avoir des effets négatifs sur l’industrie des diamants naturels, en particulier dans leurs catégories de prix inférieures. Conjointement aux difficultés économiques et à l’affaiblissement de la demande, la forte concurrence des diamants synthétiques a joué un rôle au niveau des performances irrégulières du retail des bijoux en diamants naturels aux États-Unis cette année. Les ventes globales ont perdu 1 % au premier semestre 2024, selon Tenoris.
Beaucoup considèrent que le diamant synthétique dégrade l’image du diamant naturel. D’autres affirment qu’ils donnent envie d’acquérir de plus gros diamants naturels, et en plus grand nombre. Les ventes de bijoux en diamants naturels valant de 20 000 dollars à 50 000 dollars ont connu des augmentations à deux chiffres au premier semestre, signale Tenoris, une tendance à surveiller dans les mois à venir.
« Je pense que l’écart croissant entre les prix des diamants synthétiques et naturels permettra de mieux faire la distinction entre les produits, fait remarquer Paul Zimnisky. Cependant, l’industrie doit encore convaincre les consommateurs de payer un supplément important pour s’offrir des pierres naturelles. »
Image principale : Campagne tournée par le joaillier Kimaï, présentant des bagues ornées de diamants synthétiques (Kimaï).
Cet article est extrait du numéro d’octobre-novembre 2024 de Rapaport Magazine. Voir d’autres articles ici.