L’industrie diamantaire continuera de subir des pressions en raison de la situation géopolitique actuelle et de la popularité croissante des diamants synthétiques qui provoquent une restructuration fondamentale du marché, a averti Martin Rapaport, président du conseil de Rapaport Group.
« Nous traversons un passage plutôt difficile, et ce pour encore au moins un an, a déclaré Martin Rapaport dans un webinaire au cours de la semaine du 25 septembre. Nous connaîtrons des changements sans précédents car l’activité des diamants naturels se repositionne face à la concurrence sévère des diamants synthétiques. »
L’industrie diamantaire a constaté des baisses importantes en 2023. L’indice RapNet (RAPI™) pour les diamants taillés de 1 carat a reculé de 20 % entre le 1er janvier et le 2 octobre. Le rythme des baisses a d’ailleurs accéléré ces derniers mois.
La situation peut apparaître plutôt préoccupante et il convient d’avancer avec prudence, a averti Martin Rapaport. Il n’est pas certain que la tendance se maintienne au quatrième trimestre, en particulier du fait que les fabricants ont réduit leurs achats de brut. Lors de la semaine du 25 septembre, le marché indien a annoncé un arrêt volontaire des importations de brut pendant les deux mois suivants.
Depuis le début de l’année, les ventes de brut de De Beers ont plongé de 28 %. Avec trois sights encore à venir, elles devraient atteindre environ 4 milliards de dollars sur l’exercice complet, contre 5,7 milliards de dollars l’année dernière, a prévu Martin Rapaport.
Ne pas négliger l’Amérique
Martin Rapaport a relevé trois facteurs qui contribuent au ralentissement du marché. Outre la menace des diamants synthétiques, la faiblesse économique alimente aussi les incertitudes. La hausse des taux d’intérêt et de l’inflation pèse sur les dépenses des consommateurs. Quant aux changements dans le paysage géopolitique, ils contribuent eux aussi à engendrer un virage majeur de la dynamique du marché, a expliqué Martin Rapaport.
« Il y a encore peu de temps, tout le monde aimait tout le monde, mais la mondialisation est terminée, a-t-il averti. Les sanctions sont un vrai problème. La guerre économique mondiale va s’intensifier, à moyen ou long terme, et cela aura des conséquences sur le marché diamantaire. »
Les sanctions vont se multiplier, et pas uniquement contre la Russie : il faut également tenir compte des relations avec la Chine. Il est prévu que des sanctions soient imposées aux États-Unis et elles affecteront le dollar, a-t-il affirmé. Avec ces changements, les perspectives pour la Chine sont incertaines mais l’argent « fort » restera aux États-Unis, a prédit Martin Rapaport.
En 2022, les ventes de bijoux en diamants aux États-Unis ont progressé de 2 %, à 47,7 milliards de dollars, tandis que le chiffre d’affaires mondial du secteur est resté stable, à 86,5 milliards de dollars, d’après le rapport Diamond Insight de De Beers, publié au cours de la semaine du 2 octobre. Sur l’année, les ventes en Chine ont reculé de 11,2 %, à 8,8 milliards de dollars, a estimé De Beers.
Avec une part de marché de 55 %, l’Amérique doit adopter un rôle de leader, même lors des périodes de grandes incertitudes, a affirmé Martin Rapaport.
La hausse des taux d’intérêt et de l’inflation resserre les revenus disponibles mais n’est pas la véritable raison du changement, a-t-il souligné. « Ces facteurs économiques engendrent une confusion stratégique et font du bruit mais les sanctions réciproques que s’infligent les gouvernements et l’arrivée des diamants synthétiques provoquent un grand chamboulement. »
Le crime du retail
Les diamants synthétiques ont gagné en popularité ces dernières années, ils constituent désormais une part croissante des ventes de diamants chez les bijoutiers.
Ces marchandises représentent environ 5 % de l’assortiment diamantaire chez Signet Jewelers, le plus grand bijoutier spécialisé aux États-Unis, a annoncé Gina Drosos, son PDG, dans une récente téléconférence sur les gains. Les diamants synthétiques ont représenté la moitié des diamants et environ 6,5 % des bijoux en diamants sertis vendus par les bijoutiers spécialisés aux États-Unis en juillet, d’après Edahn Golan, cofondateur de Tenoris, une société d’analyse des tendances.
Les consommateurs qui ont un budget bien défini peuvent se procurer des articles plus haut-de-gamme, avec des grosseurs supérieures ou des diamants synthétiques de qualité. Les bijoutiers profitent en moyenne de marges supérieures et de transactions plus coûteuses qu’avec des diamants naturels, a expliqué Gina Drosos.
Le marché des diamants naturels va donc être affaibli, voire disparaître totalement dans certains secteurs du fait des diamants synthétiques, a prévu Martin Rapaport.
La plus grande progression des diamants synthétiques cette année a concerné le marché du bridal et des fiançailles. Toutefois, Martin Rapaport estime qu’ils devraient être évincés du segment du bridal à mesure que leur valeur diminuera. Il pense plutôt que les diamants synthétiques vont envahir le secteur des bijoux de mode.
Pour l’heure cependant, les diamants synthétiques sont partis à l’assaut du bridal, ce qui pourrait avoir un effet durable sur l’attitude des consommateurs, a fait remarquer Martin Rapaport. Avec une promotion agressive du produit, les bijoutiers parviennent à convaincre les clients de la génération Y et de la génération Z de dépenser moins d’argent pour les bagues de fiançailles – et ils leur assurent que les diamants naturels ne sont pas importants, a-t-il averti.
« C’est un crime. Quel autre secteur ferait la même chose ?, a-t-il souligné. Nous allons subir un retour de bâton car les femmes veulent se marier et le scénario de la relation exclusive passe par les diamants naturels. Si un client a la sensation qu’il vaut mieux payer plus pour offrir un bijou qui a vraiment du sens, le mieux qu’il puisse faire est d’acheter un vrai diamant. »
Quand les diamants synthétiques ne permettent pas de vivre
Martin Rapaport reconnaît que la différence de prix profite actuellement aux diamants synthétiques.
Il a comparé le coût et le prix de vente d’un diamant naturel F, VVS2 de 2 carats à ceux de son équivalent synthétique, à diverses étapes de la chaîne de distribution (voir tableau). La marge bénéficiaire des bijoutiers était de 24 % pour les diamants naturels contre 83 % pour les pierres synthétiques. En outre, la différence au niveau du prix de retail a permis au consommateur d’économiser 31 104 dollars, d’après les recherches de Martin Rapaport.
« Le bijoutier gagne de l’argent et le consommateur économise, il n’est donc pas surprenant que tout le monde se précipite vers les diamants synthétiques, a expliqué Martin Rapaport. Mais avec la baisse des prix, ces avantages vont s’amenuiser. »
Les prix des diamants synthétiques vont tellement baisser que les revenus nets seront insuffisants pour faire vivre un bijoutier, même avec des marges bénéficiaires supérieures, a-t-il prédit, ajoutant que « les bijoutiers ne pourront pas gagner d’argent avec les diamants synthétiques. »
Martin Rapaport en appelle aux bijoutiers qui vendent des diamants synthétiques pour des raisons financières et remet en doute leur éthique lorsqu’ils n’annoncent pas au consommateur que l’article perdra de sa valeur au fil du temps.
« Ils affirment qu’il s’agit exactement du même produit que les diamants naturels. Et la Federal Trade Commission (FTC) considère que c’est un bon produit, a déclaré Martin Rapaport. Je crois que c’est un bon produit s’il est correctement déclaré. »
Martin Rapaport prépare une requête pour la FTC, visant à obliger les bijoutiers à annoncer la baisse de valeur que les diamants synthétiques devraient subir.
Les diamants ne sont pas des articles ordinaires
À mesure que les diamants synthétiques vont basculer du bridal vers les bijoux de mode, Martin Rapaport s’attend à ce que les diamants naturels s’imposent comme un produit de luxe sur le long terme.
Il a appelé De Beers à augmenter ses dépenses en marketing pour les diamants naturels pour que ce produit conserve son importance – même au-delà des 20 millions de dollars que la société a récemment engagés pour promouvoir les diamants naturels pour les fêtes.
Le test pour l’industrie sera de savoir si elle maintient sa place sur le marché de la joaillerie, le segment du luxe étant encore à conquérir, a-t-il souligné. Elle peut se défendre avec un bon marketing, sans toutefois que cela soit suffisant : les bijoutiers doivent vendre leurs diamants de façon juste et cesser de tenir compte uniquement du prix, a souligné Martin Rapaport.
« Les vrais diamants n’auront pas de problèmes mais nous devons apprendre à axer les ventes sur ce qui les rend si spéciaux. Si votre client se préoccupe uniquement du prix, il ne mérite pas d’avoir un diamant naturel – envoyez-le chez Swarovski, a-t-il déclaré. N’ayez pas peur de vendre des articles chers, comprenez que les diamants ne sont pas pour tout le monde. Vous êtes spécial et vos diamants sont spéciaux. Ne l’oubliez jamais. »
Main image: A lab-grown rough diamond. (Shutterstock)