Depuis des dizaines d’années, l’industrie diamantaire travaille avec une filière véritablement internationale : les diamants sont extraits sur certains continents,[:] triés et distribués dans d’autres centres, taillés ailleurs encore, sertis sur des bijoux dans un quatrième lieu géographique et enfin consommés dans des pays comme les États-Unis, le Japon et la Chine. Les deux premières étapes n’ont rien à voir avec la filière de la transformation.
Il y a moins de 20 ans, un diamantaire pouvait facilement acheter des diamants à un fournisseur à un endroit, les expédier à un autre endroit, et une société, qui pouvait ne pas être la sienne, pouvait effectuer les commandes et le paiement.
Il existait de nombreuses variations possibles sur ce modèle. Par exemple, si l’acheteur achetait du brut à des fournisseurs non organisés ou à des pays ayant des systèmes bancaires limités et peu fiables, il pouvait demander à recevoir les diamants par le biais d’une autre société dans une zone franche et régler la créance par virement bancaire – ou même en nature – à une autre société dans une autre partie du monde, ainsi que le demandait le fournisseur.
Les banques et les expéditeurs suivaient simplement les instructions et personne ne s’étonnait de ce qui était alors considéré comme une pratique commerciale. Tout le monde comprenait que le diamantaire se contentait d’optimiser sa propre filière de transformation en y intégrant une sécurité financière et physique.
Plus aujourd’hui. Un parcours comme celui-ci serait considéré comme du blanchiment d’argent. Les banques et les institutions financières n’y participeraient pas. Je connais personnellement des cas où des paiements commerciaux légitimes ont été interrompus par des banques aux États-Unis (tous les paiements en dollars passent par des banques américaines, même si ni le destinataire ni l’expéditeur ne se trouvent aux États-Unis) pour des contrôles de conformité. L’argent n’a été libéré qu’après trois ou quatre semaines, une fois que les parties eurent fourni des justificatifs satisfaisants pour convaincre la banque que la procédure était légitime.
Que cela vous plaise ou non, le respect des exigences officielles en termes de clarté de l’audit des procédures fait maintenant partie intégrante des entreprises diamantaires. On pourrait dire que la conformité est devenue le cinquième « C » de l’activité.
Vous pourriez vous demander pourquoi de telles obligations. Tout est lié au blanchiment d’argent, une activité peut-être aussi ancienne que l’argent lui-même – le premier dossier connu date de 2000 av. J.-C. L’activité tire son nom des laveries automatiques qu’utilisait la mafia américaine au XXe siècle pour légitimer l’argent gagné dans des entreprises criminelles.
Naturellement, tous les gouvernements étudient de près tout ce qui pourrait passer pour du blanchiment d’argent et l’évasion fiscale qui y est associée. La loi américaine sur le secret bancaire, adoptée en 1970, a rendu les banques responsables de la détection et de la prévention du blanchiment d’argent. Le blanchiment d’argent est devenu crime fédéral aux États-Unis avec l’adoption de la loi de 1996 sur le contrôle du blanchiment d’argent. Au départ, la législation visait principalement le commerce de la drogue.
Groupe d’action financière internationale
En 1989, les pays du G7 ont créé le Financial Action Task Force (FATF), une organisation intergouvernementale qui développe des politiques pour lutter contre le blanchiment d’argent. Le FATF (GAFI en Français) établit des politiques mais il surveille également les progrès des pays qui les mettent en place et s’assure que cette mise en application est satisfaisante. Ce processus fonctionne grâce à des contrôles par les homologues, un peu comme le Kimberley Process le fait avec ses missions d’examen.
Le FATF a produit ses premières directives en 1990, à l’époque où les opérations bancaires étaient encore principalement manuelles et où Internet émergeait a peine. Les premières directives concernaient les banques et les institutions financières.
En 2001, le mandat du FATF a été modifié afin d’englober le financement du terrorisme. Les directives émises en 2004 ajoutaient à la liste cinq activités et professions non financières, notamment les négociants de pierres précieuses et de métaux précieux. Depuis lors, tous les acteurs de l’industrie des diamants et des bijoux de tous les centres du monde ont dû respecter les directives du FATF.
À l’origine, il suffisait aux acteurs de l’industrie des diamants et des bijoux d’appliquer les procédures de due diligence à leur clientèle, procédures également appelées « Know Your Customer » (KYC, Apprenez à connaître vos clients), pour toutes les transactions en espèces de plus de 15 000 dollars. Mais même cela a été un choc. Les banques avaient l’habitude de donner des espèces à leurs clients pour leurs voyages et le règlement des fournisseurs africains ayant un accès limité aux banques ou pour payer leurs transactions sans délai lorsqu’ils réceptionnaient des plis déposés en mains propres.
Or, la conformité a été rendue obligatoire et, en 2006, tous les acteurs ont dû mettre en place des procédures claires de lutte contre le blanchiment d’argent. En 2012, le FATF a publié ses recommandations actualisées. Celles-ci venaient renforcer et préciser la plupart de ses principes et mettaient davantage l’accent sur les informations relatives aux propriétaires bénéficiaires. Ces directives proposaient également une approche basée sur les risques pour identifier et éliminer le risque de blanchiment d’argent, par exemple avec des personnes exposées politiquement.
Il faut savoir que le FATF ne produit pas lui-même de lois, mais uniquement des directives ou des recommandations. Les gouvernements participants sont censés légiférer dans leurs propres pays, en respectant les recommandations. En ce qui concerne le secteur diamantaire, les lois des pays individuels sont loin d’être uniformes et varient en fonction des centres diamantaires. Comme avec toute autre activité d’extraction minière, il est important pour l’industrie diamantaire de savoir si une personne est exposée politiquement.
En octobre 2013, le FATF et Egmont Group, un groupe composé d’unités de renseignements financiers de tous les pays, a publié un rapport typologique intitulé Blanchiment d’argent et financement du terrorisme à travers le commerce des diamants. Le rapport a été accepté par les participants au FATF et s’intéresse aux vulnérabilités en termes de blanchiment d’argent dans le secteur diamantaire. Il citait également des exemples de blanchiment d’argent dans ce marché. Il apportait des suggestions pour atténuer les risques, y compris en prolongeant la législation aux transactions hors liquidités, en harmonisant la régulation contre le blanchiment et le terrorisme entre les pays et en mettant l’accent sur la coopération internationale et le partage d’informations.
Pleine conformité, la nouvelle norme
Les gouvernements appliquent déjà des contrôles plus stricts sur le secteur diamantaire. Aux États-Unis, Cartier a été condamné à une amende pour un retard de procédure en matière de blanchiment d’argent en 2017. En Belgique, des rapports signalent que des vérifications de blanchiment d’argent sont menées par les autorités dans le quartier diamantaire et que des sociétés sont condamnées à des amendes pour manque d’informations KYC. En Inde, le gouvernement a désigné un régulateur pour les lois relatives au blanchiment d’argent dans le secteur des diamants et des bijoux. Les scandales financiers récents dans le pays vont probablement précipiter le renforcement des contrôles par ce régulateur.
Les gouvernements travaillent déjà à la prochaine mouture de la législation anti blanchiment d’argent, avec l’UE aux commandes. Il s’agirait d’appliquer un seuil réduit pour les opérations en espèces, d’étendre la définition des personnes exposées politiquement, de créer des registres centralisés des propriétaires bénéficiaires et de renforcer les approches basées sur le risque, en plus d’intégrer les nouvelles technologies, comme la biométrie, etc.
À l’avenir, les sociétés du secteur diamantaire du monde entier, quelle que soit leur situation géographique, n’auront d’autre choix que d’améliorer la sensibilisation à la lutte contre le blanchiment d’argent et d’instituer une politique claire, basée sur les risques, avec des informations KYC adéquates, la hiérarchie des décisions, des directives améliorées de due diligence, ainsi que des mécanismes de surveillance et de rapport sur les transactions.
La transition n’ira pas sans quelques difficultés, en particulier pour les petites sociétés, mais elle permettra d’aboutir à un marché transparent et conforme.
This article, written by Pranay Narvekar of Pharos Beam Consulting LLP, first appeared as a blog on GemKonnect.com