Diamants synthétiques, de laboratoire, créés artisanalement, artificiels ou de culture. Quelle que soit la dénomination que vous choisissiez, les diamants de laboratoire sont très controversés de nos jours et les médias spécialisés publient régulièrement des articles sur les actualités de cette industrie en plein essor. [:]Que cela vous plaise ou non, les diamants de laboratoire ne vont pas disparaître et la technologie utilisée pour les développer s’améliore rapidement. Comme pour n’importe quel produit ou service, lorsqu’il y a de la demande, des sociétés entrent régulièrement sur le marché pour y répondre. Or, la demande de diamants de laboratoire augmente dans certains des grands pays consommateurs de diamants, mais pas dans d’autres. Dans ma prochaine série d’articles, j’étudierai de manière approfondie le phénomène naissant des diamants de laboratoire. Je me pencherai sur leur histoire, la façon dont ils sont fabriqués et leurs utilisations. Je présenterai également les réactions du marché des diamants naturels, comment se profilent les bases de l’offre et de la demande et la manière dont leurs prix sont fixés sur le marché.
Nous avons généralement tendance à considérer les diamants de laboratoire principalement dans le contexte de l’industrie des bijoux et des diamants mais le fait est que les scientifiques et les ingénieurs produits étudient de nouvelles façons de créer des diamants pour les utiliser dans d’autres applications industrielles et médicales. Imaginez une peinture automobile imprégnée de diamants qui ne puisse pas être rayée ou des nano-grappes de diamants capables d’administrer des médicaments de chimiothérapie directement dans les cellules sans produire les effets négatifs des agents d’administration actuels. On évoque souvent les deux principales méthodes de fabrication des diamants, à savoir la méthode haute pression et haute température (HPHT) ou le dépôt chimique en phase vapeur (CVD), mais les scientifiques ont en fait trouvé d’autres façons de fabriquer des diamants en laboratoire.
Depuis 1797, année où l’on a découvert que les diamants étaient une forme pure de carbone, les scientifiques travaillent et théorisent sur la façon de les fabriquer à partir de formes de carbone plus abondantes. En 1911, l’écrivain de science-fiction H.G. Wells déclinait le concept de diamant synthétique dans une nouvelle intitulée The Diamond Maker. James Ballantyne Hannay et Ferdinand Frédéric Henri Moissan sont les premiers à avoir posé par écrit leurs tentatives de fabrication des diamants, respectivement en 1879 et 1893. J. M. Hannay indiquait avoir chauffé du charbon avec du fer à des températures supérieures à 1900°C, à l’intérieur d’un four à creuset. Le refroidissement rapide du fer a permis d’atteindre la pression élevée nécessaire, en plus de la chaleur déjà fournie.
F. H. Moissan, quant à lui, s’est intéressé à cette idée après la découverte de petits diamants dans un cratère de météorite en Arizona. Il a alors décidé d’utiliser le four à arc électrique qu’il venait d’inventer, dans lequel un arc électrique se produisait entre des tiges de carbone, à l’intérieur d’un bloc de chaux. Pensant avoir découvert une nouvelle façon de fabriquer des diamants, F. H. Moissan avait en fait créé un nouveau matériau constitué de carbure de silicium : la moissanite. La pierre qu’il venait de créer sans le savoir porte toujours son nom aujourd’hui. Lui-même a reçu le prix Nobel de chimie en 1906.
En 1917, Otto Ruff a adapté et répété les expériences de F. H. Moissan et annoncé qu’il avait produit des diamants de plus de 7 mm, avant de se rétracter. En 1926, le Dr J. Willard Hershey, du McPherson College au Kansas, a recréé les travaux de F. H. Moissan et d’Otto Ruff et réussi à créer un diamant synthétique qui est toujours exposé au musée McPherson du Kansas. L’éminent ingénieur Sir Charles Algernon Parsons, qui avait acquis une fortune et une position sociale conséquentes après son invention de la turbine à vapeur en 1884, aurait passé jusqu’à 40 ans et dépensé une part importante de sa fortune pour essayer de fabriquer des diamants. Alors qu’il pensait avoir réussi, en 1928, pour des raisons inconnues, il a publié un article dans lequel il affirmait qu’aucun diamant synthétique n’avait été produit à ce jour et que les autres tentatives « réussies » n’avaient probablement donné que du spinelle synthétique, et non des diamants.
En 1941, General Electric a constitué une équipe pour faire progresser les techniques de synthèse des diamants. Les travaux ont été interrompus par la seconde guerre mondiale mais ont repris par la suite. En décembre 1954, Tracy Hall, de GE, annonçait un processus vérifié et répétable pour synthétiser les diamants. Sa découverte employait une presse à « courroie », capable de produire une pression de plus de 10 GPa et des températures supérieures à 3 630 °F. La presse utilisait un récipient dans lequel du graphite se dissolvait dans des métaux catalyseurs comme le nickel, le cobalt ou le fer qui, en plus de dissoudre le carbone, accéléraient la conversion en diamants. Le plus gros diamant qu’il ait produit mesurait 0,15 mm de diamètre, bien trop petit pour être utilisé en joaillerie mais idéal pour des applications industrielles. C’est la première fois qu’une méthode permettait de produire des diamants synthétiques en masse et GE est devenu pendant de nombreuses années un acteur majeur du développement des diamants industriels. Tracy Hall a, lui, reçu le prix de l’American Chemical Society pour l’Innovation créative.
La société d’électricité suédoise ASEA (Allmänna Svenska Elektriska Aktiebolaget) aurait synthétisé des diamants avant GE, en 1953, mais a gardé le secret sur ses découvertes jusqu’aux années 80. Au cours de cette décennie, un nouveau concurrent est apparu en Corée, une société appelée Iljin Diamond. Elle a été suivie par des centaines d’entreprises chinoises. Iljin Diamond aurait réalisé la synthèse des diamants en 1988 en détournant des secrets commerciaux de GE par le biais d’un ancien employé coréen de la firme.
En 1971, GE a pour la première fois réussi à développer des diamants de qualité grâce à des semences de diamants naturels et à l’aide d’un processus désormais appelé HPHT, qui reste la principale technique de fabrication à ce jour. Des machines qui fonctionnaient pendant toute une semaine ont permis de produire des pierres allant jusqu’à 5 mm (1 carat). Les premières pierres de qualité étaient toujours de couleur jaune à brune, en raison de la contamination par l’azote, et les inclusions étaient fréquentes, notamment avec l’introduction de nickel dans la structure cristalline. Le retrait de l’azote dans le processus par l’ajout d’aluminium ou de titane a permis de produire des pierres « blanches » incolores. Le retrait de l’azote avec ajout de bore a donné des diamants bleus. Comme le retrait de l’azote ralentissait le processus de croissance et réduisait la qualité cristalline, le processus a finalement été engagé avec de l’azote. Après des décennies de prédominance, en 2003, GE a finalement vendu son unité de super-abrasifs à une société de capitaux privés. L’unité a été revendue au Suédois Sandvik en 2007.
Toujours dans les années 70, les scientifiques soviétiques ont tiré parti de l’invention des micro-ondes. Ils ont redécouvert un nouveau minéral ressemblant au diamant et créé par deux minéralogistes allemands en 1937, dont les travaux avaient dû avorter en raison de la seconde guerre mondiale. Les Allemands ont découvert que le minéral apparaissait si peu dans la nature qu’ils ne lui ont même pas attribué de nom. Alors qu’ils tentaient de fabriquer des cristaux de diamants, les soviétiques ont repris le minéral, aujourd’hui appelé oxyde de zirconium, et ont chauffé les pierres à des températures extrêmes en y ajoutant des oxydes de stabilisation pour créer des minéraux cubiques qu’ils pensaient à l’époque être des diamants. Ce qu’ils avaient créé était en fait du zircon cubique (CZ) qui ne deviendrait célèbre qu’à la fin des années 70 lorsque Swarovski & Company a débuté la commercialisation de masse du cristal dans ses bijoux. En 1980, la production mondiale de zircon cubique avait déjà atteint 50 millions de carats par an.
N’oublions pas que la De Beers a également été un acteur majeur du développement des diamants synthétiques dès 1946, lorsque Sir Ernest Oppenheimer a créé Industrial Distributers Ltd. pour se concentrer sur la découverte de nouveaux emplois industriels pour les diamants naturels. À l’époque, il cherchait de nouveaux usages pour les nombreux diamants de qualité médiocre issus des mines de la De Beers qui étaient généralement inutiles et n’avaient pratiquement aucune valeur. En 1960, IDL a développé ses propres méthodes de synthèse des diamants HPHT depuis ses installations en Afrique du Sud. En 1989, la société a réussi à fabriquer des diamants à l’aide de la méthode CVD. En 2002, elle s’est rebaptisée Element Six, en référence au carbone, sixième élément du tableau périodique. Element Six est aujourd’hui l’une des plus grandes sociétés de diamants synthétiques au monde, à la fois du point de vue de la production et comme unité de recherche qui étudie de nouveaux processus pour des applications industrielles et de développement.
Les diamants de laboratoire ont à l’évidence une histoire longue et intéressante. Dans mon prochain article, j’étudierai de façon plus approfondie les méthodes de synthèse des diamants en laboratoire, notamment les nouveaux développements qui pourraient à l’avenir changer la règle du jeu.
Photo © Courtesy of Laboratoire Français de Gemmologie