« Survivre en l’absence de croissance », tel était le thème d’un atelier organisé lors de la récente conférence « Mines to Market » de Mumbai. Le titre résume parfaitement les résultats de l’industrie diamantaire en 2016. L’article complet est publié dans Diamond Intelligence Briefs.[:]
Cinq ans à la suite, les ventes mondiales de diamants taillés, mesurées en prix de gros du taillé (PWP), ont suivi une courbe descendante. Depuis 2011, époque où les ventes ont atteint un sommet avec 22,6 milliards de dollars, ce chiffre n’a cessé de baisser pour atteindre 18,7 milliards de dollars en 2016, enregistrant ainsi une baisse cumulée de 17 %. L’année dernière, les pertes n’étaient que de 3 % par rapport au chiffre de 19,2 milliards de dollars réalisé en 2015. D’après nos modèles économiques, en 2017, les ventes mondiales de taillé seront stables tandis que l’industrie continuera à se réapprovisionner en brut, absorbant confortablement les offres de brut supérieures, déjà annoncées par les grands producteurs.
Un coup d’œil à chaque niveau de la filière
En 2016, les ventes au détail de bijoux en diamants ont légèrement baissé, de 1,3 % environ, pour atteindre 74,3 milliards de dollars. Ce chiffre est toutefois à prendre avec précaution : ces cinq dernières années, à compter de 2011, le contenu moyen en diamants de chaque bijou a baissé. D’ailleurs, cette tendance se poursuit. À cet égard, 2011 a été une année exceptionnellement bonne. Mais, en règle générale, le contenu moyen en diamants (en PWP) représente de 25 % à 28 % environ de la valeur du prix de vente des bijoux. Cette tendance a fortement augmenté entre 2010 et 2013, pour dépasser allégrement les 30 %. Depuis lors, toutefois, elle a de nouveau reculé à environ 27 %. Ainsi, hypothétiquement, si l’on prenait un bijou en diamants vendu le même prix dans deux ans, le contenu en diamants ne serait pas nécessairement le même. Et ce ne serait d’ailleurs pas le cas. En moyenne, il y a eu tout simplement « moins de diamants » dans les bijoux en général. L’or, d’autres pierres ou matériaux précieux, l’aspect créatif, etc. représentent alors une part plus importante de la valeur du bijou.
Après avoir fortement chuté en 2015, la production minière des diamants est presque revenue à la normale pendant les derniers mois de 2016. ALROSA et la De Beers ont ralenti le rythme en 2016 en raison d’importants stocks d’invendus. La production mondiale de diamants a atteint 13,4 milliards de dollars en 2016, contre 15,5 milliards de dollars extraits en 2015. Nous sommes encore loin des 16,5 milliards de dollars produits en 2014. Ces dernières années, les producteurs ont dû stocker les excédents (et ALROSA a accéléré ses ventes au dépôt d’État, le Gokhran, afin d’éviter de trop ralentir l’extraction). Il en est résulté des divergences entre ce qui a été extrait et ce qui a été vendu sur le marché. Par conséquent, les ventes de brut des producteurs au marché, qui ont atteint un sommet en 2014 avec 18,0 milliards de dollars, puis fortement chuté à 13,3 milliards de dollars en 2015, année difficile, ont légèrement augmenté l’année dernière, avec 14,8 milliards de dollars. Selon nos prévisions, les producteurs devraient vendre bien plus de 15 milliards de dollars en 2017 – et ils ont d’ailleurs déjà fixé des objectifs d’extraction supérieurs.
Rentabilité 2016 : la meilleure depuis 2011
Les niveaux de stock de la filière intermédiaire ont augmenté d’environ 1,7 milliard de dollars, passant de 10,6 milliards à 12,3 milliards de dollars en 2016. Par le passé, lorsque l’on étudiait le rapport entre les stocks et les ventes de la filière intermédiaire, on constatait que le niveau des stocks était généralement supérieur. Cela montre que la volatilité des prix du marché limite de plus en plus la volonté de conserver des stocks trop importants, mettant à mal la croyance « historique » que si l’on ne gagne pas d’argent sur le marché, on peut en gagner avec le stock. Ce n’est plus le cas !
La hausse des stocks de la filière intermédiaire en 2016 est intervenue alors que l’industrie diminuait légèrement son endettement bancaire, passant de 14,2 milliards de dollars en 2015 à 14 milliards de dollars à la fin de l’année dernière. Bien que la santé financière de l’industrie semble globalement bonne, certaines (méga) sociétés en difficulté pourraient recevoir de mauvaises nouvelles financières à tout moment. C’est une chose qui se dit depuis longtemps pour plusieurs d’entre elles.
Fausses nouvelles et faits alternatifs
Tacy Ltd. publie un rapport annuel depuis 1988. L’édition actuelle est la 28e d’affilée. Pendant la majeure partie de ces années, il y a eu des divergences mineures entre nos chiffres et ceux présentés par la De Beers et d’autres sociétés minières et organismes d’études économiques concernant les estimations de production minière et de ventes de brut sur le marché. À partir de 2012, nous avons constaté que les données publiées par la De Beers (dans sons rapport Insight, qui fait autorité) présentaient des écarts importants avec nos données, à la fois en termes de production minière et de ventes de brut, et donc aussi en termes de ventes de taillé qui en sont issues. Les chiffres de la De Beers semblent exagérés et incompatibles avec les rapports financiers des producteurs.
Pourquoi est-ce un problème ? Parce que les chiffres de la production diamantaire mondiale de la De Beers présentent la bagatelle de 4,7 milliards à 5 milliards de dollars de plus chaque année que ceux des rapports annuels du Kimberley Process (KP) et du consensus des autres organisations qui ne se contentent pas de copier-coller les chiffres de la De Beers comme s’il s’agissait de parole d’évangile. Et le problème ne s’arrête pas aux valeurs, les volumes sont également concernés. La plus grosse préoccupation sur la valeur de la production de brut est la divergence au niveau du nombre de carats. Les chiffres de la De Beers indiquent une production de près de 15 millions de carats de plus que ceux du KP. Même si l’on peut plus ou moins ergoter sur les différences de valeurs, les écarts en termes de carats laissent tout simplement entendre que le KP a des lacunes. Pour le bien de l’industrie, nous espérons que la De Beers étudiera ces chiffres plus attentivement.
Expliquer les écarts… ou pas
Tacy Ltd. publie chaque année les chiffres de son rapport plusieurs mois avant la collecte et la publication des chiffres de production du KP. Notre estimation de la valeur de production de brut pour 2016 est de 13,14 milliards de dollars. En valeur, cela représente une baisse de quelque 15 % par rapport à notre chiffre de 15,5 milliards de dollars pour 2015. Mais il ne faut pas oublier que les politiques des producteurs consistant à réduire « artificiellement » la production pour se conformer à la demande, annoncées au second semestre 2015, et cette réduction des prix montreront tout leur impact en 2016. Généralement, nos chiffres sont légèrement supérieurs à ceux du KP car nos données s’appuient sur la production par mine – même si nous savons que, dans quelques pays producteurs, deux principalement, les autorités gouvernementales respectives sous-estiment intentionnellement leurs valeurs d’exportation pour des raisons qui leur appartiennent.
Les synthétiques, un jeu sans gagnants ni perdants
Ce qui caractérise 2016 plus que tout autre chose, c’est le comportement agressif des producteurs de synthétiques (diamants de laboratoire) de qualité. La production de taillé du principal producteur de brut synthétique, qui transforme et vend le taillé lui-même ou par le biais de sous-traitants, arrive sur le marché de grande consommation généralement non déclarée – notamment sertie sur des bijoux, là où les chances de découverte sont quasi-nulles. En termes de valeur, nous estimons qu’environ 750 millions de dollars de diamants synthétiques de qualité ont été vendus en 2016. [Ce chiffre représente l’équivalent PWP en diamants naturels car il existe un chevauchement réel avec la demande pour le taillé naturel. Les coûts de production et de vente du synthétique peuvent être considérablement moins importants.] En termes de volume, en particulier pour le mêlé, les quantités de synthétiques non déclarés sur les marchés sont impressionnantes.
La position ambiguë de la filière intermédiaire en matière de synthétiques
Les fabricants de diamants ont tendance à se mettre en quatre pour obtenir la faveur des producteurs de pierres naturelles. Tel est le résultat de presque un siècle d’application du système des sightholders de la De Beers : il ne tient qu’au bon vouloir du producteur de vendre du brut à un fabricant ou à un négociant plutôt qu’à un autre. Les revenus – et les marges – des fabricants de diamants dépendent de la valeur ajoutée qui est créée entre l’achat des matières premières et la vente de taillé qui est issu de l’opération.
L’essor des synthétiques a réduit la mainmise, ou « l’emprise », des producteurs de diamants naturels sur leurs clients. Lorsqu’un fabricant de Surat (ou de n’importe où ailleurs) souhaite optimiser sa valeur ajoutée et ses marges et qu’il est plus rentable pour lui de tailler des synthétiques, il ne voit aucune raison de ne pas le faire. Anglo American ne l’a pas dit si crûment mais la baisse de la demande de diamants naturels qu’elle évoque ne vient pas simplement des consommateurs. Elle est aussi le fait du secteur intermédiaire.
L’impact des synthétiques sur les prix du brut et de l’exploration des diamants
Anglo American a correctement jugé l’impact des synthétiques sur les prix de vente du brut des producteurs de diamants naturels. Dans l’analyse des prix du brut figurant dans la courbe de l’offre réalisée par Pharos Beam Consulting et Tacy Ltd, il semble que les prix du brut actuels soient d’environ 4 % inférieurs aux « prix normalisés », c’est-à-dire au niveau qu’auraient atteint les prix du brut s’il n’y avait pas de synthétiques sur le marché. [La courbe de l’offre est une représentation graphique de la relation entre le prix d’une marchandise ou d’un service et la quantité fournie pendant une période donnée.] Nous pensons que cet écart devrait atteindre 10 % d’ici 2020.
Volatilité des prix et risques – Des craintes pour toute la filière
Le rapport de Tacy propose des chiffres simples. Derrière chacun se cachent des histoires étonnantes et des réalités changeantes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Et dans cette étude, seules les questions marquantes ont fait l’objet de discussions. S’il fallait identifier une crainte majeure partagée par tous les acteurs, ce serait l’énorme volatilité des prix. Il s’agit d’un phénomène assez récent pour une industrie dans laquelle la stabilité des prix (maintenue artificiellement) était probablement l’un de ses plus grands attraits, assurant le confort de toutes les parties prenantes, notamment les gouvernements et les banquiers.
Les bijoux en diamants reculent dans le porte-monnaie du luxe – pour toujours ?
Les bijoux en diamants perdent de l’importance dans le portefeuille des produits de luxe du consommateur. La hausse des ventes de bijoux en diamants est largement à la traîne, derrière l’essor du PIB mondial (nominal). Depuis 2007, les ventes de bijoux en diamants ont brusquement chuté en dessous des indices de l’inflation. Dans notre graphique représentant 17 années, où l’on utilise un indice de 100 (base) pour l’année 1999, les ventes au détail de bijoux en diamants ont augmenté de seulement 130 % alors que le PIB a progressé de 240 %. Le contenu en diamants des bijoux avait augmenté à environ 180 % en 2011 mais a reculé à 150 %. Le marché des bijoux en diamants obtient des résultats médiocres sur quasiment tous les paramètres économiques importants.