S’il y a bien un fait particulièrement évident qui s’est dégagé des campagnes présidentielles américaines de 2008, 2012 et 2016, c’est que la population du plus gros marché au monde pour les diamants et les bijoux a changé et qu’elle continue d’évoluer rapidement.[:] À l’époque où la De Beers a lancé sa célèbre publicité « A Diamond is Forever », à la fin de la seconde guerre mondiale, les États-Unis étaient un pays à population principalement blanche, laquelle concentrait la majeure partie des revenus et des richesses.
Même si les Américains blancs constituent toujours la majeure partie de la population du pays, composée d’environ 325 millions de personnes, le rythme des naissances de ce groupe démographique diminue depuis quelques dizaines d’années et avoisine aujourd’hui les 1,8 %. Parallèlement, les groupes minoritaires ont augmenté : les populations hispaniques et asiatiques affichent un taux de croissance particulièrement fort. On estime aujourd’hui que la population hispano-américaine dépasse les 45 millions de personnes, soit une hausse de plus de 2 % par rapport à 2012, tandis que la population asiatique a dépassé les 20 millions de personnes, avec un taux de croissance de 2,9 %.
Aux États-Unis, le principal facteur de hausse de la population hispanique depuis l’an 2000 est le taux de natalité et cette tendance se poursuit. L’essor de la population asio-américaine est quant à lui principalement dû à l’immigration. Selon une analyse des données du recensement par le Pew Research Center, 74 % des adultes asiatiques en 2012 étaient nés à l’étranger et les migrations internationales représentent environ 61 % du changement total de la population asio-américaine entre 2012 et 2013.
Parallèlement, d’après un rapport de Nielsen, les Afro-américains continuent de représenter une part importante de l’essor de la population américaine. Après avoir augmenté de 21 % entre 2004 et 2014, les Afro-Américains aux États-Unis sont actuellement 46,3 millions, soit 14 % de la population du pays, d’après les informations les plus récentes du recensement américain.
Il n’est pas étonnant que les vendeurs de bijoux et le secteur du détail s’intéressent de plus près aux significations possibles en matière de ventes. Quelles nouvelles stratégies faut-il appliquer pour le secteur de la vente de bijoux aux États-Unis ? Quelles sont les différences, le cas échéant, entre le goût des minorités pour les bijoux et les choix traditionnels constatés depuis la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque la De Beers lançait sa promotion générique des diamants dans le monde entier ?
Bien entendu, le segment traditionnel de la population blanche, issus de pays européens, reste majoritaire. C’est aussi la tranche la plus aisée de la population. Or, ce n’est pas un groupe sur lequel les détaillants vont vraiment pouvoir compter dans les 20 à 30 ans à venir. Et cela entraîne des implications non seulement pour les industries de la publicité et du marketing, mais aussi pour les créateurs de bijoux qui vont devoir commencer à proposer des conceptions plus jeunes, aux accents ethniques.
Un rapport du Pew Research Center prévoit que l’immigration propulsera la population américaine à un total de 438 millions de personnes d’ici 2050, contre environ 325 millions aujourd’hui. Avec cette croissance, le profil racial et ethnique des Américains va continuer de changer et les blancs non hispaniques ne représenteront plus la majorité.
Avec peu d’immigration et une faible natalité, la population blanche non hispanique ne devrait pas beaucoup évoluer, passant d’environ 200 millions de personnes aujourd’hui à 207 millions d’ici 2050. Les trois autres principaux groupes raciaux et ethniques se développeront bien davantage, passant d’environ 95 millions de personnes en 2015 à 228 millions de personnes en 2050. La part des blancs non hispaniques devrait chuter de 65 % à 47 % au cours de cette période de 35 ans. Et les chiffres iraient même jusqu’à baisser d’ici 2050 si l’on ne tenait pas compte de l’immigration.
Les personnes d’origine hispanique représentent 15 % de la population, soit environ 45 millions de personnes. Et malgré le mauvais état de l’économie ces dernières années, le marché des bijoux qui leur est consacré a considérablement augmenté, tout simplement en raison du grand nombre de consommateurs. Les hispaniques aiment vraiment faire des achats et sont moins économes que la population blanche non hispanique. Le marché est bien trop vaste pour que les joailliers ne prêtent pas une attention toute particulière à ce segment de population mais il est également bien trop diversifié pour qu’ils puissent lui appliquer une approche unique.
Certes, l’attention des médias et des politiques se concentre principalement sur le problème social que posent les millions d’immigrants illégaux en provenance du Mexique et d’Amérique centrale, lesquels ne seront peut-être pas en mesure de s’offrir des articles de luxe comme les bijoux avant un certain temps. Pourtant, ces chiffres sont éclipsés par ceux des dizaines de millions d’immigrants légaux et de familles installées aux États-Unis depuis plusieurs générations et qui ont peut-être moins de marqueurs hispaniques culturels, autres que leur nom de famille et les mêmes liens sentimentaux avec leur pays d’origine que les Italo-américains ou les Américains d’origine irlandaise et autres groupes ethniques.
Pour MVI Marketing, un groupe de consultants pour les bijoux qui vient d’achever une étude générale sur le marché de détail des bijoux auprès des Hispaniques depuis 2005, cette question de l’acculturation est encore plus importante que le classement des consommateurs par pays ou par région d’origine, étant donné toutes les différences de culture entre Mexicains, populations d’Amérique centrale, Cubains, Dominicains, Sud-américains et Espagnols en matière d’achats. Le principal axe ethnique de l’étude concernait les consommateurs d’origine mexicaine.
Liz Chatelain, la présidente de MVI, a expliqué que l’étude avait divisé le marché hispanique en trois grandes catégories d’acculturation: « les nouveaux arrivants, les doubles cultures qui ont un pied dans chaque pays et les personnes qui s’identifient comme « Américains avec des ancêtres hispaniques » et qui sont très acculturés. »
Ces trois groupes « diffèrent dans ce qu’ils achètent, les lieux où ils achètent et les montants qu’ils sont prêts à dépenser, a expliqué Liz Chatelain. Il y a par exemple la question de la fidélité aux marques de détail. Les gens qui émigrent en Amérique apprécient davantage les marques de luxe. À mesure qu’ils perdent leur culture, leur fidélité change et ils sont davantage prêts à se tourner vers d’autres options. »
À mesure que les consommateurs hispaniques s’adaptent à la culture américaine dominante, « ils s’intéressent davantage aux diamants mais ne sont pas forcément prêts à dépenser plus, a-t-elle ajouté. [Les immigrants hispaniques] ne viennent pas nécessairement en Amérique avec l’idée de la bague de fiançailles en diamants offerte en cadeau mais ils veulent s’américaniser autant que possible. Ils veulent s’intégrer, s’assimiler, ils veulent donc une bague. »
Certaines chaînes de bijouteries, comme Don Roberto dans le sud de la Californie, s’adressent tout particulièrement aux immigrants et à ceux ayant une acculturation faible à moyenne. « Beaucoup d’opérations se font à crédit, a expliqué Liz Chatelain. Pour le consommateur qui n’est pas ou que faiblement acculturé, c’est un plus car cela les aide à obtenir un crédit. » C’est un avantage qu’il ne faut pas prendre à la légère pour un segment de la population qui a beaucoup souffert des problèmes économiques de ces dernières années.
Daniel’s, une autre chaîne de bijouteries du sud de la Californie, réputée pour servir une clientèle hispanique, vise les consommateurs plus acculturés. Son président, David Sherwood, de Sherwood Management, a averti du danger qui existe à stéréotyper les consommateurs hispaniques. « Lorsque nous regardons nos clients, nous les classons par besoin et par âge, mais nous ne cherchons pas à savoir s’ils sont hispaniques ou pas, a-t-il déclaré. Il n’y a pas de « taille espagnole » pour les diamants, il n’y a pas de « pureté espagnole ». Le client hispanique aime les tailles les plus jolies, comme n’importe qui d’autre. »
David Sherwood admet que les immigrants de première génération peuvent arriver de leur pays d’origine avec des habitudes d’achat et certaines attentes mais il a affirmé que d’autres chaînes comme Don Roberto et La Curacao sont là pour répondre à leurs besoins. «Mais cela est vrai qu’il s’agisse d’un client hispanique, chinois ou coréen. Ils ont en effet d’autres habitudes. Nos clients à nous sont des immigrants de la deuxième génération ou plus. »
Liz Chatelain a souligné que la fidélité à la marque est plus faible chez les consommateurs acculturés d’ascendance hispanique. Parmi toutes les personnes qui ont répondu à l’enquête de MVI, les endroits privilégiés pour les achats de bijoux étaient les grands magasins, choisis par 39 %. Mais les conclusions sont plus intéressantes lorsqu’elles sont divisées par niveau d’acculturation : seuls 12,4 % des consommateurs ayant un faible niveau d’acculturation choisissent d’acheter dans des chaînes de bijouteries nationales ou régionales, un niveau qui passe à 18,7 % pour les doubles nationalités et à 27 % pour ceux ayant un haut niveau d’acculturation. Les chaînes les plus populaires chez les personnes interrogées ont été Kay Jewelers avec 32 %, bien qu’une fois de plus, « plus ils sont acculturés, plus ils y achètent », suivi de près par Zale avec 30 %, Gordon’s avec 14 %, Piercing Pagoda avec 13 % et Helzberg Diamonds avec 11 %.
Les joailliers de tous niveaux qui cherchent à satisfaire les consommateurs hispaniques commencent par profiter d’un avantage important : de nombreuses cultures hispaniques associent les achats de bijoux à toutes sortes d’occasions particulières. La «quinceañera », autrement dit les 15 ans des jeunes filles, est un événement important de la vie mais les naissances, le 21e anniversaire, les obtentions de diplômes au lycée et à l’université, les noces d’or et autres anniversaires de mariage importants et même Pâques peuvent être l’occasion d’acheter des bijoux. Les boucles d’oreilles sont des cadeaux appréciés, tout comme les croix en pendentifs ou les boucles d’oreilles et les médailles religieuses pour Pâques et d’autres occasions religieuses, a expliqué Liz Chatelain.
Le problème reste que le secteur des bijoux néglige en général le marché hispanique, ne cherchant pas à informer ce groupe important de consommateurs, pas même sur des paramètres aussi importants que les 4C. « Quasiment 41 % [des personnes interrogées par l’étude] ont affirmé « ne vraiment pas connaître les 4C », 22 % « ne pas vraiment les connaître » et seuls 18 % « les connaître un peu ou très bien ». Seuls 10 % des personnes faiblement acculturées comprennent ce que sont les 4C. »
Par conséquent, beaucoup de ceux qui ont répondu à l’étude ont affirmé qu’ils achetaient jusqu’à leurs bijoux de bridal dans des magasins de grande consommation comme Wal-Mart « car ils n’avaient pas de véritable connaissance des diamants, a expliqué Liz Chatelain. Je crois qu’ils ne dépensent pas autant qu’ils le feraient s’ils étaient mieux informés. L’industrie rate quelque chose… Le message, pour les diamants, c’est que le consommateur hispanique n’est pas suffisamment informé, il n’est donc pas à l’aise au moment d’acheter et d’investir de grosses sommes d’argent dans cette catégorie de produit. Personne ne prend le temps de leur expliquer les 4C. [Les personnes interrogées] ne savaient même pas que les bijoux pouvaient être assurés. »
La bonne nouvelle, c’est que les achats personnels augmentent chez les consommateurs hispaniques. Associés aux traditions d’achat de bijoux pour des occasions particulières et à la taille croissante de la population hispanique, ils peuvent contribuer à l’essor du marché. Mais cela n’ira pas sans efforts. « Nous n’avons pas aussi bien travaillé que nous le pouvions », a expliqué Liz Chatelain.
Parallèlement, Phil Lempert, du cabinet de recherche Nielsen, affirme que, pour entrer en contact avec les Hispaniques, il faut les voir comme des personnes jeunes, passionnées, axées sur leurs familles car leur taux de croissance est trois fois supérieur à celui de la population globale des États-Unis. Les quelque 55 millions d’Hispaniques américains représentent déjà 17 % de la population du pays, un chiffre à comparer aux 52 millions de personnes de 2013, d’après le bureau du recensement américain.
Deux tiers de la population hispanique ont moins de 35 ans et ils sont en moyenne 10 ans plus jeunes que la population américaine totale. Le montant de leurs dépenses sur toute une vie en fait donc une cible pour les spécialistes du marketing. Leur pouvoir d’achat collectif devrait augmenter de plus de 400 milliards de dollars pour atteindre environ 1 500 milliards de dollars.
Ils sont fiers d’être considérés comme des consommateurs, explique Phil Lempert, et ce sont des consommateurs ambitieux. Ils ont de l’argent et ils aiment le dépenser, qu’ils en aient besoin ou pas. Ils font des achats impulsifs et vivent l’instant présent. Ils dépensent pour des choses qu’ils apprécient, a-t-il fait remarquer. Selon lui, il est important de créer une proposition de valeur pour les consommateurs hispaniques, pas simplement pour votre produit mais aussi pour vos marques et pour votre société. Les sociétés doivent prouver qu’elles s’intéressent aux Hispaniques et que cette population est importante pour elles.
Cette proposition n’est pas forcément simple, comme en témoigne le rapport à la langue. Près de 83 % des Hispaniques, soit 35 millions de personnes, parlent un peu espagnol à la maison ; 76 % des Hispaniques nés aux États-Unis et âgés de 5 à 17 ans parlent espagnol à la maison et 87 % de tous les Hispaniques affirment qu’il est « très ou extrêmement important que les enfants et les petits-enfants parlent espagnol. »