Davy Blommaert, le responsable des prêts diamantaires à la National Bank of Fujairah (NBF) de Dubaï et ancien dirigeant de la Banque diamantaire anversoise (ADB), a récemment pris le temps de parler à Rapaport News.[:] Davy Blommaert s’est exprimé sur le profil de risque croissant du marché diamantaire qui a obligé des établissements comme ADB, Bank Leumi et, encore ce mois-ci, Standard Chartered, à quitter l’industrie, contribuant à l’essor de Dubaï en tant que centre diamantaire.
Rapaport News : Comment est le marché diamantaire à l’heure actuelle ?
Davy Blommaert : J’espère que 2016 sera meilleure que 2015 mais je ne m’attends pas à énormément de croissance. Le premier trimestre a été bon et le deuxième trimestre correct. Nous avons constaté des difficultés dans le secteur diamantaire mais nous devons également considérer cette situation dans le contexte de l’économie mondiale. Par rapport à d’autres matières premières, les diamants s’en sortent bien.
Les sociétés minières ont commencé à agir de façon responsable au quatrième trimestre de l’année dernière, lorsque le marché exigeait de la rentabilité pour le brut. Ils ont réduit l’offre, les prix ont été modifiés et la rentabilité est revenue au début de l’année 2016. Il a également été possible de se défaire d’une partie des stocks de taillé l’année dernière car l’offre était limitée au dernier trimestre. On craignait de relancer la fabrication en 2016, il y a donc eu une sorte d’élan d’achat de brut, mais les miniers continuent d’agir de manière responsable.
Est-ce qu’un possible excédent sur le marché vous inquiète ?
Pour l’instant, le marché est stable. Rien à voir avec le premier trimestre, quand tout le monde est devenu un peu fou au moment de reprendre la production. Le deuxième trimestre est toujours plus tranquille mais je pense que nous avons atteint un équilibre fragile, qui peut durer à condition que les miniers agissent de façon responsable et que le marché n’achète pas du brut à des prix insensés.
Quel a été le rôle des banques dans la hausse de l’offre de brut l’année dernière ?
Je pense que les banques européennes spécialisées ont agi de façon très responsable. Si un client achète du brut et ne cesse de réaliser des pertes, et que nous comprenons qu’il déclare son chiffre d’affaires à la seule fin d’obtenir un financement bancaire, nous nous en séparons. Cela ressemble davantage à un détournement de fonds vers des projets sans lien avec les diamants et ce n’est pas le type de personne avec qui nous voulons traiter.
Existe-t-il un déséquilibre dans le monde des prêts, où l’on aurait certaines banques qui se montrent responsables et d’autres moins ?
Bien sûr que nous constatons des déséquilibres. Nous essayons de maintenir un dialogue ouvert avec d’autres banques pour nous protéger des accidents. Nous nous rendons en Inde tous les trois mois, par exemple, pour comprendre le marché. Je suis tout à fait pour que les banques fassent appel à des spécialistes de l’industrie car cela aide à atténuer le risque. Une personne malintentionnée préfèrera une banque moins au fait de l’industrie, pensant ainsi avoir plus de chances de pouvoir frauder.
Y a-t-il un manque de liquidités sur le marché ?
Je ne pense pas qu’il y ait un manque de liquidités car tous les crédits qui ont quitté l’industrie avec ADB ont été compensés par de nouveaux arrivants, comme nous-mêmes. ADB disposait de 1,5 milliard de dollars de facilités, dont 500 millions de dollars ont déjà été remboursés. Il reste donc environ 1 milliard de dollars toujours en circulation. Une pénurie pourrait survenir lorsque cette exposition arrivera à terme, si elle n’est pas totalement réapprovisionnée. Pour éviter cela, nous ne pouvons qu’espérer que de nouvelles banques arrivent sur le marché. Mais elles doivent le faire de manière responsable, en appliquant leurs propres procédures de due diligence avant de prêter.
La National Bank of Fujairah a-t-elle bénéficié du départ d’ADB ?
Cela nous a donné la possibilité de sélectionner de bons clients à la recherche de financement. Nous ne pouvons servir que des sociétés basées à Dubaï. Pour un groupe international, un simple appel suffit pour décider si vous traitez depuis Anvers ou votre bureau de Dubaï. Si vous optez pour votre bureau de Dubaï, vous pouvez obtenir un financement commercial auprès d’une banque locale, comme NBF.
Quel est l’état du financement bancaire à Dubaï ?
Il y a actuellement trois banques de financement à Dubaï. ABN Amro est la plus grosse, nous arrivons en deuxième position et Emirates NDB en troisième. La totalité du crédit bancaire à Dubaï est d’environ 1 milliard de dollars. Nous sommes relativement nouveaux et n’avons accordé notre première facilité de crédit qu’en juin 2015. Ainsi, en un an, nous avons pu acquérir une part substantielle du marché. Avec un financement qui déserte le marché belge, l’équilibre pourrait basculer en faveur de Dubaï, où le financement reste disponible. Dès lors, nous pensons que les niveaux à Dubaï pourraient égaler ceux de la Belgique d’ici 2020.
Les clients d’ADB envisagent-ils Dubaï comme un choix possible ?
Anvers est la capitale du négoce du brut : elle dispose à la fois des sources de marchandises et du financement. De tous temps, le brut est arrivé à Anvers car la ville est proche de Londres où s’organisaient les sights de la De Beers. Mais depuis que la De Beers a déménagé au Botswana en 2013, Dubaï devient une destination plus commode.
Le brut en provenance d’autres sources, comme l’Angola et le Congo, arrive déjà à Dubaï, alors que celui d’ALROSA et de la De Beers continue d’aller à Anvers car c’est là-bas que se trouve le financement. Dès que le financement changera de lieu, le brut suivra. Je pense que ce changement se produit lentement.
Les banques de Dubaï appliquent-elles les mêmes contrôles de conformité que leurs homologues européennes ?
Les banques de Dubaï sont soumises aux mêmes exigences de conformité que les banques occidentales. Je dirais que nous sommes même plus stricts dans l’application des règles que ne l’était ADB. Nous sommes une banque diamantaire non spécialisée, ce qui signifie que notre service conformité est encore plus attentif à tout ce qui est en lien avec les diamants. Nous savons qu’il existe un risque supplémentaire inhérent à l’activité diamantaire et nous l’atténuons en appliquant toutes les formalités supplémentaires requises de due diligence.
Quel est le profil type de vos clients ?
NBF est l’une des plus grosses banques d’or au Moyen-Orient. Nous avons des clients dans le secteur de l’or et des bijoux et j’amène à la table des négociants de brut, des fabricants et des négociants de taillé. Mon principal objectif concerne les négociants de brut. Bien qu’il n’y ait pas d’activité de fabrication à Dubaï, les grands fabricants indiens possèdent tous des bureaux d’achat sur place.
En quoi l’évaluation du risque diffère-t-elle pour chaque type d’activité ?
Chaque client fait l’objet d’une évaluation adaptée à son modèle d’activité particulier. Certains clients achètent du brut ici et l’expédient en Inde pour fabrication, et vous avez des négociants qui se contentent d’acheter et de vendre sur le marché local. Il y a également des fabricants qui achètent des marchandises, les trient pour prendre ce dont ils ont besoin et négocient le reste. Nous nous faisons fort de vérifier le modèle d’activité de chaque client et d’engager une évaluation précise du risque.
Comment sont vos taux d’intérêt par rapport aux autres centres ?
Les taux d’intérêt dépendent du profil de risque individuel. Cela est dû aux régulations de Bâle. En tant que banque, vous devez attribuer un pourcentage du capital en fonction du profil de risque. Plus le risque est élevé, plus la banque doit apporter de capital. Et plus la banque attribue de capital, plus les taux d’intérêt sont élevés. Il n’y a donc pas de moyenne.
Nous recherchons un rapport intéressant entre risque et bénéfices car nous voulons que l’activité soit durable. Je ne veux pas d’une activité où tous les bénéfices de l’année sont engloutis par un prêt douteux. Ces dernières années, les gens se sont habitués à des taux d’intérêt extrêmement bas. Alors, lorsqu’ils viennent à Dubaï, où les taux sont un peu plus élevés, ils ont un peu de mal à s’adapter.
Selon vous, comment se développera Dubaï dans les années à venir ?
Nous nous concentrons sur l’activité du brut. C’est là que se trouvent les perspectives et les opportunités et c’est là où je constate le basculement de l’activité en provenance d’Anvers. Il y a quelques années seulement, il n’y avait rien à Dubaï, aujourd’hui nous sommes un centre actif. Nous ne sommes pas au niveau des autres centres mais je constate que des entreprises viennent s’installer ici et qu’il y a une opportunité de croissance.