Le paradoxe diamantaire : des grosses pierres vendues plusieurs millions de dollars et des négociants qui ont du mal à gagner leur vie .
Il existe un paradoxe étonnant dans l’industrie diamantaire moderne. D’une part, les grosses pierres suscitent une couverture médiatique d’envergure et un intérêt majeur.[:] D’autre part, à l’autre bout du marché, plus de 99 % des consommateurs n’achètent que des diamants de 1 carat ou moins.
En outre, le secteur est confronté à la conjoncture économique la plus tendue depuis plusieurs décennies, amenant certains prospecteurs à ne plus pouvoir satisfaire les conditions financières des transactions signées. Parallèlement, certains miniers cotés en bourse ont vu le cours de leur action plonger.
Rien qu’en novembre, Lucara Diamond Inc, un producteur de taille moyenne, a annoncé avoir découvert un diamant brut de 1 111 carats au Botswana, estimé à au moins 60 millions de dollars, ainsi que deux autres gros diamants de plus de 300 carats et 800 carats respectivement. La pierre de 1 111 carats est la deuxième plus grosse jamais extraite, après le diamant Cullinan de 3 106 carats.
En novembre également, Sotheby’s a mis aux enchères le diamant Blue Moon de 12,03 carats pour 48,5 millions de dollars, établissant ce que la maison d’enchères a qualifié de record mondial pour un diamant, quelle que soit sa couleur. Le diamant IF a été vendu par Sotheby’s Genève le 11 novembre, battant le précédent record établi avec le diamant Graff Pink de 24,78 carats, vendu par la maison d’enchères pour 46,2 millions de dollars dans cette même ville en 2010.
La veille, Christie’s avait cédé le diamant rose Sweet Josephine de 16,08 carats pour 28,6 millions de dollars lors de ses enchères à Genève.
Tous ces événements ont donné lieu à une importante couverture médiatique dans le monde et tourné les projecteurs vers les diamants, un facteur non négligeable alors que la demande de diamants recule partout dans le monde. Mais sont-ils vraiment significatifs pour l’industrie diamantaire mondiale ? Combien de personnes enchérissent sur de tels diamants ? À l’évidence, rares sont ceux capables de s’offrir des diamants aussi spectaculaires.
D’autres problèmes se font jour. Ainsi, Paragon Diamonds, qui gère la mine de Lemphane au Lesotho, a été temporairement suspendue de l’Alternative Investment Market de Londres pour des problèmes financiers. La société a vu ses actions chuter d’un tiers cette année et a dû renégocier les conditions de sa dette de 750 000 dollars. Parallèlement, elle tentait de lever plus de 15 millions de dollars, principalement par l’endettement, pour acheter à Lucara la mine de Mothae, près du projet de Lemphane, pour 6,5 millions de dollars, puis pour développer les deux projets.
Prenez également Petra Diamonds, dont les actions ont chuté à la bourse de Londres, passant de 2 £ à 0,67 £ en 2015. La société a extrait moins de diamants de qualité supérieure et doit aussi supporter des coûts opérationnels en hausse et la chute des prix des diamants. D’autres miniers, comme Gem Diamonds et Firestone Diamonds, qui exploitent tous deux des mines au Lesotho, ont vu le cours de leurs actions vaciller.
Les investisseurs sont apparemment peu enclins à placer de l’argent dans des sociétés qui pourraient extraire un diamant spectaculaire à l’occasion, mais dont les marchandises de base ne trouvent pas preneur.
Parallèlement, des centaines, voire des milliers de fabricants et de négociants dans les grands centres d’échange du monde sont assis sur des millions de carats de taillé pour lesquels ils ne trouvent pas d’acheteurs. Après avoir acheté du brut à prix élevé en 2014 et 2015, ils ne sont pas prêts à se débarrasser des marchandises transformées aux prix actuellement pratiqués.
Que nous réserve l’avenir ? Apparemment plus ou moins la même chose. Christie’s et Sotheby’s préparent déjà leurs prochaines enchères de diamants spectaculaires et de pierres de couleur. Les sightholders de la De Beers ne sont toujours pas prêts à acheter des marchandises et sont satisfaits de pouvoir reporter leurs attributions autant que possible, les prix constatés lors des tenders n’étant pas vraiment époustouflants. Et malgré le fait que les fabricants, en particulier en Inde, aient réduit leur production pour tenter d’assécher le marché et de lancer une dynamique ferme pour les prix du taillé, les marchandises ne sont pas prêtes de sortir de leurs coffres. L’année à venir ne s’annonce pas beaucoup plus facile que 2015 mais espérons qu’elle apporte au marché un répit bien nécessaire.