Après une plongée dans l’univers de la De Beers, rendez-vous avec ALROSA, « deuxième » plus grand minier en diamant. [:]Au nombre des signataires de la Diamond Producers Association, le russe ALROSA est aujourd’hui considéré – depuis 3 ans environ – comme le plus grand fournisseur de diamants bruts au monde (près de 34 millions de carats par an).
Si la De Beers apparaît effectivement toujours comme le plus grand minier en valeur, ALROSA est aujourd’hui le plus grand fournisseur de brut au monde en volume. Sa part s’élèverait environ à 28 % de la production mondiale de diamants bruts. Et, sur son site, le groupe annonce extraire plus d’un tiers de la production mondiale de diamants bruts. En 2014, la donne a encore évolué selon les chiffres très récemment actualisés du Kimberley Process. La Russie, par le biais d’ALROSA évidemment, est devenue le premier pays producteur de diamants au monde, devançant ainsi le Botswana, en volume ET en valeur.
Mais ALROSA, en plus d’être le challenger de la De Beers, est également un minier singulier : il peut compter sur le soutien effectif du gouvernement russe, ce qui le distingue indiscutablement de ses concurrents mondiaux. Enfin, en 2013, le minier russe avait clairement annoncé, par la voix de Igor Sobolev, premier vice-président et directeur exécutif, ses objectifs futurs : ALROSA entend bien dominer le marché d’ici 2018 et déloger la De Beers de sa position de leader historique…
Revenons un peu sur son histoire, nous y verrons peut-être un peu plus clair.
ALROSA, une « jeune » société à la croissance fulgurante ?
ALROSA est une société publique dont les principaux actionnaires sont la Fédération de Russie (un peu plus de 43 %) et la République de Yakoutie (nord-est de la Sibérie ; un peu plus de 25 %). Son actuel président Andrey Zharkov a été élu le 23 avril 2015 à la tête de la compagnie, succédant ainsi à Fiodor Andreev (décédé) qui avait été nommé par Vladimir Poutine. Andrey Zharkov officiait, de 2010 à2015, pour le Gokhran*.
L’essentiel de la production diamantifère d’ALROSA se situe en Yakoutie, et c’est ALROSA qui extrait la majorité des diamants présents sur le territoire russe (95 à 97 % environ selon les chiffres les plus communément admis).
Même si les prémices de l’extraction diamantifère russe peuvent remonter plus avant dans l’histoire, celle-ci ne deviendrait significative pour la vie économique du pays qu’à compter des années ’50. C’est à cette époque qu’est découverte la mine de Zarnitsa en Yakoutie. En 1955, ce sont les mines – toujours très importantes – de Mir (Mirny) et d’Udachny (Oudatchni) (elles ont été mises en exploitation bien plus tardivement.) Ces découvertes sont les premières d’une longue série et la prospection voit fleurir de nombreux gisements prometteurs sur les terres russes, en Yakoutie particulièrement (aujourd’hui, ALROSA extrait plus de 30 millions de carats en Yakoutie, 34 millions en 2013 pour information.)
En 1957, la société d’extraction minière Yakutalmaz Trust est alors créée pour mettre en place son premier programme d’extraction et de commercialisation de diamants. Petite parenthèse ici : il faut tout de même noter que, au vu des conditions et contraintes climatiques en Sibérie, les coûts de l’extraction minière y sont très élevés ! En 1959, les premières exportations notables de diamants russes voient le jour. En 1959 toujours, « Yakutalmaz Group of Company » devient Yakutalmaz Production and Scientific Association. Les investissements dans les différents projets miniers (extraction, hautes technologies, filiales) et leur développement rapides sont une aubaine pour la République de Yakoutie.
En février 1992, la société par actions ALROSA Company Limited est fondée par décret du président russe (Décret 158C), rassemblant entre autres les activités de production (Yakutalmaz) et de recherches.
Dans les années qui suivent, ALROSA entame de vastes programmes de prospection et s’associe à des consortiums miniers en Afrique (Catoca en Angola par exemple). Tout en restant tournée vers l’extraction et le commerce des diamants bruts, ALROSA poursuit une politique de développement à l’international, créant – à l’image de la De Beers avec qui elle a noué un temps (avant d’être rattrapée par les lois anti-concurrence) des partenariats commerciaux – des unités de vente (L’Organisation de vente unifiée/United Selling Organisation) et d’évaluation de ses diamants.
À compter des années 2000, elle développe des activités de taille, toujours dans l’idée de soutenir sa production de diamants bruts.
ALROSA est cotée à la bourse de Moscou depuis le 28 octobre 2013 (16% des actions de l’entreprise ont été vendues et près de 41,3 milliards de roubles récoltés – environ 900 millions d’euros.)
Perspectives de développement = conquérir le monde !
L’activité d’ALROSA reste bel et bien concentrée sur l’extraction et la vente de brut. Ses activités de taille sont donc accessoires. La société s’appuie sur le Gokhran*, une institution de l’État russe, dépositaire de pierres et métaux précieux. Si son brut ne trouve pas d’acheteur, les pierres peuvent être acquises par le Gokhran, ce qui met le minier à l’abri des vicissitudes du marché comme c’est le cas actuellement. Notez cependant que, malgré les difficultés de la situation dans l’industrie du diamant en 2015 et la pression qui pèse sur les miniers, ALROSA prétend ne pas avoir vendu de brut au Gokhran cette année.
ALROSA, comme la De Beers, gère ses clients via des contrats d’approvisionnement à long terme, le système ALROSA Alliance. La société leur attribue d’ailleurs le logo ALROSA Alliance, qui leur permet de justifier de leur accréditation, de la qualité des gemmes qu’ils se procurent et de leur respect des normes « responsables » prônées par le minier. Une autre partie du brut d’ALROSA est vendu sous forme d’enchères, les Specials. Ses pôles de vente sont sis dans de grands centres diamantaires : Anvers, Ramat Gan, Dubai, Hong Kong, New York et Londres.
ALROSA est aussi essentielle que la De Beers pour assurer aux négociants en diamants une offre qualitative et diversifiée.
Pour revenir sur les chiffres récents, en 2014, la société a produit 36,2 millions de carats de diamants bruts et en a vendu 39,6 millions (chiffres de la société). En volume, 65 % de leur production seraient des diamants de qualité gemme ou semi-précieuse, ce qui revient à près de 95 % de la valeur de la production d’ALROSA.
On a annoncé une baisse de l’offre diamantaire d’ici une vingtaine d’année, correspondant à un certain épuisement des gisements actuels notamment. Or, il est intéressant de constater que les ressources d’ALORSA ne devraient pas se tarir à si court terme, selon les recherches et prospectives du minier russe. Ses ressources s’élèveraient à près de 600 millions de carats (plus d’1 milliard selon certains chiffres), soit quelques années de tranquillité en perspective. Rappelons qu’en plus de la Russie, le minier possèdes des mines ou des participations dans celles-ci au Zimbabwe, au Botswana et en Angola. Qui plus est, ALROSA prolonge la durée de vie de ses mines en exploitant leurs parties souterraines…
En ce milieu d’année 2015, où les prix du brut subissent une forte pression à laquelle la De Beers a fini par céder lors de son sight de juillet (fait historique, non ?), ALROSA n’a pas baissé sa production, considérant que le coût d’une interruption ou de la fermeture d’une mine ne serait pas rentable. Or, on s’en rappelle, la rentabilité reste l’objectif principal. Mais, si la société n’a baissé qu’une seule fois ses prix en 2015, ses stocks s’accumulent et elle doit faire un geste vers les négociants, prouvant qu’elle comprend leurs difficultés. Le minier devrait donc baisser ses prix de 10 % environ lors de sa vente de septembre, mais en maintenant un volume important.
À la lumière de son histoire (récente) et de sa stratégie, on peut s’étonner de la participation d’ALROSA à la Diamond Producer Association ? Mais, quand on prévoit d’être le plus grand minier au monde, il paraît aberrant de ne pas s’associer à un projet d’une telle envergure, rassemblant les représentants du secteur. Ensuite, ALROSA a besoin de conserver son avance et sa position prépondérante, tout en gardant cette influence sur les prix qu’elle se partage avec la De Beers. Enfin, à défaut de tabler sur une augmentation de la demande des consommateurs – les chiffres actuels nous en font largement douter – il sera nécessaire pour ALROSA que cette demande, au minimum, se maintienne…
* Le Gokhran est responsable de l’achat, du stockage, de la vente et de l’utilisation de métaux précieux, de gemmes, de bijoux et de minéraux qui dépend du ministère russe des Finances.
Photos : source ALROSA website.