L’industrie diamantaire continue d’être confrontée à des épreuves qui nécessiteraient un sérieux plan de sauvetage. Les miniers commencent à réagir à la crise en adoptant des mesures qui apporteront un soulagement, même s’il n’est que temporaire. [:]
Les miniers commencent à réagir face aux difficultés des fabricants
Ces derniers jours, certains des grands miniers et fournisseurs ont réagi en adoptant des mesures fortes face à la crise qui secoue l’industrie. Dans un message adressé aux sightholders, la De Beers a affirmé savoir « que la saison est traditionnellement calme pour les échanges » et elle leur a proposé de reporter jusqu’à 25 % supplémentaires de leur attribution totale (à l’exception des boîtes hors programme complètes).
Ce qui est intéressant, c’est que, à la différence des reports ordinaires, qui doivent être demandés à l’avance, ces reports supplémentaires peuvent être décidés au moment du sight. De cette façon, les sightholders peuvent d’abord examiner les marchandises, en étudier le prix (qui n’est divulgué que pendant le sight) et faire leur choix à ce moment-là : accepter, refuser ou reporter la boîte.
Le sight 6 est estimé entre 600 et 650 millions de dollars, d’après les ITO. Avec les reports déjà demandés (estimés à 25 %), ces nouveaux reports pourraient donner un sight diminué de moitié, entre 300 et 325 millions de dollars environ, avant les marchandises spéciales et hors programme. Il y a eu très peu de demandes pour des marchandises hors programme.
Pour l’heure, on ne sait pas si la De Beers réduira ses prix au-delà des ajustements ordinaires ou même si elle est disposée à le faire. À ce jour, elle a plutôt eu tendance à baisser les prix lentement. Le marché apprécie car personne ne veut voir la valeur de son stock plonger, mais les professionnels aimeraient que le rythme des baisses s’accélère un peu.
Les reports supplémentaires constituent une mesure importante de la De Beers mais cela laisse malgré tout une offre volumineuse sur le marché. Selon certains initiés, le marché n’a besoin que de 250 millions de dollars de marchandises pour répondre aux commandes en cours.
Un connaisseur du marché a suggéré que la De Beers pourrait proposer des Specials – du brut de 10,8 carats ou plus – aux sightholders, à un prix qui leur permettrait d’obtenir des marges élevées, disons de 50 %. La De Beers l’a déjà fait, ce qui est une manière pour elle de proposer des remises. La marge globale sur ces marchandises était suffisamment élevée pour que cela génère des profits.
C’est une bonne idée, notamment parce que cela ne dévalue par les stocks de brut existants. En revanche, la De Beers doit avoir des Specials à disposition. Par nature, ces marchandises sont rares. En outre, cela signifie que la De Beers devra être prête à renoncer aux bénéfices qu’elle peut elle-même obtenir en vendant des Specials au prix fort.
ALROSA et Rio Tinto agissent
Le fournisseur russe ALROSA réagit également aux infortunes du marché, en autorisant jusqu’à 20% de refus et 20% de refus supplémentaires en juillet. Les clients peuvent aussi choisir de reporter jusqu’à 30 % de leur attribution. ALROSA a également informé ses clients qu’elle ne réduirait pas ses prix, sauf sur plusieurs grosses marchandises.
Comme pour la De Beers, les reports se feront sur le mois d’août, ce qui signifie que le chaos d’une offre volumineuse est évité, ou du moins retardé jusqu’au mois d’août.
Pour sa part, Rio Tinto a décidé d’emprunter un chemin différent. La société aurait baissé ses prix, puis proposé à ses clients de ne pas acheter pendant deux mois. En raison de la baisse des prix et de l’offre relativement réduite de Rio, les négociants prévoient d’assister à la semaine de vente et probablement d’acheter certaines marchandises – en fonction de leurs véritables besoins.
Des prix élevés pour Dominion ?
Il y a quelques semaines, Dominion a organisé un tender de découverte des prix. Il s’agit d’un outil servant à déterminer les prix de son brut. Dans les semaines qui ont suivi le tender, les prix du brut ont de nouveau baissé.
La question que les clients de Dominion se posent pour l’heure est la suivante : la société va-t-elle s’en tenir aux résultats du tender ou baisser ses prix ? La décision pourrait avoir un impact sur la quantité de marchandises qui seront achetées.
L’austérité diamantaire
Il serait faux de dire que ce qui se passe dans le secteur intermédiaire de la filière imite les événements de la Grèce. Toutefois, on peut faire quelques parallèles. La situation en Grèce menace d’entraîner l’économie et les banques européennes dans un chaos encore plus fort et il en va de même du secteur de la fabrication face à l’industrie diamantaire.
Les dictionnaires donnent plusieurs définitions du mot « austérité ». Investopedia propose cette définition simple : « une situation de baisse des dépenses et d’économies accrues sur le secteur financier », ce qui semble être la meilleure description de la situation.
En quelques mots, la Grèce a été mal gérée, elle a permis à de grands monopoles et à des groupes de pouvoir de décider d’un grand nombre de sujets économiques, tout en empruntant lourdement pour joindre les deux bouts. Avec les retombées de la crise économique de 2008, la Grèce était au bord du gouffre financier, et elle a été obligée d’engager des mesures d’austérité.
Du point de vue des banques, la Grèce doit rembourser l’argent emprunté. Or, le débat fait rage quant à savoir qui est en tort, qui doit payer, combien faut-il rembourser, quelles sont les mesures nécessaires pour sauver l’économie du pays et qu’est-ce que le terme « sauver » signifie exactement.
La plupart des fabricants de diamants sont très endettés et noyés sous leurs engagements envers les banques. Cela en a amené beaucoup à travailler dans le seul but de garantir leurs lignes de crédit, afin que les banques constatent qu’ils continuent à exercer, pour que le cycle se maintienne. C’est, en partie, de là que vient la perte des transactions de brut.
Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel et orateur principal durant la conférence diamantaire d’Anvers en 2007, a indiqué dans un article cette semaine : « Bien que ce soient les conditions que l’Europe a imposées à la Grèce qui ont entraîné sa crise, la Grèce a peu profité de cet argent – près de 90 % sont allés aux créanciers… »
Malheureusement, il en va de même du secteur de la fabrication de l’industrie diamantaire. Le gros des produits issus de la vente de taillé sert à rembourser les banques qui ont fourni le crédit permettant d’acheter le brut – ainsi que les intérêts sur ces crédits.
L’absence de marketing générique à une extrémité de la filière et un brut totalement déconnecté à l’autre extrémité sont deux facteurs importants de l’étranglement que l’on connaît. Mais les fabricants doivent aussi se souvenir qu’ils y sont pour quelque chose.
«C’est tout à fait commun : la plupart des plans de sauvetage (comme celui du Mexique) ne sont pas des plans de sauvetage du pays mais plutôt des banques occidentales qui n’ont pas réalisé de vérification préalable adéquate», a ajouté Joseph Stiglitz en évoquant les causes de la crise en Grèce. Une fois de plus, nous pouvons tirer un parallèle avec le secteur de la fabrication de l’industrie diamantaire.
Certains acteurs de la section intermédiaire de l’industrie étaient prêts à réaliser des achats qui n’étaient pas logiques économiquement, ne créaient pas de valeur et ne reflétaient pas des pratiques saines à long terme. Pourtant, les fournisseurs – de brut, d’argent, etc. – étaient prêts à fermer les yeux. Ils ont tendu une longue corde qui se terminait par un nœud coulant. Pas étonnant que certaines sociétés aient l’impression d’être au pied de la potence.
Les mesures engagées par les grands fournisseurs sont satisfaisantes et nécessaires mais il aurait fallu les mettre en place avant. Peut-être ne pensaient-ils pas que la situation s’était autant dégradée, mais il est inutile de les blâmer a posteriori. Au mois de juillet, les miniers proposeront moins de marchandises, les fabricants seront un peu soulagés et au mois d’août, toute cette saga aura pris une toute autre ampleur. L’austérité diamantaire va durer pendant un moment.