La récente création de la DPA (Diamond Producers Association) par les 7 principaux miniers en diamant a été très bien accueillie par le secteur. Ces derniers, qui couvrent près de 70 % de la production mondiale, envisagent, avec un budget de départ de 6 millions d’euros[:], de soutenir le développement du secteur des diamants, parler d’une seule voix au nom des producteurs, soutenir la publicité générique, défendre [leurs] intérêts et l’image des diamants auprès des consommateurs.
Face aux enjeux, aux changements et aux difficultés que connaît l’industrie du diamant ces temps-ci, l’initiative a de quoi séduire. Pour comprendre les bouleversements actuels et l’importance des miniers, il est important de se pencher sur les principaux producteurs de diamants et l’impact de chacun sur notre industrie. Rubel & Ménasché a donc décidé de vous proposer une série d’articles en plusieurs volets présentant les principaux miniers en diamants.
Aujourd’hui, revenons sur l’histoire et la stratégie du producteur historique de diamants : la De Beers.
De Beers, l’oligarchie du diamant
– le premier actionnaire de la De Beers est Anglo American (85 %).
(Jusqu’à l’année 2013, la famille Oppenheimer détenait 40 % de la De Beers et Anglo American 45 %).
– le deuxième actionnaire est le gouvernement de la République du Botswana (15 %).Principales filiales : Global Sightholder Sales, Auction Sales, Namibia DTC, Forevermark, Debswana DTC, Sightholder Sales South Africa, De Beers Diamond Jewellers, Element Six (création de diamants synthétiques)…
À ce jour, si on devait évaluer la part de la De Beers sur le marché des diamants bruts, elle s’élèverait à 35 %- 40 %. La notoriété de la société – et rien qu’en cela elle est déjà exceptionnelle ! – dépasse le cadre de l’industrie du diamant.
Fondée officiellement le 12 mars 1888 par l’aventurier britannique Cecil Rhodes pour exploiter les mines sud-africaines (il fusionne ses parts dans de nombreuses mines avec celles de ses concurrents, les frères Barnato), dont la célèbre mine de Kimberley – découverte en 1871, peu après la De Beers Mine – la De Beers Consolidated Mines Limited connaît un succès fulgurant. Des accords commerciaux sont signés avec des marchands du London Diamond Syndicate qui se chargent d’écouler l’ensemble de la production de la De Beers. À l’époque, la société détient la propriété de quasi toutes les mines d’Afrique du Sud et contrôle rapidement 90 % des diamants bruts vendus dans le monde. En 1926, Ernest Oppenheimer, artisan de l’hégémonie de la De Beers, déjà propriétaire de mines de diamants et fondateur de the Anglo American Corporation, qui développe des mines d’or en Afrique du Sud, entre au conseil d’administration de la De Beers. Il en prend la présidence en 1929.
Quelques années plus tard, la De Beers fonde la DTC, Diamond Trading Company, filiale londonienne de distribution des diamants bruts, et contrôle très rapidement l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Dans la continuité de ces démarches, la CSO, Central Selling Organisation, voit le jour dans les années ’30 et se charge de mettre en place des pratiques commerciales anticoncurrentielles.
C’est ainsi qu’au fil des années, la De Beers dessine son monopole : en contrôlant la production mais aussi la vente et les prix des diamants bruts. Elle investit dans la recherche et la prospection, découvre des gisements de diamants dans d’autres pays d’Afrique. Dans les années 1980, alors à son apogée, elle représente encore 80 à 85 % de la production de diamants bruts mondiale. L’avantage de cette situation est indéniable pour l’industrie du diamant, à qui elle permet, en contrôlant la concurrence, de jouir d’un marché extrêmement stable.
1947 est également une année charnière dans l’histoire de la De Beers et de l’industrie du diamant. Une jeune rédactrice américaine, employée dans une grande agence de publicité, invente le slogan le plus célèbre de l’histoire du diamant « A Diamond is Forever ». C’est aujourd’hui encore l’un des meilleurs slogans publicitaires jamais inventés et sa symbolique continue à être associée au diamant, pierre symbolisant l’amour éternel, l’engagement et le mariage dans l’imaginaire collectif. La De Beers lance ainsi la publicité générique (dont le manque, aujourd’hui, fait tant et tant débat !) visant à promouvoir le diamant, projet qui portera l’industrie du diamant de nombreuses années durant.
Dans les années ‘90-2000, le monopole de la De Beers s’étiole petit à petit ; les états africains commencent à nationaliser leurs mines. De nouvelles sources d’approvisionnement en diamants sont découvertes dans le monde. La De Beers fait alors évoluer sa stratégie commerciale et de développement, diversifie encore plus ses activités.
En 1998, elle crée une nouvelle filiale : Forevermark, une « marque de diamants », spécialisée dans la certification de diamants de grande qualité, sur la surface desquels sont gravés le logo Forevermark ainsi qu’un numéro d’identification. En 2008, la marque de joaillerie Forevermark voit le jour.
Cette période correspond à une baisse de la demande des diamants par les consommateurs et, en 2006, le succès du film Blood Diamond, n’arrange rien.
Au début des années 2000, la De Beers compte parmi les participants à la création du Kimberley Process, qui vise à lutter contre les diamants du conflit.
À cette époque, la De Beers met en place son programme Supplier of Choice (SoC) : ainsi, elle ne contrôle plus l’approvisionnement de brut à l’échelle mondiale, mais s’assure la demande et la vente de sa production, à l’aide de la DTC londonienne, bras armé de ce programme. La De Beers met donc en place le système des acheteurs privilégiés, les Sightholders. Elle signe des contrats d’approvisionnement de 3 ans avec « ses » Sightholders, clients qu’elle a sélectionnés, et leur attribue 90 % de sa production lors de sights, sur la base d’ITO – intentions de vente (contrats négociés où les besoins de chacun sont évalués.) Pour chaque sight, les prix sont ajustés en fonction des catégories.
En 2001, elle s’associe à Louis Vuitton Moët Henessy, très grand groupe de luxe français, pour fonder sa propre Maison de joaillerie : De Beers Diamond Jewellers (DBJD).
En 2011, Anglo American rachète les parts de la famille Oppenheimer et devient ainsi actionnaire majoritaire de la De Beers à hauteur de 85 %.
2013 marque un tournant pour la De Beers. Ses activités de vente de diamant brut, prises en charge par la DTC, quittent Londres pour le Botswana et deviennent les Global Sightholder Sales. Cette démarche s’inscrit dans une politique de retour sur bénéfices à destination des pays producteurs de diamants.
L’actuelle période de contrats (127 sociétés individuelles bénéficient du titre de Sightholder ou Accredited Buyer) a débuté en mars 2015 et aura cours jusqu’en mars 2018. Pour devenir Sightholder, il faut justifier d’une demande de brut suffisante et se conformer aux principes de bonnes pratiques de la De Beers en matière de performances éthiques, ainsi qu’aux normes internationales d’information financière (IFRS).
La De Beers vend également une partie de sa production aux enchères via le programme De Beers Auction Sales.
Ces dernières années, la De Beers a continué à évoluer et à aller de l’avant. Elle a mis en place un nouveau programme, celui des Clients Accrédités. Inauguré officiellement au lancement du nouveau programme d’ITO de mars 2015, le système des Acheteurs Accrédités vient compléter celui des Sightholders et des ventes aux enchères. Ces Clients Accrédités doivent se positionner, peu avant le sight, sur les marchandises hors programme et donner un certain nombre de garanties.
Autre initiative notable de la De Beers, celle, avec son programme International Institute of Diamond Valuation (IIDV), d’intégrer le marché des diamants recyclés, qui sont une composante du marché américain de la joaillerie.
En 2014, la De Beers lance l’AMS, appareil automatisé de détection de mêlées, qui doit favoriser la détection des diamants synthétiques.
Elle a également publié, en septembre 2014 toujours, un rapport très médiatisé Diamond Insight, qui livre son analyse « d’expert » sur les défis et challenges auxquels l’industrie du diamant doit faire face.
Récemment, la De Beers a, dans un communiqué de presse daté du 28 mai 2015, annoncé qu’elle relançait son slogan mythique, à la faveur de ses bijoux Forevermark, dont elle entend faire croître l’importance. Ou dont elle entend se servir comme d’un outil pour stimuler la demande de diamants auprès des consommateurs ! Auparavant la De Beers avait fait connaître son désir de promouvoir un marketing de marque… À voir comment elle entend concilier ceci avec la volonté de la DPA de promouvoir la publicité générique, même si l’un n’empêche pas l’autre.
Mais ces évolutions ont toujours un seul but, celui d’améliorer la rentabilité de la De Beers et de répondre aux exigences de son actionnaire principal. Et non à celles des sightholders, avec qui le dialogue s’est tendu ces deux dernières années, et dont elle n’entend pas « tenir la main » éternellement. Lors de la dernière Assemblée des Présidents, qui s’est tenue à Tel Aviv du 14 au 16 juin 2015, Monsieur Mellier, PDG de la De Beers a clairement exprimé le point de vue du groupe : « Le monde a changé et il ne fera pas marche arrière. L’industrie aussi a changé et nous ne la ramènerons pas à son état initial. N’essayez pas, vous n’y arriverez pas. » […] « Chacun de nous doit observer les changements auxquels nous assistons par le prisme des objectifs et des attributs de sa propre société… Nous devons tous gagner nos propres marges » (Andrey Zharkov et Philippe Mellier s’expriment lors de l’Assemblée des Présidents – Danielle Max, Idexonline).
La De Beers, loin de regarder vers l’arrière, entend bien adapter sa stratégie à un marché du diamant en constante évolution. Et pour garantir une position qui, si elle n’est plus celle de leader, reste dominante, elle sait que, aujourd’hui, être un « simple » fournisseur de brut ne suffit pas. Intégrité du produit, éthique, valeur financière et émotionnelle, sont les maîtres-mots de sa stratégie de développement et les piliers de sa philosophie commerciale.
Son implication dans la toute neuve Diamond Producer Association s’inscrit donc tout à fait dans une logique de développement résolument tournée vers l’avenir, au sein d’une industrie du diamant en plein changement.
Deux articles d’Avi Krawitz qui devraient vous aider à y voir plus clair :
– La proposition de valeur de la De Beers
– Agir sur le changement