Bien que les ventes de bijoux sur Internet continuent d’augmenter aux États-Unis, les joailliers adaptent leurs stratégies. Ils considèrent désormais le manque de rentabilité, des perspectives limitées chez les consommateurs et une législation imminente dans la sphère du commerce en ligne.[:]
Les ventes de bijoux en ligne ont rapidement augmenté aux États-Unis ces dernières années. Pourtant, les observateurs remarquent que les faibles marges bénéficiaires et la réticence des clients à acheter des bijoux en ligne n’ont pas permis à Internet de devenir un support commercial majeur pour les joailliers.
« De nombreux clients ont encore besoin de voir la pierre, de la toucher, d’en tomber amoureux, et pas simplement d’étudier ses caractéristiques », explique Susan Posnock, directrice des affaires publiques et de l’éducation pour Jewelers of America, une association commerciale américaine de haute joaillerie. « Ils veulent aller chez un détaillant capable de les rassurer sur leur achat. »
Une grande part de l’effervescence autour des ventes de bijoux en diamants sur Internet est due à l’essor explosif constaté ces dernières années. La De Beers estime que 13 % des achats de bijoux en diamants réalisés par des femmes aux États-Unis ont été effectués en ligne en 2013, contre 5 % environ en 2006.
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Susan Posnock remarque que les ventes sur Internet augmentent non seulement pour les joailliers uniquement présents en ligne, mais aussi pour les détaillants de bijoux traditionnels. Ces derniers proposent d’acheter en ligne pour satisfaire leurs clients et rester dans la course, quel que soit le moyen choisi par les consommateurs pour acheter, explique-t-elle. Pourtant, McKinsey & Company lance un avertissement : malgré cette croissance, le commerce électronique ne représentera qu’une faible part des ventes totales de bijoux durant la décennie. Au terme d’une enquête réalisée auprès de 20 grands dirigeants de joaillerie, le cabinet de conseil a conclu qu’en 2020, le commerce électronique représenterait 10 % maximum des ventes de haute joaillerie et 15 % des ventes de bijoux de mode dans le monde.
Bien que les grands joailliers américains vendent tous sur Internet, Simeon Siegel, analyste chez Nomura Securities, considère qu’ils sont au fait de ces limites. En effet, les ventes en ligne ne représentent qu’une très faible part du total de leurs revenus. Signet Jewelers, le plus grand joaillier spécialisé aux États-Unis, a indiqué que ses ventes en ligne avaient représenté moins de 4 % de son chiffre d’affaires total aux États-Unis en 2014, d’un montant de 3,52 milliards de dollars. Il précise également que 30 % à 40 % de ces clients connectés viennent chercher leurs achats à la boutique.
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« En 2020, le commerce électronique représenterait 10 % maximum des ventes de haute joaillerie et 15 % des ventes de bijoux de mode dans le monde. »
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« Conclusion, même les nombreux clients adeptes d’Internet considèrent que l’achat de bijoux ne peut pas être mené totalement en ligne », explique-t-il.
Faible rentabilité du modèle Internet
Simeon Siegel rappelle que l’essor des ventes de bijoux en ligne est également limité par la nature même du commerce électronique.
D’après lui, le gros avantage d’Internet est de permettre à une start-up de vendre, sans encourir les dépenses importantes liées à la gestion d’une boutique traditionnelle. Pourtant, même si un détaillant qui ne vend qu’en ligne évite des coûts fixes onéreux, il encourt généralement des coûts variables supérieurs, notamment pour les frais d’expédition et la publicité en ligne. Simeon Siegel note donc que le bénéfice par article vendu sur Internet reste relativement égal, quel que soit le nombre de bijoux écoulés. Au contraire, lorsqu’un joaillier traditionnel a couvert ses frais fixes, chaque nouvelle vente en boutique devient plus rentable.
Simeon Siegel explique ainsi que, même si les détaillants sur Internet peuvent conserver de petites marges bénéficiaires en ne vendant qu’en ligne, les ventes de bijoux à la fois dans la boutique et en ligne posent problème aux joailliers. Il explique qu’en vendant en ligne, ces joailliers, dits omnicanaux, règlent les frais fixes d’une boutique et que leur marge bénéficiaire sur Internet n’augmente pas avec le volume des ventes.
« Les détaillants omnicanaux veulent tirer le meilleur parti des ventes en boutique, car elles gagnent en rentabilité au fil du temps, explique Simeon Siegel. Malheureusement, ils n’ont pas le choix. Ils doivent aller là où achètent les clients, et cela englobe Internet. »
Conséquence, quelques-uns des grands noms de la vente électronique de bijoux sont en fait des joailliers qui possèdent des murs mais utilisent Internet comme un prolongement de leur boutique.
Ainsi, les ventes en ligne de Signet ont progressé de 20 % à 48 % chaque année depuis 2011, pour atteindre 129 millions de dollars en 2014. La même année, Signet affichait une marge bénéficiaire nette de 9 % pour un chiffre d’affaires total de 4,2 milliards de dollars.
Au contraire, l’essor des ventes de Blue Nile, considéré comme le plus grand joaillier en ligne, était compris, pour les États-Unis, entre 1 % et 16 % par an entre 2011 et 2014. En 2014, Blue Nile annonçait une marge bénéficiaire nette de 2 % pour la troisième année consécutive, sur un chiffre d’affaires total de 473,5 millions de dollars.
Simeon Siegel explique que la plupart des grands détaillants de bijoux adoptent l’approche « omnicanal » à titre de défense, pour éviter de perdre des ventes face à la concurrence en ligne. Avantage supplémentaire, ils peuvent ainsi attirer de nouveaux clients grâce à leur présence sur Internet. Les détaillants omnicanaux sont prêts à sacrifier une part de leur marge bénéficiaire pour protéger leur chiffre d’affaires mais ne profitent pas du commerce électronique pour stimuler la croissance des bénéfices.
Amener Internet dans la boutique
Alors que les joailliers traditionnels s’installent sur Internet, les joailliers en ligne adaptent leurs modèles d’activité pour attirer la vaste majorité des clients qui veulent acheter en boutique.
En février, Blue Nile a annoncé l’ouverture, à titre d’essai, d’un showroom de bijoux indépendant. Harvey Kanter, le PDG de Blue Nile, a affirmé qu’il permettrait aux clients qui hésitent à acheter sur Internet de voir et de toucher le bijou avant de commander en ligne.
James Allen, une marque de détail en ligne, gérée par R2Net, présente sa solution : une technologie d’imagerie avancée, offrant ce qu’il qualifie « d’exposition meilleure qu’en magasin » pour ses bijoux en diamants. Oded Edelman, le PDG de R2Net, explique que toute la beauté du site Web de James Allen tient au fait que l’acheteur peut s’en servir, sans être assisté d’un joaillier formé. « Vous pouvez faire tourner une image 3D du diamant pour le voir sous différents angles. En cinq minutes, vous avez compris la différence entre un G et un H », affirme-t-il.
Dans un autre ordre d’idée, Ritani, qui exerce principalement en ligne, s’est rapidement développée à l’aide d’un modèle d’activité hybride. Selon Forbes, la société a généré 13 millions de dollars de revenus en 2013, un an à peine après le lancement de son site de commerce électronique. Elle emploie une plate-forme de vente en ligne et établit des partenariats avec des joailliers indépendants afin de recycler la composante boutique traditionnelle de la vente de détail.
Brian Watkins, le PDG de Ritani, explique que la société dispose de partenariats exclusifs avec plus de 200 joailliers locaux indépendants dans différentes régions, afin d’offrir aux clients des sites physiques pour leur permettre de venir chercher les bijoux, les essayer et les retourner. En échange, les associés de Ritani reçoivent une part des bénéfices.
Nivellement du marché
Bien que les détaillants sur Internet tentent d’attirer les clients qui veulent aller en boutique, Susan Posnock rappelle que leurs ventes en ligne pourraient pâtir d’un projet de loi en chemin vers le Congrès et baptisé Marketplace Fairness Act (Loi sur l’équité des marchés).
Jusqu’à présent, de nombreux détaillants américains sur Internet profitaient d’un vide juridique leur permettant de ne pas facturer à leurs clients les taxes locales et gouvernementales si la société ne dispose pas de site physique dans la juridiction. Cette situation offre aux détaillants sur Internet, comme Blue Nile et James Allen, un avantage concurrentiel de taille en matière de prix.
« Le projet de loi permet aux États d’exiger des sociétés situées à l’extérieur de leur territoire qu’elles prélèvent des taxes commerciales, déjà payables au titre de la législation locale mais que les détaillants en ligne ne demandent pas actuellement », explique Susan Posnock. Si la taxe était mise en place, les consommateurs paieraient plus cher les bijoux en diamants achetés en ligne.
Jewelers of America, explique-t-elle, pense qu’il ne faudra pas longtemps avant que la loi soit adoptée et qu’elle nivèlera le marché, entre boutiques traditionnelles et activités en ligne.
Avec cette taxe à venir, de faibles marges bénéficiaires et l’hésitation des clients à acheter des bijoux en ligne, la croissance devrait ralentir dans les années à venir et l’excitation pourrait retomber.
« Il est logique que les bijoux, et ceux de bridal en particulier, n’aient qu’un très faible taux de pénétration sur Internet. Ce que j’ai pu constater jusqu’à présent me laisse penser que cela va durer, explique Simeon Siegel. Ce n’est pas comme si Internet était encore nouveau. On pourrait croire que les gens seraient prêts à acheter certains articles en ligne, mais l’histoire a montré que ce n’était pas le cas. »